----------------------- */ L'heure qu'il est à Marseille : ______________

mardi 29 avril 2008

15- Le village...

http://www.tunisia-today.com/archives/47063

Avec «Le village de l’Allemand», l’écrivain algérien Boualem Sansal a remporté le grand prix RTL- Lire. Un ouvrage bien accueilli du côté des Français, boudé en Algérie !



Le prix RTL- Lire 2008 est venu à temps pour l’écrivain Boualem Sansal qui risque de perdre l’espoir après les critiques acerbes qu’a confronté son «Village de l’Allemand» depuis sa sortie. Acclamé par la presse française, rejeté par la presse algérienne, ce nouvel ouvrage de Boualem Sansal a ouvert mille et une polémiques. Publié chez Gallimard, «Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller» a été sélectionné parmi toute une série qui comprenait «Beau rôle» de Nicolas Fargues, «La délégation norvégienne» de Hugo Boris, «Journal» de Hélène Berr et «Vie et mort d’Edith Stein» de Yann Moix. Dans «Le village de l’Allemand», Boualem Sansal raconte «l’histoire de deux frères d’origine algérienne, élevés dans une banlieue française par un oncle, qui vont découvrir le passé terrible de leur père. Officiellement ancien combattant du FLN, il était en réalité allemand, ancien officier SS réfugié en Algérie», lit-on dans le petit résumé de ce livre qui confirme de plus en plus le grand talent de Boualem Sansal qui est venu à l’écriture grâce à l’encouragement de son ami l’écrivain Rachid Mimouni. Ingénieur de son état qui a déjà à son compte un doctorat en économie, enseignant à l’université, chef d’entreprise et haut fonctionnaire, cet écrivain a publié son premier roman «Le serment des barbares» en 1999, chez Gallimard. Un livre qui a été bien salué par la critique mais qui a valu à son écrivain son poste de travail. Guidé par cet amour fougueux pour l’écriture, Boualem Sansal n’a pas baissé les bras et c’est avec «Harraga» son 4e roman que la reconnaissance a été rendez-vous.

Mais avec «Le village de l’Allemand», les choses sont encore floues du côté de son pays natal. «Je pensais que mon livre serait utile là-bas, qu’il ouvrirait le débat. Au lieu de quoi, je suis accusé d’être manipulé par les Occidentaux, d’apporter une caution internationale à Israël ou encore de relayer la propagande de Sarkozy qui reçoit Shimon Peres. Je me fais même traiter de fou…» a souligné cet écrivain algérien dans une interview accordée à la revue «Lire» suite à la cérémonie de remise du prix RTL- Lire 2008.



I.A.
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Les librairie Claire Fontaine organiseront deux rencontres en ce mois de Ramadan. La première se tiendra à la librairie Claire Fontaine-La Marsa, le mercredi 19 octobre 2005. L’auteur algérien Bouâlem Sansal présentera son dernier ouvrage «Harraga». La soirée débutera à 20h30. Le seconde, qui se déroulera à l’Espace Claire Fontaine à El Menzah VI, sera consacrée à Youssef Seddik, qui présentera «Nous n’avons jamais lu le Coran ». L’événement aura lieu le jeudi 20 octobre 2005 à 21h00.
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lundi 28 avril 2008

14- J'en ai assez de vivre comme un cafard- Sansal

http://www.lire.fr/chronique.asp/idC=52223/idR=142/idG=3
Tendance

Boualem Sansal, prix RTL-Lire 2008

par Delphine Peras
Lire, avril 2008


«J'en ai assez de vivre comme un cafard sous une pierre, d'être traîné dans la boue tous les jours»: voilà ce qu'il en coûte à l'écrivain algérien Boualem Sansal d'avoir écrit Le village de l'Allemand, roman sidérant qui établit un parallèle osé mais argumenté entre nazisme et islamisme. Acclamé par la presse française depuis sa sortie en janvier dernier (voir Lire n° 363), Le village de l'Allemand fait l'objet de toutes les vindictes en Algérie. «Les critiques dans la presse tournent à l'hystérie, certains éditorialistes ont signé plusieurs articles d'affilée pour me vouer aux gémonies», témoigne le romancier, de passage à Paris à l'occasion du Salon du livre, et surtout pour venir recevoir le prix RTL-Lire 2008. Il a été décerné haut la main à son livre à la fois si dérangeant et si magistral, récit à deux voix des frères Schiller: nés de mère algérienne et de père allemand, ils ont été élevés par un vieil oncle dans une cité de la banlieue parisienne, alors que leurs parents étaient restés dans le village d'Aïn Deb, près de Sétif. Mais ces derniers seront massacrés, ainsi qu'une partie de la population du bourg, par le GIA (Groupe islamiste armé) en 1994. Le fils aîné, Rachel (contraction de Rachid et Helmut), se rend alors sur place pour l'enterrement. Stupeur: il découvre que son père, cet Allemand si bien intégré à la communauté locale qu'il jouissait du titre prestigieux de moudjahid, était un ancien nazi. Rachel n'en dort plus, et finit par mettre fin à ses jours. C'est en lisant le journal de son frère que Malrich (pour Malek et Ulrich), le cadet, décide à son tour de faire toute la lumière sur ce passé familial si lourd à porter. Un passé qui renvoie directement aux démons de l'Algérie elle-même...

«Je pensais que mon livre serait utile là-bas, regrette Boualem Sansal, qu'il ouvrirait le débat. Au lieu de quoi, je suis accusé d'être manipulé par les Occidentaux, d'apporter une caution internationale à Israël ou encore de relayer la propagande de Sarkozy qui reçoit Shimon Peres. Je me fais même traiter de fou...» Il n'y a que la vérité qui fâche, reconnaît l'auteur de Poste restante: Alger. Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes (Gallimard, 2006), qui lui avait déjà valu l'anathème. A 59 ans, Boualem Sansal est justement sur le point de perdre espoir: «Si c'était à refaire, je ne sais pas si je referais Le village de l'Allemand...» C'est dire si le prix RTL-Lire arrive à point pour défendre un tel ouvrage, censuré en Algérie, et plus largement pour défendre cet écrivain de langue française, dont le talent n'a d'égal que le courage. L'homme est très touché par les manifestations de soutien que les Français, amis et anonymes, lui témoignent depuis plusieurs semaines. «Ce soutien est très émouvant pour moi. J'appréhende mon retour en Algérie et, désormais, je fais plus qu'envisager de revenir m'installer en France. Matériellement, ce n'est pas évident. Mais je pourrai toujours travailler comme nègre...» Est-il besoin de préciser que Boualem Sansal mérite bien mieux?

13- Poste restante: Alger, Lettre ouverte (archives)

http://bibliobs.nouvelobs.com/2006/06/15/sansal-censure

Lettre ouverte aux Algériens
Sansal censuré

Par Jérôme Garcin

Le pamphlet de Boualem Sansal, véritable ode à la démocratie et à la liberté de penser, est interdit en Algérie. CQFD
Rédigée à Boumerdès en janvier 2006, publiée le 16 mars chez Gallimard, cette «Lettre de colère et d'espoir» adressée par Boualem Sansal à ses compatriotes n'est jamais parvenue en Algérie. Photocopiée, scannée, recopiée, elle circule aujourd'hui sous le boisseau, mais elle est introuvable en librairie. On rappelle que, sous le régime de M. Bouteflika, l'importation de livres est soumise à un visa préalable délivré par le ministère de la Culture. Ce visa a été refusé au gérant d'Edif 2000, la société algérienne qui devait diffuser le libelle de Sansal au titre prémonitoire - «Poste restante: Alger».
Tant que Boualem Sansal écrivait des romans, fussent-ils corrosifs et subversifs, il pouvait être lu dans son pays. Car si la fiction déplaît, elle n'inquiète pas. On voit par là que les censeurs sont toujours de très mauvais lecteurs. Mais avec la parution, à Paris et en français (car il fait sienne la pensée de Kateb Yacine: «Le français est à nous, c'est un butin de guerre»), de ce bref essai dédié à la mémoire du président assassiné Mohamed Boudiaf, la disgrâce de Sansal est désormais consommée. Ingénieur de formation, docteur en économie, enseignant à l'université et puis haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie, cet homme de 57 ans a été limogé en 2003 pour avoir proposé la suppression de l'enseignement religieux à l'école. Pour les islamistes radicaux proches de M. Bouteflika, l'homme est infréquentable et sa lettre ouverte, dangereuse. Elle n'exprime pourtant, dans une prose digne des Lumières, que la vérité. Pour les «dignitaires en chapeau» qui imposent leur ordre, elle est dure à entendre.
Que dit donc de si scandaleux Boualem Sansal? Que l'appropriation par le FLN de la guerre de libération relève du «hold-up du siècle». Que sévit en Algérie «une dictature policière, bureaucratique et bigote». Que le discours officiel est fondé sur des dogmes mensongers. Que le peuple algérien, à majorité berbère, n'est arabe qu'à 16%. Que l'islam est, par essence, miséricordieux, fraternel, pacifique. Qu'il convient de distinguer la religion de la citoyenneté. Qu'au lieu d'exiger de la France une repentance, mieux vaudrait considérer que la nation algérienne est née avec la colonisation comme la Gaule s'est soudée sous les coups de bélier de Jules César. Et que, si l'Algérie a «un goût de paradis», où se croisent l'Orient, l'Occident et l'Afrique, elle le doit au hammam des Romains, à la cuisine des Turcs, à la musique andalouse des juifs, à l'art équestre des Arabes, à l'amour de la littérature des Français...
Parfois, Sansal force le trait. C'est qu'il a lu Voltaire et Hugo. Il sait que le combat pour la liberté et la démocratie, contre le larbinisme et l'intégrisme, ne se fait pas sans hausser le ton. Il y ajoute parfois un humour désespéré et ravageur. Son livre est d'un humaniste en colère. Que M. Bouteflika le veuille ou non, le cachet de la poste fait foi: cette lettre ouverte ne se refermera pas.
Jérôme Garcin
«Poste restante: Alger. Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes», par Boualem Sansal, Gallimard, 60 p., 5,50 euros.

vendredi 25 avril 2008

12- Prix Edouard Glissant 2007 à Boualem SANSAL





Créé en 2002 à l’Université Paris 8, grâce au concours de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et de RFO, le Prix Edouard Glissant tient à honorer une œuvre littéraire marquante de notre temps. Animé par les valeurs poétiques et politiques de la personnalité qui le parraine – la pensée du Divers, le métissage et toutes les formes d’émancipation –, le Prix Edouard Glissant est aussi l’occasion de réfléchir aux interactions linguistiques et culturelles dans une Université accueillant des étudiants du monde entier et profitant de ce partage des identités et des savoirs.

Le Prix est attribué chaque année par un comité scientifique. Il est remis officiellement au

lauréat lors d’une journée organisée autour de son œuvre. Le même comité attribue à un(e) étudiant(e) en doctorat à l’Université Paris 8 une bourse de 5000 euros pour soutenir une recherche dans n’importe quel domaine mais qui corresponde à l’esprit du Prix (relations Nord-Sud, raison post-coloniale, diversité culturelle, pluralité des expériences de pensée…).

Composé de membres de l’assemblée universitaire, du Président de l’Université, du Recteur

de l’Agence Universitaire de la Francophonie, du Président de RFO, du Directeur de la Maison

de l’Amérique Latine et de personnalités du monde littéraire, le comité scientifique est régulièrement renouvelé.

Edouard Glissant est l’auteur d’une œuvre considérable (poésie, romans, essais), internationalement lue et reconnue. Renouvelant la langue et les genres, il fait de la relation et du divers les maîtres mots de sa poétique. Parmi ses textes: La Lézarde (1958), La Case du commandeur (1981), Poétique de la relation (1990), Traité du Tout-Monde (1997), Sartorius: le roman des Batoutos (1999)…

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C'était le: 22 juin 2007 à l'Université PARIS 8

Prix et Bourse Edouard Glissant

Université Paris8, le 22 juin 2007
Boualem Sansal
en présence d’Edouard Glissant
Université Paris 8, Amphithéâtre D001

10h00
Accueil
Rencontre avec les lauréats du Prix et de la bourse: Boualem Sansal, écrivain,
et Yann Vigile Hoareau, doctorant en psychologie cognitive à l’Université
Paris 8
Maison de l’Amérique Latine

15h00
Allocutions de Pascal Binczak, Président de l’Université Paris 8, Michèle
Gendreau-Massaloux, Recteur de l’Agence Universitaire de la Francophonie,
Luc Laventure, Réseau France Outre mer, François Vitrani, Directeur de la
Maison de l’Amérique Latine

15h30
Conférence de Yann Vigile Hoareau
«Diversités culturelles ou cognition du Tout-monde»

16h15
Table ronde autour de Boualem Sansal avec:
Zineb Ali-Benali, professeur de linguistique à l’Université Paris 8
Zahia Rahmani, écrivain
Tiphaine Samoyault, professeur de littérature comparée à l’Université Paris 8

Cocktail à 18h00
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mardi 22 avril 2008

11- Le prix RTL-Lire à Boualem SANSAL



________Le Prix RTL-Lire 2008 à B. Sansal ____________________________________



________Le Prix RTL-Lire 2008 à B. Sansal ____________________________________

10- Sansal au Salon du livre de Paris Mars 2008

______Boualem SANSAL au Salon du livre de Paris en mars 2008________




______Boualem SANSAL au Salon du livre de Paris en mars 2008________


09- Boualem SANSAL au Salon du livre de Paris en mars 2008

Boualem SANSAL au Salon du livre de Paris en mars 2008__

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8- Le village de l’Allemand (suite)

www.indigenes-republique.org/"Le village de l’Allemand" ou la recette du best-seller décomplexéPar Ahmed Selmane
lundi 21 avril 2008par Didine
Paru dans lematindz.net

Chronique Les faussaires et le débat, par Mohamed Bouhamidi le 21 Avril, 2008
En introduisant son dossier, paru dans la dernière livraison du quotidien Algérie News, sur le Village de l’Allemand, le dernier livre de Boualem Sansal, Arezki Louni, signant l’édito du dossier « Sansal » et indiquant ainsi clairement que le journal prenait position, annonce l’existence d’une polémique qu’il qualifie aussitôt de cabale dont il monte immédiatement le procès en procureur informé et soucieux des pièces à conviction. Fort bien, examinons le corps du délit.
Avant ce dossier, nous ne pouvions noter dans la presse nationale que quatre réactions critiques, quatre seulement et certainement pas coordonnées. R. Lourdjane signe la première dans le quotidien El Watan en réaction aux interviews de Boualem Sansal affirmant la véracité et la réalité d’un village de l’Allemand et de l’absence totale de la question de la Shoah dans la télévision algérienne. R. Lourdjane indique que Sansal ment sur les deux points. Le seul village de l’Allemand que connaît R. Lourdjane est en fait un « village des Allemands » créé avec la guerre, dans la région de Tiaret pour accueillir les Alsaciens-Lorrains après la guerre franco-allemande de 1871. Ensuite la télévision algérienne a bien diffusé une série sur la Shoah réalisée par notre poète N. Abba. Il ne dit pas plus que, dans son interview, Sansal a menti sur deux affirmations précises et vérifiables. J’ai signé la deuxième réaction, car Sansal situant le Village de l’Allemand dans la région de Sétif, j’ai indiqué que ce village, plutôt un lieu-dit, existait réellement mais qu’il a été construit, avec et autour d’un moulin, par Henry Dunant, le futur créateur de la Croix-Rouge pour accueillir des colons suisses du canton de Vaux dans une concession accordée à une grande banque suisse. Non seulement Sansal ment sur ce point précis qu’il avance comme point de départ réel de son roman mais il commet en plus un crime contre la mémoire de… et confond allégrement Croix-Rouge et croix gammée. La troisième réaction vient de Omar Mokhtar Chaalal, parue dans le quotidien Horizons, qui parle de ce lieu-dit en racontant sa véritable histoire et rajoute que, n’étant pas une commune, ce hameau n’a jamais eu de maire ni français, ni algérien ni allemand, outre que jamais n’y a vécu un étranger après l’indépendance. Et Boualem Sansal est catégorique sur la véracité de ce qu’il prétend mettre à l’origine de son roman. Je le cite : « Je suis ainsi, j’ai besoin de m’appuyer sur une histoire vraie pour écrire. Dans une fiction pure, je me sentirais comme un acrobate qui travaille sans filet, j’aurais trop peur de divaguer. Dans le Village de l’Allemand, je suis parti d’une histoire vraie, celle d’un officier SS qui, après la chute du 3ème Reich, est parti se réfugier en Egypte et, plus tard, est venu finir sa vie en Algérie, après s’être battu pour son indépendance… On m’expliqua que ce village était ‘‘gouverné’’ par un Allemand, ancien officier SS, ancien moudjahid, naturalisé algérien et converti à l’islam. Dans la région, on le regardait comme un héros, un saint homme. J’ai senti chez mes interlocuteurs une réelle admiration à l’évocation de son passé nazi, ce qui n’était pas pour me surprendre : la geste hitlérienne a toujours eu ses sympathisants en Algérie… » Et cela marche. Dans le dossier, Samira Negrouche, qui n’a pas lu le livre, déclare : « Il s’agit d’un roman inspiré d’une histoire vraie. » Répliquer que, vérification faite, il s’avère que cette histoire est construite et totalement mensongère relève de la cabale. Mais avons-nous le droit de porter un regard critique sur les déclarations de B. Sansal ?
C’est bien la première question à laquelle doivent répondre Arezki Louni, Bachir Mefti, Samira Negrouche et Christiane Chaulet Achour dont on ne sait pas très bien si elle a fait une déclaration d’ordre général ou si elle faisait référence à ces trois articles sur la véracité des affirmations de Sansal.
Jusque-là, rien de concret ne vient étayer l’acte d’accusation et le corps du délit est introuvable : pas d’anathèmes à l’endroit du livre, aucun appel à l’interdiction ni à l’autodafé, aucune stigmatisation. Bien au contraire puisque l’une de ces réactions souhaitait que le livre soit disponible en Algérie pour que les lecteurs s’en fassent une idée par eux-mêmes, loin de toute velléité de tutelle de l’administration. Reste la quatrième réaction parue dans la Tribune sous la forme d’une lecture que j’ai faite du roman de Sansal. Comme je n’ai lu aucune autre note sur le livre dans la presse nationale, le dossier d’Algérie News ment aussi sur ce plan-là. La seule note consacrée à ce livre a bien été faite après lecture. A moins de considérer cette lecture comme nulle pour insuffisance de formation critique, l’équipe qui a présenté le dossier ment aussi sur ce point- là. Mais puisque la cabale n’existait pas, le dossier l’invente en ouvrant, pour le besoin, des fenêtres à des regards critiques. Le corps du délit n’existant pas, le procureur le crée de toutes pièces à l’instant du procès mais en usant de deux subterfuges et d’une vilenie.
Le premier subterfuge est d’accorder la parole à des personnalités comme Rachid Boudjedra, Amine Zaoui, Ahmed Selmane en les stigmatisant dans l’éditorial par leur marquage en tant qu’acteurs de la cabale qui n’a pas eu lieu, répétons-le. Le deuxième subterfuge consiste à rajouter du sens à leurs textes en les insérant dans un montage. Pris chacun à part, ces textes disent un point de vue ; mis dans un ensemble, on leur fait dire un autre point de vue. Louni écrit : « Au moment où les uns saluent le courage de l’écrivain, celui d’exprimer une vision qui reste du domaine de la fiction et de la création littéraire, d’autres versent dans l’injure et la diffamation. Certains n’ont d’ailleurs même pas pris la peine de lire l’ouvrage controversé pour l’apprécier à sa juste valeur. Ils ont, au contraire, agi par esprit revanchard. Les termes utilisés pour qualifier l’œuvre de Sansal cachent mal la haine viscérale de leurs auteurs contre tout ce qui incarne une vision diamétralement opposée à la leur. Ils n’hésitent pas à adopter les raccourcis pour accabler ceux qui sont parvenus à se faire une place sur la scène littéraire mondiale. La réaction de l’un d’eux, qui n’en est pas à son premier impair, même à l’encontre de défunts, est révélatrice de cette réalité. » Il parle évidemment de Tahar Ouettar auquel personne n’a pardonné ni n’est prêt à pardonner l’ignominie de ses déclarations sur Tahar Djaout. Mais alors pourquoi le convoquer dans ce procès ? Mais il fallait bien ce repoussoir pour marquer les regards critiques de ce voisinage imposé par le procureur et tout aussi inventé que le reste. La vilenie rajoute au dossier son air de procès fabriqué pour atteindre un ailleurs qui n’est pas dit explicitement.
Le relativisme idéologique
Tenons-nous en aux principaux indices de cet ailleurs. Le premier d’entre eux est que cette affirmation proclamée de donner la parole à tous pour qu’ait lieu le débat sans la stigmatisation est inconsistante. Tous ceux qui n’ont pas lu ce livre ou même qui l’ont lu sont tenus de respecter la liberté de création. C’est bien la première fois que d’un point de vue philosophique la liberté de création s’accompagne de la mort de la liberté de critique. Parce que c’est une œuvre de pure fiction, alors taisez-vous ! Toute atteinte à l’œuvre devient une atteinte à la liberté. Il ne nous reste plus qu’à nous mettre au garde-à-vous idéologique. Mais cela n’est pas suffisant dans la panoplie des arguments, Maougal en rajoute un autre de toute beauté : cette œuvre n’est pas à mettre entre toutes les mains. C’est tout à fait novateur ! C’est bien la première fois, aussi, qu’on proclame que les œuvres littéraires doivent être protégées du public et que le peuple des lecteurs n’est pas globalement mature pour aborder ce livre hors du commun ! Il ne nous manquait plus que les imams de la lecture, des directeurs de conscience, des exégètes qualifiés pour nous, peuple immature et enfoncé dans des lectures « idéologiques ». Maougal nous invite, en sorte, à une lecture « censitaire », celle des mandarins, un remake du premier collège des lecteurs. Christiane Chaulet Achour ne dit pas autre chose, peut-être à son corps défendant, dans le sens que donne le montage de ce dossier à son intervention. Nos lectures sont « idéologiques ». Ne connaissant pas encore les validations épistémologiques d’une lecture scientifique des œuvres d’art et de la littérature, il me semble difficile de faire autre chose que des lectures marquées par l’idéologie et, à un degré supérieur, des lectures armées par des grilles empruntées aux sciences sociales.
Aussi, je préfère m’en tenir à ces lectures idéologiques étayées par ce que je sais des sciences humaines. Mais lecture idéologique quand même, affirmée et assumée. Et c’est bien le deuxième indice de cet ailleurs vers lequel on nous entraîne : par un tour de passe, la « lecture idéologique » ou « non objective », comme le regrette un autre intervenant, soustrait le roman à l’idéologie. Comment en arrive-t-on à nous culpabiliser d’avoir une lecture idéologique d’une œuvre par essence idéologique ? Par ce tour de passe-passe qui fait passer le roman de l’ordre de la représentation à l’ordre du droit. Le roman ne se construit plus sur une vision du monde, sur son interprétation, sur sa représentation, sur l’instance émotionnelle mais sur une catégorie juridique : la liberté et le droit à l’expression. Il n’appartient plus au monde de la vérité mais au monde du formel juridique. Il n’appartient plus au monde et, par conséquent, ne participe plus aux luttes de ce monde. C’est bien ce que l’on veut nous faire croire. Exit Marx ou Gramsci pour la lecture autour des enjeux sociaux ; exit Freud pour la lecture autour des enjeux psychiques. Nous sommes en pleine mythologie. Ce texte devient un texte parmi d’autres, sans sens ni direction particulière, sans prise de parti dans les luttes des hommes et n’a rien à voir avec la multiplication des visées néo-coloniales qui veulent nous faire passer le 1er Novembre pour une erreur historique, une atteinte au rêve d’une Algérie multiraciale et multiculturelle qui nous aurait sauvés des griffes de l’islamisme et de son terrorisme.
Le dossier nous invite au relativisme. Il n’existe plus d’enjeux. Nous allons remiser au placard nos vieilleries idéologiques qui nous ont fait croire au passage, à l’intérieur de la littérature, des conflits, des visions, des espérances des hommes. Nous classerons désormais M. Darwish, G. Amado, G.G. Marquez, L. Aragon dans une malle au fin fond du grenier et nous nous convertirons au relativisme. Mais ce n’est pas que ce seul enjeu. Le dossier nous glisse en contrebande, comme avérées, deux thèses : l’islamisme est un fascisme et il trouvait sa source dans l’idéologie de la guerre de libération. Il nous faudrait un peu plus que les affirmations de Sansal et de Louni pour classer l’islamisme dans la case « fasciste », le vert étant le fils du gris et pour ce premier argument que nous ne voyons pas où se trouve ce grand capital dans notre pays qui aurait poussé à la création de ce fascisme dans une réaction de peur face aux risques de prise de pouvoir par la classe ouvrière. Il nous en faudrait un peu plus pour oublier le rôle de l’impérialisme anglais et américain dans sa création, sa manipulation et son utilisation. Même si l’élucidation scientifique de l’islamisme n’est pas achevée.
Etrange dossier qui invente une polémique et une cabale et qui, pour se légitimer, les convoque le jour même du procès. Etrange dossier qui reprend les procédés de l’auteur qu’il tient à défendre. Etrange dossier qui nous invite à nous taire et à faire place à la divine parole d’un créateur. L’enjeu doit être bien important pour qu’on nous somme de nous taire sous mille et une argumentations et surtout qu’on esquive les seules questions qui aient été posées avant ce dossier : avons-nous le droit, oui ou non, de critiquer n’importe quelle œuvre littéraire ou artistique et ces œuvres appartiennent-elles à l’instance de représentation du monde réel et sont-elles donc une partie des enjeux de ce monde ? Ce dossier avait, cependant, un objectif plus immédiat : disqualifier toute la défense du mythe fondateur de notre Etat-nation, la guerre de libération et le 1er Novembre. Leur ôter tout ce caractère sacré qui fait qu’au-delà de nos divergences, de nos luttes internes, des affrontements, en tant qu’Algériens, nous défendons notre lignée symbolique, notre appartenance commune à l’Algérie dont nous plaçons la naissance dans le 1er Novembre. Il faudra aussi compter sur le poids de nos mythes agissants avant d’espérer mener un débat à sens unique avec ou sans le soutien discret des appareils idéologiques de l’Etat français et de ses démembrements locaux.
M. B

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Une nouvelle critique

« Le village de l’Allemand » de Boualem Sansal

jeudi 17 avril 2008, par Françoise Cassin-G

Saluons le courage de l’Algérien Boualem Sansal qui, dans son cinquième roman : « Le village de l’Allemand », établit un parallèle osé et argumenté entre Nazisme et Islamisme.

Le roman s’ouvre sur le suicide de Rachel (pour Rachid et Helmut), jeune ingénieur marié à Ophélie qui vient de le quitter. Rachel est naturalisé français, né en Algérie d’un père allemand et d’une mère algérienne. Il a été élevé en France par un vieil oncle émigré dans une cité de la banlieue parisienne. Deux ans auparavant, il a appris la mort de ses parents massacrés ainsi que tout le village par le G.I.A. Il a enquêté sur le passé et découvert que Hans Schiller était un ancien officier S.S., un bourreau nazi recruté à la fin de la guerre par l’Algérie et formateur de l’élite militaire du pays. Pendant deux ans, Rachel a suivi les traces de son père, en Allemagne, en Turquie, en Egypte, en Algérie, à Auschwitz enfin et nous livre dans son journal son terrible apprentissage de la Shoah. Confronté aux horreurs de ce passé qu’il ignorait, Rachel plonge dans les remords et le désespoir, face à cette question vieille comme le monde : « Le fils est-il responsable des crimes du père ? Doit-il payer pour lui ? » Après son suicide, son frère Malrich (contraction de Malek et Ulrich) lit le journal et découvre à son tour la cruelle vérité : pour l’épargner, son frère lui avait même caché la mort de ses parents. A son tour Malrich écrit le journal de sa vie.

Dans une construction narrative originale, le lecteur se trouve confronté à ce récit à deux voix des frères Schiller, avec une alternance de tons remarquable : Malrich en effet vit toujours dans sa cité, il n’a pas fait d’études et traîne sa révolte avec sa bande de copains : « Rachel, je le voyais peu, il avait sa vie, j’avais la mienne. Il était cadre dans une grosse boîte américaine, ses heures étaient minutées, moi je ramais H24 avec les sinistrés de la cité ». Mais quand Malrich se met à écrire, il atteint le même niveau de conscience, la révolte remplace le désespoir : lui ne veut pas se sacrifier ni payer pour les crimes paternels mais agir. Le passé ne l’obsède pas mais le présent. Il porte un regard lucide sur la banlieue selon lui dans un abandon croissant de la République et livré au fanatisme des islamistes.

Dans cet étrange récit basé sur une histoire authentique, Boualem Sansal dénonce tous les fanatismes. Il a voulu raconter la Shoah au public arabe qui selon lui ignore cet épisode de l’histoire ; « L’Algérie est fermée comme un coffre et le mobile est le même : plus les gens sont pauvres, racistes et plein de colère, plus facilement on les dirige. » Mais le passé et le présent se rejoignent, « ce sont des histoires d’hier mais, en même temps, la vie c’est toujours pareil et donc ce drame unique peut se reproduire. »

Boualem Sansal se demande s’il pourra continuer à vivre en Algérie. Il n’a pas réussi à informer ceux de son pays, où son œuvre est interdite et provoque des réactions violentes , mais la France peut saluer un écrivain original qui utilise brillamment la langue française et analyse l’histoire avec hardiesse et brio.

Le Village de L’Allemand aux éditions Gallimard Prix éditeur : 20 euros Nombre de pages : 263 pages ’Le Village de l’Allemand’ a reçu le Grand Prix RTL-Lire 2008.


http://lecourant.info/spip.php?article1086

Françoise Cassin-G

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Boualem Sansal - Le village de l'allemand (1)


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Boualem Sansal - Le village de l'allemand (2)

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Les Indigènes de la République, février 2008:

On se souvient que pour Kateb Yacine « la langue française a été et reste un butin de guerre ». Il semblerait que, pour certains, un présent supplémentaire, sous la forme d’un cadeau empoisonné, fasse partie du voyage, tout à la fois comme produit de contrebande et comme passager clandestin. Ce cheval de Troie, c’est le « désir mimétique » d’être blanc.

Car ici, comme pour la féminité, il n’est nul déterminisme biologique, on ne naît pas blanc, on le devient, si les autres Blancs vous le concèdent toutefois… On le sait ce désir imitateur, de manière latente, s’est longtemps tapi sous le discours tournant autour de la « francophonie ». On peut voir aujourd’hui qu’il s’affiche sans retenue dans les média mainstram. Si on ne craignait de faire de la publicité à l’Arabe utile du PAF, idiot de l’année, peut être bien de la décennie !, on baptiserait bien ce trouble de « complexe du Meddeb » ou plus trivialement de Meddeberie. On peut trouver l’ensemble des symptômes de ce complexe dans un livre récent. Ce livre, écrit par Boualem Sansal, pourfendeur de tabou de son état, s’intitule « Le Village de l’Allemand ».

Ainsi Boualem, nouvel Atlas du Maghreb, voudrait lui aussi partager le fardeau de l’homme blanc. C’est-à-dire d’un même mouvement être l’opérateur de la mission civilisatrice de l’occident et goûter aux joies troubles de la culpabilité judéo-chrétienne. Et quel thème, pour un héros d’une telle étoffe, est plus porteur de conscience malheureuse que la Shoah ? Le malheur, car le tragique accompagne toujours le héros, est que cela ne concerne aucunement les aires géographiques et culturelles d’où notre contempteur « des injustices, des mensonges, des diktats de toutes natures » est issu. Il n’est pas un juif d’Algérie, devenus Français depuis le décret Crémieux, qui n’ait été déporté à Auschwitz ou à Dachau ! Qu’à cela ne tienne, notre Schindler de Bab El Oued, notre « Juste » d’un douar de Boumerdès invente et affabule à toute berzingue. Et il n’est aucun Sancho Pança pour le réfréner…

Mais ces affabulations, tout à l’inverse du « mentir-vrai » cher à Aragon, s’avère être de vrais mensonges éhontés, soit la marque de fabrique de tous les idéologues à gage, restant fidèle en cela au principe élémentaire de la propagande depuis Goebbels, plus c’est gros plus ça passe … Voilà pour le fond. Pour la forme c’est pire, à ce gros bobard, l’expression consacrée « si ce n’est vrai, c’est bien trouvé », n’est pas plus de mise, tellement le procédé littéraire employé est défraîchi. Il consiste en l’emploi de la figure du double, ici en l’espèce les frères Schiller, le malheur est que notre tâcheron littéraire, ce prenant pour un Goliath, n’est ni Poe ni Borges, pourtant tant qu’à devenir blanc, il eut été judicieux de devenir un Blanc de talent…

Ici, l’usage du double relève bien plus des troubles identitaires, existentiels de l’auteur – notamment de cette souffrance que provoque l’inconvénient d’être né non-blanc - que de la révélation d’une vérité occultée. Intéressons-nous plus précisément au trouble du Zarathoustra de Boumerdès. « L’humanité, écrivait Schopenhauer, tel un pendule, oscille entre deux maux la douleur et l’ennui ». Si pour le peuple palestiniens et les quartiers populaires d’Algérie, par exemple, il s’agit bien de douleur, pour Boualem Sansal, universitaire et haut fonctionnaire, ne lui en déplaise, c’est bien d’ennui qu’il s’agit… Cette vacuité, ce spleen de l’establishment dont il est issu, qu’il camoufle en pensée contre soi-même, avec la posture de l’héroïsme comme plus value pour salon littéraire, ne trompe personne sinon lui et ses commanditaires…

Car comme on sait, il n’est pas de vérité absolue, il n’est de vérité que située. Aussi doit-on envisager le contexte dans laquelle cette grande oeuvre apparaît. Et cela n’a rien d’un hasard. Le voici. Une Europe, où il est fait un usage immodéré du qualificatif nazi, et de son champ lexical ; ensemble de termes qu’on accole à tout ce qui concerne les choses de l’islam. « Nazislamiste », « fascisme vert », « le nouveau totalitarisme »… Cette Europe où l’on a de cesse nous expliquer que le monde musulman, et ses excroissances fantasmatiques en Europe, est le lieu d’où nous vient « la nouvelle judéophobie », comme il a été le lieu où les véritables atrocités de la traite négrière ont pris leur source et demain, sans doute, l’on nous expliquera savamment qu’ Hiroshima a été conçu dans le cerveau enfiévré d’un musulman américain. Ou que l’uranium qui a permis « Little Boy » était islamique. Ne riez pas, vous verrez…Il est désormais des populations et des parties du monde que, dans une volonté de division des tâches, on spécialise définitivement dans la barbarie et l’inhumanité dans toute ses formes. Elles en ont le monopole. Le dispensateur de rôle, comme il se doit, est occidental et s’arroge la part de choix, celui de surmoi et de la bonne conscience de la planète. Et pour ce faire, il a un besoin absolu d’une légion de chroniqueurs bronzés, crédibilité oblige, dont la possession de talent est accessoire, qui se croient blancs et éclairés et qui savent affabuler utilement, cette légion a pour boy scout Boualem Sansal …

Cette conscience clivée instillée dans l’ancien colonisé, dont Boualem est l’incarnation, c’est le « butin de guerre » des anciens colons !

Le Bougnoulosophe
Samedi 9 février 2008
http://www.indigenes-republique.org/spip.php?article1244
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http://www.maisondesjournalistes.org/lire_village_allemand.php

"Le Village de l’Allemand", de Boualem Sansal
Sur les traces de la barbarie humaine

Par Youcef Zirem

Pour son cinquième roman, l’écrivain algérien Boualem Sansal revient sur des moments douloureux du siècle dernier. Le lecteur est invité à se balader, d’un pays à un autre, sans que la barbarie humaine ne soit différente.

" Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller" peut paraître pour certains comme une histoire complètement invraisemblable ; pour d’autres, elle ne peut être que réelle et presque commune tant l’homme se montre souvent un bourreau pour son prochain, presque sous toutes les latitudes et à travers toutes les époques. Le style de Boualem Sansal est captivant, truculent, avec de longues phrases parsemées de points-virgules. A ce style parfois déroutant manque juste un peu de poésie ; peut-être que la formation scientifique de l’auteur fait qu’il ne se perd pas trop dans les métaphores heureuses, dans les profondeurs harmonieuses des mots bien ciselés qui font respirer le texte.

"Le Village de l’Allemand" est construit autour des journaux intimes de deux frères, Rachel et Malrich. Tous deux ont vécu en banlieue parisienne mais n’ont pas eu la même "réussite" sociale. Tous deux sont nés en Algérie, d'une mère berbère et d’un père d’origine allemande. Ancien nazi, le père a fait la guerre de libération du FLN et a continué sa vie dans un petit bled perdu du pays de Saint Augustin jusqu’à ce qu’il soit égorgé par les islamistes en 1994. Rachel va finir par se suicider quand il découvre le passé de son géniteur. Auparavant, il part sur les traces de son père, d’un coin à un autre de cette terre dont la misère humaine ne veut guère se séparer. Rachel est déstabilisé par tant de cruauté ; il est anéanti par cette injustice infinie qu’est la Shoah. Malrich n’a pas le niveau intellectuel de son frère mais il fera l’effort de comprendre le parcours et le geste de son aîné.

Dans "le Village de l’Allemand", Boualem Sansal assimile l’islamisme au nazisme, mais là, on sent que l’écrivain manque d’arguments pour comparer deux phénomènes différents même si tous les deux ne rehaussent pas la dignité humaine. Mais les propos excessifs de certains écrivains les font connaître encore plus. Boualem Sansal avait déjà employé, avec succès, une telle méthode dans son premier livre, "le Serment des barbares", en faisant, d’une certaine façon, l’éloge de la période coloniale en Algérie.

"Le Village de l’Allemand ou le Journal des frères Schiller"
de Boualem Sansal
éditions Gallimard
2008
264 pages
17 euros

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http://www.lalibre.be/culture/livres/article/407281/ne-pas-avoir-de-tabous.html

Prix littéraire - entretien

"Ne pas avoir de tabous"
robert verdussen
Mis en ligne le 10/03/2008
Boualem Sansal est le lauréat du prix Nessim Habif. Il est l'auteur de "Le village de l'Allemand ou le journal des frères Schiller" (Gallimard)
rencontre
Depuis votre premier roman paru il y a neuf ans, votre oeuvre est un immense cri de colère, Boualem Sansal. C'est quoi, pour vous, la colère ? Une manière de convaincre ?
Je ne parlerais pas de colère mais plutôt d'indignation. La colère renvoie à une réaction immédiate presque physique. L'indignation a une résonance plus intellectuelle et mentale. Face à la violence qui s'étend et contre laquelle nous ne faisons rien, l'indignation n'est pas là pour convaincre. Elle n'est pas liée aux autres. C'est une réaction personnelle. Je m'indigne de ce que je vois et je le dis. Ce qu'on en fait n'est pas mon affaire.
En Algérie comme dans d'autres pays, les romanciers ne sont-ils pas les derniers véritables contestataires, ceux qui osent bousculer les tabous ? Je pense dans votre dernier roman au tabou de l'islamisme et à celui de la Shoah ?
Vis-à-vis de soi-même, il ne faut pas avoir de tabous. En Algérie, la Shoah a toujours été un tabou dans les mentalités, dans la propagande. Elle est niée ou alors considérée comme exploitée par les Israéliens. Mais comment ne pas en parler ?
Votre dernier roman, dans lequel vous tracez un parallèle audacieux entre le nazisme et l'islamisme, est interdit en Algérie. Est-ce la preuve que vous avez exagéré ou, au contraire, que vous avez raison ?
Je pense que j'ai raison parce que j'ai vu évoluer l'islamisme dans mon pays. J'ai vu comment il a endoctriné des millions de gens. Nous sommes treize millions d'Algériens. Selon des études universitaires, la moitié de la population a versé dans l'islamisme. Certains dans l'islamisme armé, d'autres dans le soutien idéologique ou matériel. C'est un fascisme terrifiant qui fonctionne sur la mécanique du nazisme : l'embrigadement des jeunes à travers la mosquée, les écoles, les grands rassemblements quotidiens, la vénération du chef.
Vous étendez votre diagnostic aux banlieues françaises. Est-ce aussi grave ?
Dans les banlieues, c'est comme en Algérie. C'est l'Afghanistan, les talibans. Tout est organisé, hiérarchisé, avec des cotisations, des obligations de vivre et de s'habiller d'une certaine manière. Les gens sont pris en main jusque dans leur vie intime. Et les gens sont consentants même si, comme tous les fascismes, ce radicalisme exalte la partie noire d'eux-mêmes. Mais ils n'ont pas le choix. L'Etat a failli, les familles ont failli d'abord. Il faudrait reprendre l'éducation à zéro, ce qui prendrait beaucoup de temps. Dans l'immédiat, il n'y a pas d'alternative : on se convertit au radicalisme ou on est menacé de mort. Dans les années quatre-vingt-dix, chaque matin, les routes algériennes étaient bordées de nouveaux cadavres. C'était un terrorisme quotidien.
Vous reprochez à l'Occident de n'en faire pas assez contre cet islamisme. Que peut-il faire ?
D'abord, il devrait réprimer les meneurs, les imams, tous ceux qui organisent le recrutement des islamistes. Ensuite, il devrait aider les pays menacés à accéder à un minimum de démocratie. Mais aujourd'hui, au nom de la realpolitik, on soutient des régimes qui sont pratiquement islamiques.
Vous persistez à vivre en Algérie, malgré les menaces. Vous n'avez pas peur ?
C'est une question de crédibilité. Pour parler de l'Algérie, il faut y vivre. Et y écrire.
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http://www.histoire.presse.fr/content/livre-du-mois/article?id=7480

Le Village de l'Allemand, ou Le Journal des frères Schiller

Par Boualem Sansal, Gallimard, 2008, 236 p., 17 euros.

Un roman qui montre les liens entre islamistes, nationalistes algériens et idéologie nazie.

Dans son journal intime, le narrateur du livre de Boualem Sansal écrit : « Enquêter sur les guerres passées est une galère, ça ne mène pas loin. Des impasses, des chemins qui se perdent dans le noir, des cloaques qui suppurent dans la brume, de la poussière qui s’élève en rideau de fumée à mesure qu’on tâtonne dans le vide. Je me rends compte de la difficulté de ceux qui sont chargés d’enquêter sur les crimes de guerre enfouis dans le silence, l’oubli et la connivence. C’est mission impossible, la vérité est perdue dans l’herbe folle… »
Et pourtant il poursuivra, et découvrira la terrible vérité. Son père, considéré comme un héros, un « moudjahid » de la guerre d’indépendance algérienne, a commis des atrocités pendant la Seconde Guerre mondiale : chimiste, il a peut-être été impliqué dans les débats que le projet de gazer les déportés ont soulevés parmi les dignitaires du Reich ; sur son livret militaire figurent les lieux où il a été affecté, Frankfurt, Linz, Grossrosen, Salzburg, Dachau, Mathausen, Rocroi, Paris, Auschwitz, Buchenwald, Gand… « J’ai lu quelque part qu’au plus haut niveau de perfectionnement du système, le seul camp d’Auschwitz brûlait jusqu’à quinze mille âmes par jour. On imagine le train d’enfer que c’était. Papa y a passé un temps, il a dû drôlement peiner. » De ce père allemand, il ne connaissait rien vraiment, ayant été élevé en France par un oncle immigré, dans une cité de la banlieue parisienne.
Après l’assassinat par les islamistes en 1994, dans un village près de Sétif, de son père et de sa mère, la terrible vérité éclatera… « Mon père a choisi sa voie et chaque fois que la vie lui a offert une alternative il a confirmé ce choix. Il n’a pas tué une personne, il en a tué deux, puis cent, puis des milliers, et des dizaines de milliers, et il aurait pu en tuer des millions. Il était dans la haine et la servitude et ces trous dans la tête n’ont pas de fond. »
Le livre de Boualem Sansal, véritable événement littéraire de la rentrée, est un récit grave et profond sur la Shoah vue par les yeux d’un jeune Arabe découvrant la réalité de l’extermination de masse, et la guerre civile algérienne, le combat des années 1990 qui a fait près de 150 000 morts en Algérie. Il brise un tabou, celui du lien, de la connivence entre islamistes, nationalistes et l’idéologie du national-socialisme. Ce roman est une fiction ; il s’inspire néanmoins d’un fait réel.
Bien sûr, l’engagement des Algériens dans le nationalisme indépendantiste ne saurait se réduire à ce parcours individuel, et l’attitude du leader Messali Hadj refusant toute offre de collaboration avec le régime de Vichy et les Allemands montre que beaucoup ont refusé d’aller sur cette voie. Mais le beau livre de Boualem Sansal a le mérite essentiel d’affronter cette réalité. Et, encore une fois, par le biais de la fiction, un grand écrivain a su devancer, ouvrir la voie pour les travaux d’historiens…
Benjamin Stora
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http://www.lesoir.be/culture/livres/boualem-sansal-grand-prix-de-la-francophonie-2008-03-10-583173.shtml

Boualem Sansal, Grand Prix de la francophonie

Rédaction en ligne

lundi 10 mars 2008, 12:57

Outre Francis Dannemark, qui a reçu le premier Prix Bernheim pour son roman Le grand jardin, dont nous vous avons parlé samedi, l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique a honoré sept autres auteurs. Et d'abord Boualem Sansal, l'écrivain algérien, qui reçoit le Prix Nessim Habif, le Grand Prix de la francophonie, pour Le village de l'Allemand. Ce roman est « le sommet de l'art de cet écrivain qui approche de la soixantaine, à qui ses écrits ont valu de perdre son statut de fonctionnaire, et qui dès lors se consacre pleinement à ses livres, commente l'Académie. Il est parti d'un fait réel pour élaborer une fiction d'une rare ampleur. » En 2006, le prix avait été attribué à Jorge Semprun.

Les autres prix. Prix Gaston et Mariette Heux : René Lambert pour son roman Sur des prés d'herbe fraîche. Prix Lucien Malpertuis : l'essayiste Jacques Delwitte pour Le pouvoir de la langue et la liberté de l'esprit. Essai sur la résistance au langage totalitaire. Prix triennal Georges Vaxelaire, pour une œuvre théâtrale diffusée en Belgique : Sophie Landresse pour Une sœur de trop, créée aux Riches Claires. Prix Georges Lockem, à un poète belge de moins de 25 ans : Nicolas Grégoire, pour Et rien. Prix Verdickt-Rydams, pour un auteur qui fait le lien entre art et sciences : Jean-François Viot pour sa pièce La route de Motalcino. Prix Frans Weber, pour un auteur de nouvelles belge de moins de 40 ans : Aurelia Jane Lee pour L'Amour ou juste à côté.

Prix Auguste Michot, pour un auteur belge qui chante la Flandre : Nicole Verschoore pour sa trilogie La Passion et les hommes. Et Prix Félix Denayer : Alain Berenboom, pour l'ensemble de son œuvre.
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http://www.tunisia-today.com/archives/47063

Avec «Le village de l’Allemand», l’écrivain algérien Boualem Sansal a remporté le grand prix RTL- Lire. Un ouvrage bien accueilli du côté des Français, boudé en Algérie !

Le prix RTL- Lire 2008 est venu à temps pour l’écrivain Boualem Sansal qui risque de perdre l’espoir après les critiques acerbes qu’a confronté son «Village de l’Allemand» depuis sa sortie. Acclamé par la presse française, rejeté par la presse algérienne, ce nouvel ouvrage de Boualem Sansal a ouvert mille et une polémiques. Publié chez Gallimard, «Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller» a été sélectionné parmi toute une série qui comprenait «Beau rôle» de Nicolas Fargues, «La délégation norvégienne» de Hugo Boris, «Journal» de Hélène Berr et «Vie et mort d’Edith Stein» de Yann Moix. Dans «Le village de l’Allemand», Boualem Sansal raconte «l’histoire de deux frères d’origine algérienne, élevés dans une banlieue française par un oncle, qui vont découvrir le passé terrible de leur père. Officiellement ancien combattant du FLN, il était en réalité allemand, ancien officier SS réfugié en Algérie», lit-on dans le petit résumé de ce livre qui confirme de plus en plus le grand talent de Boualem Sansal qui est venu à l’écriture grâce à l’encouragement de son ami l’écrivain Rachid Mimouni. Ingénieur de son état qui a déjà à son compte un doctorat en économie, enseignant à l’université, chef d’entreprise et haut fonctionnaire, cet écrivain a publié son premier roman «Le serment des barbares» en 1999, chez Gallimard. Un livre qui a été bien salué par la critique mais qui a valu à son écrivain son poste de travail. Guidé par cet amour fougueux pour l’écriture, Boualem Sansal n’a pas baissé les bras et c’est avec «Harraga» son 4e roman que la reconnaissance a été rendez-vous.


Mais avec «Le village de l’Allemand», les choses sont encore floues du côté de son pays natal. «Je pensais que mon livre serait utile là-bas, qu’il ouvrirait le débat. Au lieu de quoi, je suis accusé d’être manipulé par les Occidentaux, d’apporter une caution internationale à Israël ou encore de relayer la propagande de Sarkozy qui reçoit Shimon Peres. Je me fais même traiter de fou…» a souligné cet écrivain algérien dans une interview accordée à la revue «Lire» suite à la cérémonie de remise du prix RTL- Lire 2008.

I.A.

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Les librairie Claire Fontaine organiseront deux rencontres en ce mois de Ramadan. La première se tiendra à la librairie Claire Fontaine-La Marsa, le mercredi 19 octobre 2005. L’auteur algérien Bouâlem Sansal présentera son dernier ouvrage «Harraga». La soirée débutera à 20h30. Le seconde, qui se déroulera à l’Espace Claire Fontaine à El Menzah VI, sera consacrée à Youssef Seddik, qui présentera «Nous n’avons jamais lu le Coran ». L’événement aura lieu le jeudi 20 octobre 2005 à 21h00.
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http://passouline.blog.lemonde.fr


06 mars 2008

L’angoisse et le dégoût de Boualem Sansal

Qui en douterait ? Le dernier roman de Boualem Sansal a été très mal reçu chez lui en Algérie. Il a l’habitude. Sauf que cette fois, le malaise s’installe si durablement et la menace se fait si insidieuse que l’angoisse est quotidienne. Au point de le pousser à s’exiler. Il n’envisageait pas jusqu’alors de vivre ailleurs que dans son pays, malgré tout, ce qu’il m’a confié tout à l’heure à l’issue d’une longue conversation à bâtons rompus à Bruxelles. Il faut dire que Le Village de l’Allemand ou le Journal des frères Schiller (265 pages, 17 euros, Gallimard), son cinquième roman depuis Le Serment des barbares qui l’avait révélé, raconte une histoire pour le moins explosive.

Les deux narrateurs sont deux frères nés d’un couple dit mixte : mère algérienne, père allemand. Celui-ci est un moudjahid nimbé de l’auréole de ceux qui ont combattu héroïquement pour arracher l’indépendance aux Français. A ceci près qu’il eut un autre passé pendant l’autre guerre, celle du IIIème Reich… A travers leur Journal, les deux frères évoquent tant la découverte de la solution finale par un jeune Arabe que la récente guerre civile algérienne et la vie des immigrés dans les cités dans la France de la fin du XXième siècle. Trois raisons d’appuyer là où ça fait mal. L’action se situe à Aïn Deb, près de Sétif, où les islamistes du GIA massacraient à la chaine il y a peu encore. Le nom est inventé mais c’est bien ce coin là où vécut autrefois celui que les gens du crû appelaient “l’Allemand”. La vérité et la force de ce roman ne surgissent pas seulement de son authenticité, mais aussi de sa recherche formelle.

Lakhdar Hamina, la fameux réalisateur de Chronique des années de braise, prit même son téléphone pour le confirmer à Sansal :” Ton type, je l’ai connu. Même qu’on l’appellait comme ça, Al Almaani, l’Allemand !”. Pour écrire cette histoire, l’auteur n’a pas seulement enquêté sur le personnage en interrogeant les témoins locaux ; il s’est documenté sur les liens historiques entre nazisme et monde musulman. “C’est pour ça qu’aujourd’hui, on ne me lâche pas, me dit-il. Ils sont persuadés que j’ai tout inventé pour nuire à l’image du FLN en mêlant les anciens nazis à la guerre de libération de l’Algérie”. Et Boualem Sansal de regretter que malgré l’excellent accueil de la presse française, nul n’ait osé creuser dans le roman et aller au fond des choses. Explorer les liens historiques entre islamisme et nazisme. Il cite bien sûr le grand mufti de Jérusalem Al Husseini et ses visites auprès d’Hitler, mais aussi Hassan El Banna, le fondateur des Frères musulmans, qui en fit autant, sans oublier un personnage inconnu des Français mais bien connu des Algériens qui s’intéressent aux racines idéologiques du FIS (Front Islamique du Salut) : Mohamdi Saïd, le troisième du trio (avec Madani et Belhadj) qui fonda l’organisation ; or, avant cela, et avant d’être ministre de Ben Bella et dignitaire du FLN, cet homme s’était engagé volontaire à 19 ans sous l’uniforme allemand en pleine guerre. Uniforme sous lequel il fut promu officier, engagement qu’il ne renia jamais.

Boualem Sansal est formel : “Il y a incontestablement un courant national-socialiste qui irrigue la pensée islamiste et l’on sait parfaitement d’où il vient. Les textes sont là, il suffit de les étudier. Mais ce que me reprochent les Algériens, ce n’est pas de le dire, ça comme le reste, mais de le dire en France. Ils veulent que ça reste entre nous”. Et Sansal de dénoncer “l’ambiguité et le double langage” des intellectuels arabes, un pusillanimité dont il se dit “dégoûté”. Après sa lettre encolérée à ses compatriotes publié en 2006 sous le titre Poste restante, Alger, le nombre de ses ennemis avait déjà augmenté. Aujourd’hui, la vie devient de plus en plus difficile pour lui dans sa petite ville de Boumerdès (ex Rocher noir), à 50 kms d’Alger. Il ne peut plus retrouver de travail en dépit de sa formation et de son passé à l’Institut de gestion du BIT, et sa femme a été mise à la retraite anticipée de son poste de professeur de mathématiques. A chaque demande, des réponses dilatoires et des fin de non-recevoir. Les menaces fleurissent sur les blogs :”Sansal, souviens de Djaout et Matoub …”, mais comment pourrait-il oublier l’écrivain et le chanteur kabyles assassinés. “Tous les matins, j’ai ma photo dans la presse, ou un article, pour me traîner dans la boue ou me traiter de malade mental. Le voisinage me regarde d’un sale oeil. Angoissant, non ? En tout cas, on ne supporte plus. Il faut savoir que Bouteflika (le président algérien), c’est Poutine+Ahmadinedjad. Vous voyez ? Un autocrate mégalomane suffisamment proche des islamistes pour leur confier la moitié de ses ministères.” Toutes choses énoncées sans que jamais il ne se départisse du calme, de la maîtrise et de la douceur qui le caractérisent.

Persuadé à juste titre qu’on lui fait payer le succès de ses livres en France, il n’en éprouve aucun regret pour autant. Sa pugnacité et son courage le singularisent, surtout à un moment où l’on voit un écrivain tel que Yasmina Khadra accepter de son gouvernement le poste aussi officiel que politique de directeur de l’Institut culturel algérien à Paris. Mais aujourd’hui, alors que tout se crispe autour de lui, Sansal se sent désormais coincé. Que faire alors ? Partir peut-être. D’autant que cela ne s’arrangera pas avec sa dernière prise de position : il est de ceux qui boycotteront l’appel au boycottage du Salon du livre de Paris, jugeant absurde que des écrivains arabes tiennent des écrivains israéliens pour responsables de la politique de leur gouvernement au lieu de les considérer exclusivement comme des représentants de leur littérature. ”J’irai, je participerai et je dédicacerai bien sûr !”. A propos, si Boualem, prénom berbère qu’on ne trouve qu’en Algérie, signifie “étendard”, Sansal n’est le porte-drapeau de personne. Un écrivain, juste un écrivain.
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07- Boualem Sansal en liberté


Boualem Sansal en liberté

ALGÉRIE - 6 mai 2007 - par JEAN-MICHEL DJIAN, ENVOYÉ SPÉCIAL À ALGER
Pour l’auteur du Serment des barbares, l’Algérie existait avant l’islam. Dans son dernier livre, il invite ses compatriotes à assumer l’intégralité de leur héritage historique. Et s’en explique à notre collaborateur.


Quand on l’observe, les deux mains dans les poches de son jean, les cheveux longs grisonnants, le buste en avant, le regard absorbé derrière ses lunettes cerclées, on dirait un jeune étudiant pétulant, heureux d’apprendre. Dans cette cour du Centre culturel français d’Alger, l’auteur du Serment des barbares (Gallimard 1999) est à son aise. Il vient ce mardi 10 avril partager un moment avec ses pairs à l’occasion d’une rencontre inédite entre écrivains algériens et subsahariens. Boualem Sansal est, ici, précédé d’une nouvelle réputation : il fait partie de ces 44 écrivains qui - avec Érik Orsenna, Édouard Glissant ou encore Alain Mabanckou - ont signé le « Manifeste d’une littérature-monde » (voir J.A. n° 2410) qui irrite tant l’institution francophone, parce que voulant s’en affranchir. Il n’en a cure. « Nous avons besoin de respirer, de voir plus loin, c’est tout. »
Sa parole est libre, sa figure respectée, son propos écouté. Voilà quatre ans (et quatre romans) qu’il s’est mis en accord avec lui-même. « Depuis le moment où j’ai été amené à quitter l’administration de mon pays pour incompatibilité entre l’exercice de mon statut de directeur général de l’industrie et celui d’écrivain. En fait, depuis le jour où j’ai affiché mes prises de position critiques sur l’arabisation de l’enseignement. D’ailleurs, c’est depuis ce moment que je me laisse pousser les cheveux ! » Ce soir-là, c’est-à-dire la veille des attentats meurtriers du mercredi 11 avril (voir J.A. n° 2414), on discute entre autres choses d’Alger poste restante, son pamphlet sorti l’année dernière (toujours chez Gallimard), mais surtout de son dernier opus, ce Petit éloge de la mémoire dont tout le monde parle et qu’on s’arrache à coups de photocopies ou de piratage sur Internet. Car, ici, aucun média ne l’a mentionné. Mais comme l’Algérie entière regarde la télé… française, tout le monde est au courant.
« Ce n’est pas grave, les livres sont comme l’air, ils trouvent toujours un moyen de circuler au nez et à la barbe des gardiens, la preuve… » Quatre mille ans d’histoire en 144 pages pour 2 euros, qui dit mieux ? « On ne le croirait pas, des dizaines de peuples sont aujourd’hui sans mémoire. J’entends la mémoire longue qui plonge ses racines dans le lointain. Tout le monde musulman est dans cette situation aberrante. L’islamisation de ces peuples s’est faite sur le reniement de leur passé. » Y a-t-il un mot pour désigner ce déni ? « Les musulmans qualifient leur passé anté­islamique de djahiliya, c’est-à-dire l’ère des ténèbres et de l’ignorance. Ils refusent d’y regarder. Le musulman n’a d’autres histoires que celle de l’islam. »
Mais toutes ces traces archéologiques, ces vestiges… Ils ne serviraient donc qu’aux touristes ? « Oui, ce patrimoine ne fait pas partie de l’identité nationale. Les musulmans se sont plu à effeuiller leur propre histoire à mesure que l’islam se fractionnait en écoles, en dynasties : sunnites, chiites, kharidjites, wahhabites, fatimides… Chacun privilégiant ceci, effaçant cela. Et puis, comme on le faisait en Union soviétique au XXe siècle en convoquant après chaque retournement le Politburo, on décide de faire endosser toutes nos contorsions par les “Maîtres de la vérité”. »
En Algérie, où il réside, la mémoire collective est au plus mal. On le voit bien, lui le sent, il ose et écrit. Il s’emploie à trouver les mots pour convaincre, quitte à embrasser l’Histoire sans retenue. « Mes compatriotes ne se souviennent plus qu’ils sont des Berbères, des Africains présents dans leur pays depuis le Néolithique, ils se déclarent nés arabes venus en Algérie avec les vents de l’Islam, effaçant ainsi plusieurs millénaires de leur mémoire. »
Alors Petit éloge de la mémoire se propose de recoudre les morceaux. L’auteur le fait avec élégance, rigueur, simplicité. Sansal ne s’embarrasse pas de nuances, il vise juste, c’est tout. À 57 ans, il jubile de son statut inattendu d’« écrivain-sur-le-tard » tout en profitant du bien-être que procure la jouissance de la réflexion en apnée, les vertus de l’esprit en activité. Si le sien est fécond, rien ne dit que son influence est à la hauteur des risques personnels qu’il prend. « On voit en moi le révisionniste, le négationniste. On dit que j’attente à l’unité du peuple, à son histoire, à son honneur, et que je nourris de sombres nostalgies. » N’est-ce pas son ami Abdellatif Laâbi qui disait que les écrivains maghrébins ne sont tout au plus qu’une « rumeur » dans leurs pays ? « Eh bien, répond Sansal, je suis une rumeur scandaleuse un point c’est tout ! »
En attendant, il risque sa vie, en particulier quand il rejoint sa famille à Boumerdès, à 50 km à l’est d’Alger, une région où malgré un dispositif militaire sophistiqué rien n’a jamais pu être sécurisé. « Je vis un profond malaise. Je me sens comme le mouton noir de la bergerie. Alors, je suis invisible. Je vis dans le repli total. Lecture, télé, écriture sont les trois axes de mon emploi du temps. Heureusement, je voyage souvent et je ne regarde jamais l’heure quand je sors le soir. » Et puis le lendemain à 11 heures des bombes éclatent. Le pays s’arrête. « Triste ironie du hasard, j’écrivais une chronique autour de l’idée qu’il régnait sur terre comme une ambiance de guerre imminente… »
Lui est convaincu que la violence va perdurer, et qu’en Algérie « le trio infernal nationalisme/terrorisme/islamisme a chassé la vie libre de l’espace public. Elle a reflué dans la sphère privée. Les Algériens sont parmi les plus gros téléphages du siècle. C’est la seule façon d’échapper au réel tout en regardant ailleurs. Vous avez vu les façades de nos beaux immeubles d’Alger : ils sont défigurés par les paraboles, tout un symbole. » La colère monte. Silence. « Je suis en train de tourner la page, je le sens. » D’ailleurs, pour la première fois, la plus grande partie de l’histoire (vraie) de son prochain roman (celle d’un ancien officier SS qui s’est réfugié en Algérie) ne se déroulera pas dans son pays mais en Allemagne.
Pour l’heure, l’ancien haut fonctionnaire d’État, ingénieur devenu écrivain, est encore sous le choc des attentats. Mais, serein, il explique simplement, calmement : « Cette maudite manne pétrolière qui aiguise les appétits et étend ses tentacules de la corruption empêche radicalement toute évolution positive. L’affaire Khalifa est là pour témoigner des ravages que peut produire la rencontre d’une rente aussi généreuse avec une classe dirigeante aussi pauvre en morale publique. » Tout est dit.

in: http://www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_jeune_afrique.asp?art_cle=

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06- Sansal, un conteur insolite. Par Semmar Abderrahmane

Boualem Sansal…Le conteur insolite

Par Semmar Abderrahmane

Il y a dans la vie et la carrière de Boualem Sansal (né en 1949, vit à Boumerdès près d'Alger) un avant et un après. Tout bascule à la fin des années 1990. Jusque-là, il s’est exclusivement passionné pour les théories économiques et les turboréacteurs. Il est haut fonctionnaire au ministère algérien de l’Industrie. Et puis, à près de 50 ans, sous le choc de l’atroce guerre civile qui dévaste l’Algérie, et grâce à son amitié avec l'écrivain Rachid Mimouni qui l'incite à écrire, il se lance dans l’écriture. En 1999, il adresse par la poste à l’éditeur français Gallimard le manuscrit d’un roman. Le Serment des barbares - c’est le titre de cet ovni littéraire - est aussitôt accepté et connaît un succès considérable. En France et dans le monde entier. Il sera suivi de trois autres œuvres de fiction : L’Enfant fou de l’arbre creux (2000), Dis-moi le Paradis (2003) et Harraga (2005), qui sont autant de témoignages impitoyables sur la société algérienne d’aujourd’hui. On imagine aisément qu’en découvrant l’œuvre littéraire de ce grand commis de l’État sa hiérarchie n’ait pas été transportée d’enthousiasme. En 2003, à la suite d’une énième interview, il est limogé de la fonction publique. Avec la publication de son dernier livre, toujours chez Gallimard, Poste restante : Alger. Lettres de colère et d’espoir à mes compatriotes, Boualem Sansal aborde un nouveau genre, le pamphlet. Nouveauté relative, d’ailleurs, puisque ses romans ne sont évidemment pas dépourvus de cette dimension. Poste restante ne fait pas dans la dentelle. Sansal s’y livre à un véritable jeu de massacre contre les mythes fondateurs de la République algérienne démocratique et populaire, des « constantes nationales » à la « famille révolutionnaire ». Il n’épargne ni les jeunes émeutiers d’aujourd’hui, ni la passivité - pour ne pas dire la complicité - d’une large fraction des intellectuels et de la société civile. Bref, c’est le coup de gueule d’un écrivain tout à la fois contre le pouvoir et contre les islamistes. Contre la télé et contre la mosquée. Contre l’arabité et contre le pétrole. Contre l’amnistie et contre l’oubli. C’est la marque d’un écrivain qui condamne la médiocratie et lutte contre la voyoucratie. En voici un extrait qui nous donne un large panorama sur la portée de cette oeuvre :

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« En France, où vivent beaucoup de nos compatriotes, les uns physiquement, les autres par le truchement de la parabole, rien ne va et tout le monde le crie à longueur de journée, à la face du monde, à commencer par la télé. Dieu, quelle misère ! Les banlieues retournées, les bagnoles incendiées, le chômage endémique, le racisme comme au bon vieux temps, le froid sibérien, les sans-abri, l'ETA, le FLNC, les islamistes, les inondations, l'article 4 et ses dégâts collatéraux, les réseaux pédophiles, le gouffre de la sécurité sociale, la dette publique, les délocalisations, les grèves à répétition, le tsunami des clandestins...

Mon Dieu, mais dans quel pays vivent-ils, ces pauvres Français ? Un pays en guerre civile, une dictature obscure, une République bananière ou préislamique ? A leur place, j'émigrerais en Algérie, il y fait chaud, on rase gratis et on a des lunettes pour non-voyants. »

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On ne peut parler de Boualem Sansal sans citer son premier roman Le serment des barbares qui l’a révélé au public et avec lequel il s’est retrouvé en lice pour plusieurs prix littéraires. Cette première œuvre fut aussi l’objet d’une adaptation cinématographique par le réalisateur Costa Gavras chez Toscan du Plantier. Sous la forme d'un roman policier, Boualem Sansal avec son premier roman, signe un réquisitoire enflammé, au style puissant et généreux contre l'histoire du dernier demi-siècle en Algérie. Deux hommes sont assassinés. Moh est un parrain de la région, richissime, intouchable, mouillé dans tous les trafics, toutes les corruptions et Abdallah Bakour, un pauvre type, un anonyme. Cette deuxième enquête est confiée à Larbi, un vieux flic usé. En remontant les pistes, il démonte petit à petit les rouages de la dérive du pays. Ce premier roman remarqué par la critique est décrit par l'éditeur (Gallimard) comme une épopée rabelaisienne dans l'Algérie contemporaine.

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« … Les vivants sont des morts qui s'ignorent, des morts qui délirent. On ne peut à ce point se leurrer sans parvenir un jour à ses fins. On ne peut à ce point fréquenter les morts sans finir par leur ressembler. On ne peut à ce point parler de la mort sans oublier de vivre.

Cruelle et sans joie, cette aberration tragique fait notre bonheur. Et nous, amants gâteux, lui sacrifions sans compter, avec au ventre la peur d'être à court d'ennemis et de manquer à l'appel du devoir. Mort, amour, parle-nous de tes débordements sans cesse renouvelés et cesse les infidélités que tu nous fais sous d'autres cieux.

(…) Ce pays n'est pas gai; un sortilège le maintient au plus bas de la vie, et son peuple, tributaire de ses chaînes, le hante comme un fantôme vadrouille dans sa demeure. » (p. 215)

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Dans son deuxième roman L'Enfant fou de l'arbre creux, Boualem Sansal montre toute sa générosité satirique. Il confronte deux destins dans une épopée truculente et lucide, émaillée de paraboles sur un pays dévasté par la violence, la méfiance et la corruption. En Algérie, Pierre Chaumet, un informaticien français, croupit avec Farid, un criminel du cru, dans le bagne de Lambèse. Un Français condamné à mort dans un bagne algérien, voilà de quoi affoler l’opinion internationale. Une commission d’inspection se met en place pour tenter de négocier sa libération. Inquiètes de cette agitation nuisible à leurs trafics, les autorités de la région envisagent d’organiser son évasion. En attendant ce moment, Pierre et Farid enfermés dans leur cellule se racontent l’un à l’autre, à coup de longs monologues. Né en Algérie dans les années 50, le Français décide à la mort de sa mère de sillonner clandestinement le pays pour découvrir ses origines. Ce pèlerinage familial exhume une sordide affaire d’avant l’indépendance qui conduira Pierre directement à Lambèse. Quant à Farid, jeune délinquant confronté aux maux de son pays, il a choisi la violence pour ne pas perdre la raison tout en rêvant de Las Vegas. Une amitié se tisse avec en fond, le quotidien du bagne. Entre les appels du muezzin, un enfant fou, enchaîné à un arbre creux au centre de la cour, rythme la vie des prisonniers de ses cris et de ses pleurs. L’aile des Chevelus, fous de prières, d’armes et de violence, menace toujours d’embraser cet équilibre précaire. L’espoir balaie le livre de part en part même si les racines du mal plongent dans l’histoire de chaque individu comme Pierre Chaumet en fait l’expérience. Dis-moi le paradis, le troisième roman de Boualem Sansal, a lui aussi bénéficie d’un formidable accueil. Pierre Assouline, numéro un de la revue Une, l’une des grosses pointures de la critique littéraire française a dit lors de la parution de ce livre : « Il faut s’habituer à ce nom, il faudra du temps certainement pour reconnaître que le meilleur écrivain actuel de langue française est Algérien ! moi, je trouve cela plutôt réconfortant !» Ce roman a pour cadre un bar (le bar de l’Amitié) sur les hauteurs de Bab El-Oued où le patron Ammi Salah, ancien maquisard qui en a vu des vertes et des pas mûres, «donne à causer». Chacun a son histoire à raconter, sa vision de l’avenir ou du passé à faire valoir ou à inventer. De ces tonitruantes controverses émerge plus particulièrement l’histoire de Tarik, l’un des habitués du bar, médecin dans un hôpital d’Alger. Tarik raconte comment il a récemment traversé l’Algérie en compagnie de deux de ses cousines, revenues de l’étranger pour aller voir leur mère mourante dans le sud du pays. Un personnage mystérieux incarne le désarroi du peuple algérien : c’est un enfant mutique recueilli en route par Tarik, qui garde les yeux grand ouverts sur un passé indicible. Le voyage permet à Tarik de dresser un inventaire de l’Algérie contemporaine, entre farce et cauchemar, et son récit autorise les ivrognes volubiles du bar de l’Amitié à déployer leurs précieux commentaires. On retrouve dans ce roman la verve rabelaisienne de Boualem Sansal, ses critiques cinglantes ou cocasses, son exceptionnelle vitalité littéraire. Cette oeuvre témoigne aussi de l’ancrage du génie romanesque de Sansal dans le réel et dans l’histoire brosser un portrait critique de l’Algérie d’aujourd’hui, avec un piment d’humour noir et de son de glas. Harraga, son quatrième livre, démontre que Sansal est d'abord un excellent romancier, l'un des écrivains encore capables de faire briller la langue pour restituer une réalité sociale complexe et angoissante. Ce dernier roman témoigne avec éloquence des tendances troublantes qui traversent la société algérienne. Harraga signifie «brûleur de route». C'est ainsi que l'on surnomme, les milliers de candidats à l'émigration qui préfèrent «mourir ailleurs que vivre ici». Quand, dans sa grande maison d'Alger, Lamia, une pédiatre célibataire, cultivée et arrogante - autant dire une paria - recueille Cherifa, la lolita extravagante qui frappe un soir à sa porte, c'est un choc. De toute sa famille, il ne reste à Lamia qu'un frère, un harraga dont elle était sans nouvelles. Or Cherifa se recommande justement de ce frère dont elle est enceinte de cinq mois. Jusqu'ici, Lamia, misanthrope au grand cœur, s'était réfugiée dans ses rêves, la folie douce et le deuil. Le silence était son refuge; l'errance, sa quête. Pour oublier la chape de plomb d'une société policière et misogyne où l'on abandonne les petites filles dans les décharges publiques, elle berçait, «à l'heure où l'âme ne tient plus au corps que par un fil d'argent», ses souvenirs heureux et les fantômes dont la vieille maison est remplie. En débarquant dans sa vie, Cherifa la tornade - «un scandale ambulant qui aurait échappé au courroux d'Allah» - l'oblige à revenir sur terre, à se battre, à s'interroger. Et à revivre. Las, quand Lamia finit par craquer pour cette gosse perdue et tente de l'éduquer comme sa fille, l'adolescente disparaît. Veut-elle brûler la route ou se brûler les ailes?

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« Une maison que le temps ronge comme à regret. Des fantômes et de vieux souvenirs que l’on voit apparaître et disparaître. Une ville erratique qui se déglingue par ennui, par laisser-aller, par peur de la vie. Un quartier, Rampe Valée, qui semble ne plus avoir de raison d’être. Et partout dans les rues houleuses d’Alger des islamistes, des gouvernants prêts à tout, et des lâches qui les soutiennent au péril de leur âme. Des hommes surtout, les femmes n’ayant pas le droit d’avoir de sentiment ni de se promener. Des jeunes, absents jusqu’à l’insolence, qui rêvent, dos aux murs, de la Terre promise. C’est l’univers excessif et affreusement banal dans lequel vit Lamia, avec pour quotidien solitude et folie douce. Mais voilà qu’une jeune écervelée, arrivée d’un autre monde, vient frapper à sa porte. Elle dit s’appeler Chérifa, s’installe, sème la pagaille et bon gré mal gré va lui donner à penser, à se rebeller, à aimer, à croire en cette vie que Lamia avait fini par oublier et haïr »

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Si ce dernier roman de Sansal, qui s'inspire de faits authentiques, relève du réquisitoire contre un pays où le soleil ne brille que pour certaines personnes, il s'agit avant tout d'une magnifique oeuvre. Un conte moderne plein d'histoires, de rêves, de personnages, où les vieux sont des parchemins, les maisons des poèmes et les villes des catins, comme Alger, la ténébreuse, qui demande «un mois d'amertume pour cinq minutes de plaisir». L'espérance dans cet univers devient malheureusement un luxe. Mais espérant quand même que cet écrivain talentueux continuera à briller à travers ses écrits dans l’univers des plumes.

Semmar Abderrahmane In : http://www.limag.refer.org/Textes/Semmar/Sansal.htm

05- LES ARCHIVES

http://www.prochoix.org/cgi/blog

"Poste restante Alger" censuré par le gouvernement algérien (Boualem Sensal)

Ci-joint un résumé rédigé par B. Sansal de la carrière de "Poste restante, Alger" en Algérie, aujourd'hui interdit de diffusion. Dans un précédent mail, Boualem précisait que son livre étant sur liste noire, il devient désormais un délit de l'acheter et de le faire circuler (cependant les photocopieuses, dit-il, fonctionnent à plein régime!)

« Poste restante Alger » sous-titré « lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes » a été publié en mars 2006 par Gallimard. Dans l'ensemble, il a été bien accueilli en France par la critique et les lecteurs.

C'est par la presse française distribuée en Algérie et notamment par Le Nouvel Observateur qui lui a consacré deux pages dans le N° 2158 du 16 au 22 mars 2006, et Jeune Afrique qui en fait une présentation suivie d'une interview de quatre pages dans le N°2359 du 26 mars au 1er avril 2006, que les Algériens ont appris la parution de Poste restante et les grandes lignes de son contenu. Les journaux qui ont pu obtenir des exemplaires par leurs correspondants à Paris en ont fait la critique.

Je cite les papiers en ma possession : - Dans son tirage du 23 mars 2006, El Watan, l'un des tout premiers journaux algériens d'expression française, lui a consacré un quart de page à la une. Lhttp://www.prochoix.org/cgi/blog/ecrire/images/bt_strong.png'article se termine par cette phrase : Lisez-là (la lettre) et surtout faites-là lire, parce que l'Algérie ne peut rester pas comme ça. - Dans son tirage du 24 mai 2006, en un page entière, le même journal publie la réponse d'un universitaire et collaborateur du journal qui commence ainsi : Votre livre est à lire, à relire, il faudrait même qu'il le soit en boucle. - Le 25 avril, le journal arabophone El Khabar livre à ses lecteurs, sans autre explication, ce qui se veut un scoop : Le livre de Boualem Sansal, ‘Poste restante Alger' est interdit de distribution en Algérie. A partir de là, les rumeurs les plus incroyables se sont mises à circuler et à enfler, comme s'il y avait un moteur derrière. - Au début du mois de mai, le journal Liberté, d'expression française, dans un article d'une page consacré au salon du livre de Genève (25 avril-2 mai) dont l'Algérie était l'invitée d'honneur, apprend à ses lecteurs que notre ministre de la culture, Mme Khalida Toumi, aurait déclaré : « Il est hors de question que je touche la main d'un écrivain qui ose affirmer que la guerre de libération n'a pas fait un million et demi de martyrs ». Elle aurait lancé cela en m'apercevant devant le stand de l'Algérie qu'elle venait visiter accompagnée d'une forte délégation. Je me suis souvenu l'avoir vue rebrousser chemin mais sur le coup je n'avais pas compris que son geste devait tout à ma présence sur son chemin. Nous avions pourtant, jusque-là, des contacts très cordiaux.

Poste restante a été importé en Algérie par EDIF2000, une société algérienne privée d'édition et de diffusion. L'importation de livres en Algérie est soumise à visa préalable délivré par la direction du livre du ministère de la culture. Le gérant d'EDIF a introduit sa demande à la mi-mai. Ne voyant pas venir de réponse, il s'est présenté au ministère de la culture, et là, il lui a été signifié verbalement que le visa ne lui serait pas accordé.

Il est évident que la décision d'interdire Poste restante a été prise à d'autres niveaux, le ministère de la culture n'a eu pour mission que de la notifier verbalement.

Boualem Sensal

samedi 3 juin 2006


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www.culturesfrance.com/librairie/derniers

© Notre Librairie. Revue des littératures du Sud.
N° 146. Nouvelle génération.
Octobre - Décembre 2001

« La démocratie naissante, au lieu d’arrondir les angles, a aiguisé les couteaux. » Le Serment des barbares
.
On peut s’interroger sur la vocation tardive, et donc la reconnaissance récente de l’écrivain Boualem Sansal. Haut- fonctionnaire au Ministère de l’industrie à Alger, il avait jusqu’alors publié des manuels techniques. En 1999, à l’âge de cinquante ans, l’auteur nous livre son premier roman, une fresque poignante sur son pays. La découverte du Serment des barbares devient très vite un événement au sein de cette littérature algérienne d’expression française. À lire cet écrit violent, cru et réaliste qui propose une plongée saisissante et sans concession dans l’Algérie contemporaine, on est fortement saisi par la rigueur du ton, la finesse du style et surtout la qualité esthétique d’une langue dense, colorée et inventive. Et l’on se demande quelles sont les raisons qui ont pu pousser un haut-fonctionnaire, « un bonhomme du système », à briser le
silence et à mettre à nu une réalité amère et trop longtemps
voilée.

La voie de la création littéraire : un simple concours de circonstances...
De par sa profession initiale, Boualem Sansal était amené à côtoyer les hommes influents du parti unique, accusés plus tard d’avoir détourné les richesses du pays à leur profit. Il devenait alors un observateur privilégié de ce royaume de l’excès, de la corruption institutionnalisée, des luttes de clan au sein du pouvoir, du mensonge, de l’hypocrisie et de la perte d’identité. Autant d’éléments qui l’ont conduit à une prise de conscience. Confronté à cette nécessité d’agir, il se place en marge de ce monde pour pouvoir donner libre cours à sa plume épousant les contours d’une dénonciation virulente qui exprime sa colère et son amertume. Aussi, les événements tragiques qui ont ensanglanté le pays à partir des années quatre-vingt-dix ont-ils provoqué chez l’homme silencieux un besoin de témoigner de sa désolation, du refus de voir son peuple sombrer dans un bain de sang : « C’était en 1995. L’obscurité était totale. Que faire ? Partir ? Se cacher ? J’étais en colère. J’ai réagi de cette manière »
. Il s’était tu pendant trop longtemps. Il s’est décidé à emprunter la voie de la création littéraire lorsque se sont rencontrés, au fil du hasard, son intérêt personnel pour certains problèmes et la réalité tragique dans laquelle son pays avait sombré.

Un dénonciateur engagé
Dans un contexte où l’intellectuel, qu’il soit homme ou femme, est menace, Gallimard lui a suggéré de publier son manuscrit sous pseudonyme. Mais Sansal a refusé. « Il faut assumer », dit-il, affirmant par là son courage et annonçant son engagement, lui, qui n’avait eu, jusqu’alors, aucun parti pris. Pour l’écrivain, écrire c’est vaincre la peur de ce qui peut arriver demain ou dans l’instant. Écrire, c’est aussi apaiser l’immense souffrance de ne pas pouvoir s’afficher parce que les assassins peuvent frapper à n’importe quel moment. Écrire, c’est enfin une question d’urgence et d’actualité pour exprimer le goût amer de l’exclusion, de l’éloignement et du silence. Dans cette perspective, son premier roman brosse un tableau apocalyptique de l’Algérie d’aujourd’hui. Cette Algérie malade de son destin depuis
qu’elle en a la maîtrise, condamnée à la violence physique et morale depuis son indépendance. La puissance créatrice de ce roman dépasse les contingences
historiques et les drames qui les ont suscitées. Plus qu’un témoignage, cet écrit se présente comme un réquisitoire contre tout ce qui s’est passé en Algérie depuis l’indépendance. En fait, Sansal ne regrette pas une seule phrase de son roman : « Je relate la situation de manière crue et violente. Lorsqu’il s’agit de choses extrêmes et douloureuses, je ne peux accepter la prudence, cela me semble être une forme mièvre de la lâcheté. Ici, le style allusif ne sert à rien».



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http://balkans.courriers.info/article6343.html

Sarajevo
7es Rencontres européennes du Livre de Sarajevo
Centre André Malraux
Publié dans la presse : 18 mai 2006
Mise en ligne : dimanche 21 mai 2006

du 15 au 21 mai 2006


7èmes Rencontres Européennes du Livre de Sarajevo

Ouverture officielle le jeudi 18 Mai 2006 à 18h (Vijećnica)

Du 14 au 21 Mai, projections de films, ateliers de traduction, leçons de cinéma, tables rondes, rencontres dans les écoles, expositions, etc. ponctueront cette 7ème édition des Rencontres Européennes du Livre de Sarajevo. Le Centre André Malraux est heureux de vous communiquer ci-dessous le programme des trois rencontres consacrées à la ville.

Plus encore que le précédent, le 21ème siècle sera celui des villes ogresses, aspirant vers leurs ventres furieux les cohortes venues des campagnes. Les villes semblent désormais le creuset de toute vie. Lieux de rencontres insolites, de perditions délicieuses ou atroces, de vagabondages, d’inventions infinies, de révoltes et d’émeutes, de guerres et de réconciliations, elles sont à la fois des matrices surproductives de littérature et des personnages à part entière, monstres de pierre, de bitume et de sang.

James Joyce, Alfred Döblin, Milan Kundera, Robert Musil, Truman Capote, Mikhaïl Boulgakov, Louis Aragon, Walter Benjamin avaient investi et révélé les rues de Dublin, Berlin, Prague, Vienne, New York, Moscou ou Paris ; aujourd’hui Le Cap, Alger, Dublin, Londres, Trieste, Sarajevo sont chantées et enchantées par André Brink, Boualem Sansal, Robert Mc Liam Wilson, Giorgio Pressburger, Abdullah Sidran, Miljenko Jergovic et tant d’autres. Mais la ville aimée, objet de passions et de nostalgies est aussi la ville qui souffre et qui fait mal, hantée par la misère et la maladie, l’injustice sociale, les haines communautaires, la solitude. Les écrivains invités à ces septièmes Rencontres parleront de leurs villes à l’heure de la mondialisation, des immigrations forcées, des fractures sociales et des quartiers blindés. Ils diront quelles marques la ville a imprimées sur leur œuvre, et ce qu’elle leur refuse. Ils tenteront de répondre aux questions qui se posent sur la place qu’elle réserve aux artistes, aux pauvres, aux inadaptés, aux marginaux.

Y a-t-il une vie après la ville ? Quels désirs peut-elle encore inspirer ? Quels espaces de convivialité et de mélanges sociaux ménage-t-elle encore, alors que le peuple est progressivement repoussé vers la jungle minérale des périphéries ? A la fin du 20ème siècle, Georges Steiner écrivait : « Les cafés font l’Europe. Ils vont de l’établissement préféré de Pessoa à Lisbonne aux cafés d’Odessa, hantés par les gangsters d’Isaac Babel. Ils s’étirent des cafés de Copenhague, devant lesquels passait Kierkegaard pendant ses promenades méditatives, aux comptoirs de Palerme. (... ) Dessinez la carte des cafés, vous obtiendrez l’un des jalons essentiels de la notion d’ Europe. » Pourrait-on aujourd’hui encore tracer une telle cartographie de la vie européenne, ou celle-ci a-t-elle reflué dans les appartements privés où la télévision impose son esthétique globale et définitive ?

- Vendredi 19 mai
Ville violente, ville aimée
La ville, ses luttes, ses conflits, ses cicatrices mais aussi ses bonheurs et sa vie à venir.

De 10h à 12h : Barcelone, Belfast, Budapest, Kaboul, Khartoum, Lhassa, Munich, Paris, Trieste.
Table ronde avec Gert Heidenreich, Robert McLiam Wilson, Jamal Mahjoub, Nenad Popović Giorgio Pressburger, André Velter
Animée par Jean-Marie Laclavetine

De 18h à 20h : Alger, Le Cap, Londres, Mexico, Paris, Ramallah.
Table ronde avec André Brink, Anne Brunswic, Patrick Deville, Hanif Kureishi, Jean Rolin, Boualem Sansal
Animée par Jean-Marie Laclavetine


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http://www.maisondesjournalistes.org/lire_eloge_memoire.php

"Petit éloge de la mémoire"

Par Abdoulaye Youlaké Camara

Quatre mille et une années ? Ce temps est vraiment long pourrait-on dire. Ce qui n’a pour autant pas empêché Sansal Boualem de faire un feedback rapide sur tout un pan de l’histoire du monde, l’histoire Egyptienne, la mère du monde.

Pour se faire aider dans cette quête du retour en arrière, il use de la nostalgie, cette sorte de mémoire qui nous permet de remettre en surface les bribes de notre histoire vécue, bribes enfouies dans notre subconscient. Un travail à la fois de géographe et d’historien, bref un travail à remonter le temps avec un clin d’œil à sa mémoire qui lui sert de boussole.

Ce roman "Petit éloge de la mémoire", à la fois littéraire et historique ne peut se raconter aisément que si le narrateur est nostalgique d’un temps "vécu" qui s’étiole sur plusieurs siècles. C’est plus de quatre mille ans d’histoire racontée que le narrateur met en exergue. Elle prend forme en Egypte pharaonique et connaît son épilogue dans l’Algérie d’aujourd’hui.

Le "Je" narrateur, à travers ses quatre mille années d’histoire, a connu plusieurs morts et plusieurs vies.
Un recommencement perpétuel d’une vie d’un bout à l’autre de l’histoire, une remontée sans fin vers des époques inconnues, pour la plupart des générations vivantes d’aujourd’hui, que le narrateur se désole de ne pas voir essayer de faire l'effort de se souvenir et se replonger dans leur histoire collective.

Pour raconter la vie de son peuple, les Numides d’hier, les Berbères d’aujourd’hui qui peuplent l’Algérie, le narrateur s’inspire de la mythologie égyptienne qui nous apprend que les Numides seraient venus de cette contrée où le Grand Fleuve prend sa source, quelque part dans le Cham, le Pays Noir. C’est en Egypte que le père et les pères du narrateur ont posé leurs ballots. Cela après cette époque de malédiction volcanique qui avait frappé la Numidie et poussé ses habitants à fuir leurs terres pour trouver refuge sur des terres beaucoup plus propices.

C’est en Egypte, à Thèbes, la ville aux cent portes, que le "je" narrateur naît pour la première fois. Dans cette Egypte d’où partent toutes les brillantes civilisations du monde. Pour mettre en évidence sa nostalgie de ces belles, glorieuses et douloureuses époques, le narrateur nous propose un tableau à vingt-six temps à travers lesquels, comme un sablier rempli de sable, il met un chrono en marche pour rattraper le temps perdu. Mais, dans cette recherche, la machine à remonter le temps ne fonctionne pas à plein régime. Il dénature au passage, certains pans de l’histoire, il se débat entre l’imaginaire et le réel, l’histoire et l’épopée.

Lors de sa première naissance, c’est l’Egypte qui lui montre la voie à suivre, lui et ses pairs. C’est son premier repère. Quant au second repère, c’est la Numidie, cette terre qu’il n’avait pas connu avant l’Egypte mais qui reste pour autant, celle de ses ancêtres venus chez Pharaon aux temps de l’exode. Et où ils ont retrouvé le bonheur perdu depuis des lustres.

Le deuxième repère du narrateur, la Numidie, s’ouvre sur le temps de l’errance. Pharaon que l’on croyait immortel n’était plus un dieu, des millénaires avant le narrateur, les Egyptiens l’avaient vénéré. À sa mort, le pays qui avait régné sur le monde depuis plusieurs millénaires commence sa décadence après avoir atteint son apogée.

L’Egypte éternelle, cette mère des civilisations, s’est disloquée, les citadelles sont tombées, les dieux sont morts en moins de temps qu’il n’en fallut pour les renverser de leur socle de granit et tout ce qui fut ne comptait plus pour rien. Les Pyramides, le Sphinx, l’obélisque d’Héliopolis, le temple de Ramsès II à Assouan, et toutes les gigantesques réalisations n’étaient qu’un entassement de pierres et ne défiaient plus que la pesanteur et les vents de sable. Cette chute de l’empire égyptien contraint le narrateur et ses pairs à un nouvel exode. C’est en Numidie qu’ils posèrent leurs ballots.

Une fois en Numidie, dans sa conquête à remonter cette histoire de quatre mille années, le narrateur fait un flash-back sur le temps de la légende, cette manière de raconter le passé et qui commence où l’histoire s’arrête. C’est en Numidie dans cette région du nord de l’Afrique que le narrateur naît pour une seconde fois et meurt plusieurs fois de suite.

Au temps de l’invasion, le narrateur semble être partagé entre la légende et l’histoire. Faisant revivre les incessantes agressions dont sa tribu a été victime. Cette invasion de la Numidie ne tient que sur de l’histoire racontée, difficile de trouver une voie à suivre. Toutefois, "on pouvait tout s’imaginer et l’on finit par y croire."

Après cette invasion de la Numidie, le chapitre suivant s’ouvre sur "le temps des marchands". C’est un crochet sur le peuplement de la Tunisie actuelle où de marchands marins peu scrupuleux se nommèrent carthaginois de Carthage. Une ville qui, de nos jours, est fréquentée par les touristes de tous bords qui viennent y dépenser leur argent. Ce chapitre traduit toute l’histoire du Moyen-Orient.

Carthage était une sorte de ville où il faisait bon vivre et où le commerce était florissant. Une belle parmi les belles où naquit pour une troisième ou une quatrième fois le narrateur, cette fois, dans l’habit du berger qui ne connaissait que ses moutons. Grâce à cette prospérité, Carthage pouvait maintenant se prévaloir d’une certaine vision politique basée sur les conquêtes. Surtout qu’elle avait à sa tête, un Suffète, une espèce de Roi dictateur.

À cette énième renaissance, le narrateur a trouvé la Numidie en pleine déconfiture, le désordre était à son comble, la misère affligeante et les divisions ethniques plus vivantes que jamais.

Ainsi, vient "le temps des héros" qui met en évidence un certain Massinissa, fils de Gaïa, Roi des Massyles et son trône se tenait à Zama, celui qui formula le vœu resté célèbre : "l’Afrique aux Africains". Un vœu qui n’est pas encore réalisé dans les faits d’ailleurs. "Comme il le voyait, l’Afrique est bien aux Africains mais, ses Rois et ses Raïs ont placé ses richesses en Amérique et leurs enfants les dilapident en Europe" se désole le narrateur.

Le temps des héros bientôt achevé, Massinissa en restera la figure emblématique. La Numidie était devant un nouveau choix, entrer dans le monde et s’y tailler une place ou le refuser et disparaître. Après deux mille ans d’errements, la Numidie était née et son peuple savait d’où il venait.

"Le temps du silence" est, selon le narrateur, une pause au niveau de sa mémoire. Sa nostalgie est mise en éveil et s’efforce de savourer ce temps qui lui manquait, lui et son peuple depuis plusieurs siècles. Eux qui venaient de si loin. Mais, une fois de plus, la Numidie a raté son entrée dans l’histoire et doit se contenter du peu.

C’est avec une grande amertume que le narrateur aborde cet autre pan de son histoire, une histoire triste d’une génératrice inconsciente : "Beaucoup de bruits pour rien, des millénaires entiers et tant de morts dans la résistance face aux envahisseurs, pour rien, pas grand-chose. Les tribus retournèrent à l’errance comme au temps de la malédiction et oublièrent ce qu’elles avaient été en Egypte, avant l’exode et ce qu’elles étaient devenues en Numidie au temps de leur grandeur retrouvée. Et longtemps après encore aujourd’hui, les noms des hommes qui ont façonné leur passé et leur ont légué au prix du sang, ne leur disaient rien et ne leur disent rien."

Iarbas, Gaïa, Massinissa, Syphax, Jugurtha, Juba 1er, Tacfarinas, Micipsa, Mathos, Septime Sévère, Caracalla et les noms des étrangers qu’ils ont combattus ou qui ont combattu avec, leurs noms ne leur disaient rien. Et avec lesquels la tribu du narrateur a eu des descendances et des lignées, leurs noms ne disaient rien à cette nouvelle génération d’aujourd’hui, une fois de plus, le narrateur aborde cette phase de son histoire avec peine.

Ces hommes méritants sont entre autres, Hasdrubal, Hannibal, Sophonisbe, etc. Mais, leurs noms ne disent rien à personne, ce sont des inconnus. Les Numides oublièrent leurs propres noms qui avaient longtemps raisonné d’un bout à l’autre de l’empire romain. "Jamais peuple n’avait renié ce qu’il fut !", s’indigne le narrateur.

Troisième repère : L’Algérie. Plusieurs temps se sont écoulés : Le temps des résistants, des mystiques, des persécutions, des poètes, des apologistes, le temps de la fin, du réveil, des zélateurs, des imams, etc. Dans cette course-poursuite nostalgique, le narrateur se retrouve en Algérie, un troisième repère pour lui.

Quand le narrateur est revenu à la vie après ce voyage intemporel, c’est en Algérie que le narrateur est revenu à la vie. L’Algérie sous l’emprise française et cela durait plus d’un siècle déjà. Il n’y a vu que du feu. "Dieu, où étais-je tombé", se demande-il. C’était l’époque des grands travaux où des villes poussaient comme des champignons. L’air était à la civilisation occidentale.

"Le temps présent, celui que nous vivons actuellement n’a pas été en reste dans cette nostalgie du narrateur. En peu de temps, ce présent envahissant et bouleversant de célérité a engendré deux guerres mondiales, un holocauste comme la terre n’en a jamais vu, des génocides en séries, des famines à répétition, etc."

Aux dires du narrateur, demain sera meilleur, il faut continuer de le croire comme nous l’avons toujours fait depuis le commencement des temps. L’Algérie, après mille batailles épiques livrées à travers le siècle, et sur toute l’étendue du territoire, elle accédait enfin à l’indépendance. Ces héros épiques, Massinissa, Jugurtha et autres peuvent dormir en paix dans leur tombe face vers le ciel.

Après ce dernier repère, le narrateur, sort de sa longue errance nostalgique à travers le temps. Il se rend compte que "plusieurs choses lui ont échappé dans le voyage".
"Petit éloge de la mémoire" est un de ces romans qui rentrent dans le cadre des "nouveaux romans". Il est à la fois touffu, confus et agréable pour les plus attentifs, et où le lecteur se doit une particulière attention pour suivre l'auteur dans son cheminement. C'est une histoire sans fin, pourrait-on dire.

L’auteur de "Petit éloge de la mémoire" Boualem Sansal, le narrateur de ce roman est aussi Docteur en Economie et ancien haut fonctionnaire au ministère algérien de l’Industrie. Il a déjà plusieurs romans à son actif dont entre autres : "L’enfant fou de l’arbre creux" ; "Harraga" ; "Le serment des arbres"…
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Comment le parti xénophobe MNR de Brunot Mégret exploite les écrits de Boualem Sansal:

"25/01/2008 - Ce que pensent les Algériens... -

"S'il est, en Algérie, un domaine où l'effort de la France ne se discute
pas, c'est bien celui de l'enseignement. On doit dire que l'école a été
un succès certain.
Les vieux maîtres, les premiers instituteurs, ont apporté toute leur
foi pédagogique, sans arrière-pensée, et leur influence a été
extrêmement heureuse." Abderrhamane FARES

"La scolarisation française en Algérie a fait faire aux Arabes un bond
de mille ans." Belkacem Ibazizen

"En un siècle, à force de bras, les colons ont, d'un marécage infernal,
mitonné un paradis lumineux.
Seul, l'amour pouvait oser pareil défi... Quarante ans est un temps
honnête, ce nous semble, pour reconnaître que ces foutus colons
ont plus chéri cette terre que nous, qui sommes ses enfants." Boualem Sansal

"A son indépendance, nul pays extérieur au monde occidental,
Japon et Afrique du Sud exceptés, ne disposait d'une infrastructure
aussi développée que celle de l'Algérie." Bachir Ben Yamed (Directeur de "Jeune Afrique")

(...)

in: http://www.mnr-06.com/contactus.html

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http://www.algeria-watch.org/farticle/tribune/sansal.htm

Boualem Sansal n'est pas à une contradiction près!

Fatiha Talahite, 2 octobre 2000

Voici quelques commentaires que m'a inspirés l'interview du romancier
algérien Boualem Sansal, par Ali Ghanem pour le «Quotidien d'Oran" du
24.sept 2000.

Haut fonctionnaire au ministère de l'industrie, Boualem Sansal souhaite
garder son poste, tout en continuant à écrire des romans et à sillonner le
monde, de séances de dédicaces en conférences de presse et en émissions de télévision. Il espère que "ses responsables comprendront qu'il est amené à se déplacer, à être souvent absent". Pas étonnant qu'il demande au "citoyen" algérien de ne plus compter sur l'Etat... Directeur Général de l'industrie, "censé s'occuper de la restructuration du tissu industriel
pour l'adapter à l'économie de marché", il propose de vendre les entreprises publiques au dinar symbolique. Effectivement, pas besoin d'un ministère de l'industrie ni de hauts fonctionnaires pour cela. Boualem Sansal pourra continuer à écrire ses romans et à répondre aux
sollicitations de ses fans. Mais, dit-il, il tient à rester en Algérie, car
"c'est en Algérie qu'il faut écrire, c'est en Algérie qu'il faut mener le
combat. (..) Si je viens m'installer à Paris, qu'est-ce que j'ai à dire sur
l'Algérie ? (..) Tant que j'écrirai sur l'Algérie, j'y resterai !".
Généreuse profession de foi nationaliste. Mais quel est ce mystérieux
"combat" que Boualem Sansal dit mener avec tant de passion? La suite de l'interview nous aidera peut-être à le découvrir.
Poursuivant ses réponses aux questions d'Ali Ghanem, il affirme: "pour
l'observateur extérieur, c'est relativement facile de voir que le peuple
algérien a été abruti, enchaîné, aveuglé, infantilisé, démuni de moyens
d'analyse et de discernement, donc en définitive détruit". On l'aura
compris, Boualem Sensal ne fait pas partie du peuple algérien. Il peut,
lui, tout en restant en Algérie, analyser les choses avec discernement,
comme un observateur extérieur. Dans cette logique, ce n'est évidemment pas au peuple algérien "abruti" de juger de la perspicacité de ses analyses ainsi que de la qualité de ses écrits. Et en effet, ce n'est pas le lectorat algérien qui a consacré Boualem Sansal romancier algérien, mais bien le lectorat français, ou, plus précisément, le milieu français de l'édition, quand l'on sait que l'industrie du livre en France, largement subventionnée, fonctionne surtout à la commande (voir l'article d'Alan Riding du New York Times, "Rentrée littéraire, une tempête de livres s'abat sur la France", in Courrier international n°516, 2000). Boualem Sansal, qui dit avoir beaucoup lu dans sa vie, veut nous faire croire qu'il ignorait que Gallimard - auquel il aurait envoyé son premier manuscrit par hasard - était un très grand éditeur ! Très romantique, mais peu crédible...
Boualem Sansal est vraiment l'oiseau rare: fonctionnaire algérien, il sait
se dédoubler et, tout en passant le plus clair de son temps à l'étranger,
il réussit à garder un pied sur le territoire algérien ( c'est en tant que
Directeur de l'industrie qu'il dit avoir "un pied dans le réel"!) .
Ecrivain algérien, il méprise le lectorat algérien qu'il juge abruti et
infantile, et, échappant par miracle à la "médiocrité" de ses compatriotes,
il est plébiscité par le lectorat français. L'explication de ce succès
soudain et massif qui a étonné plus d'un, on la trouve dans la suite de
l'interview. Au journaliste qui lui demande si l'Algérie ne pouvait pas
s'en sortir sans la France, Boualem Sansal répond avec ferveur: "Je ne
crois pas. Nous sommes un pays sous-développé. On a besoin de quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un d'autre, on a essayé avec les Russes pendant 20 ans, ça n 'a rien donné. On a essayé avec les pays arabes, les pays frères et amis, ça n 'a rien donné. Il faut trouver quelqu'un pour nous aider, nous mettre le pied à l'étrier (..)". Notre auteur a tout simplement oublié les 132 ans de présence française en Algérie, ainsi que la coopération technique avec la France dès l'indépendance, durant plus de 20 ans, la première en importance, bien avant celle des Russes, des Arabes, des "frères" ou "amis"! Serait-il à ce point un pur produit de cette coopération, qu'il en est ainsi incapable de prendre le moindre recul?
Notons que pour ce haut fonctionnaire de l'Etat algérien, ce sont les
autres (les Russes, les Arabes, les frères et amis..) qui sont la cause de
nos malheurs. A aucun moment il ne se pose la question de la responsabilité des élites et décideurs de ce pays. Cela n'est pas rassurant, de la part de quelqu'un qui a la lourde tâche de tracer l'avenir de l'ensemble du secteur industriel algérien! C'est encore cela le plus triste pour nous. Passe encore que l'éditeur parisien choisisse parmi les nouveaux talents algériens celui qui flatte à bas prix l'égo des français, après tout, cela les regarde. Mais de constater la confusion mentale affligeante dans laquelle se trouvent ceux qui nous gouvernent, voilà qui est bien moins drôle, vous en conviendrez.


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http://www.algeria-watch.org/farticle/tribune/sansal0.htm

L'actualité ça se vend, l'Algérie aussi

Boualem Sansal au «Quotidien d'Oran»

Paris: Ali Ghanem, Quotidien d'Oran, 24.septembre 2000

Cette année, une trentaine d'ouvrages sont sortis à Paris chez différents éditeurs: documents, essais et romans, écrits par des Algériens résidant en majorité en France. Ils parlent des islamistes, de l'armée, de la vie sociale, des femmes et portent tous un regard critique sur l'Algérie: aucun n'en donne une image positive. Pour les éditeurs français, l'Algérie est un fonds de commerce, et pour certains auteurs algériens bien à l'abri en France, c'est leur gagne-pain.

Pour cette rentrée littéraire, trois romans viennent de sortir. «Un garçon raté» de Nina Bouraoui; son livre l'est aussi. «Fascination» de Rachid Boudjedra; c'est de la grande littérature, c'est aussi du Boudjedra quand on connaît son univers. Il situe son histoire à l'époque de la guerre d'Algérie.

Mais l'évènement de la rentrée littéraire cette année, pour les Français comme pour les Algériens, c'est l'extraordinaire «L'enfant fou de l'arbre creux» de Boualem Sansal, aux éditions Gallimard. Tout le monde se souvient de son précédent et fameux «Le serment des Barbares» chez le même éditeur, roman dont Costa-Gravas va faire un film qui sera produit par Toscan du Plantier.

Ce dernier livre de Boualem Sansal se passe dans la prison de Lambèse. Deux détenus, un Algérien et un Français, sont enfermés dans la même cellule de condamnés à mort. Il y a aussi un enfant attaché à un arbre dans la cour de la prison. Il est beaucoup question de la violence de la vie quotidienne dans cette prison, à la limite de l'insupportable, et l'écriture de Boualem Sansal est à l'avenant. On retrouve dans ce roman l'auteur du «Serment des Barbares» avec tout son talent, son humour féroce, sa truculence et sa profondeur, loin des clichés larmoyants et des plaidoyers emphatiques sur les droits de l'homme et l'Algérie contemporaine. Romancier «débutant» - mais ô combien accompli -, Boualem Sansal est très sollicité aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis. La littérature algérienne contemporaine fait son chemin dans le monde. J'ai écouté Boualem Sansal dans une conférence sur la littérature. J'ai eu plaisir à l'entendre parler de l'Algérie, sans fard mais sans dénonciation véhémente non plus, contrairement à d'autres auteurs plus complaisants à cet égard envers leur auditoire. Quand je me suis adressé à son attachée de presse dans un premier temps pour l'interviewer, elle m'a répondu: «Impossible ! Il a un programme très chargé». Je n'ai obtenu un rendez-vous que par l'entremise d'un ami commun. Boualem Sansal, la cinquantaine, physique latino, est un personnage discret, peu disert, mais passionné par son sujet. Il s'est laissé emporter par sa verve quand je l'ai interviewé. Je vous invite à lire son interview.

- Le Quotidien d'Oran: Ce n'est pas un peu fatigant de voyager, de faire des conférences et de dédicacer tes livres ?

- Boualem Sansal: C'est très fatigant. J'ai l'impression que ça ne rapporte rien de positif, c'est une répétition, une gestuelle, une mécanique froide. Je commence à en avoir assez.

- Q.O.: Et pourtant, c'est le rêve de tout Algérien de voyager, d'être à l'étranger. Donc toi c'est le contraire ?

- B.S.: A cette dose, cela ne peut pas être intéressant franchement. Finalement, je ne suis plus ni en Algérie ni en France. Je suis tout le temps angoissé par des problèmes de calendrier: partir, revenir, c'est ingérable mentalement. C'est vrai que vu de l'extérieur, à des gens qui sont coincés en Algérie, ça peut paraître mirifique.

- Q.O.: Un écrivain m'a dit: »A force de voyager et de faire des conférences, on n'a plus d'idées pour écrire».

- B.S.: Moi, je commence à avoir peur de ça. J'ai un roman en chantier, ça fait maintenant trois mois que je n'ai quasiment pas écrit une ligne. Je commence à m'angoisser. Il est temps que je rentre à Alger et que je reprenne mon travail.

- Q.O.: Je connais très peu ton itinéraire. Quel est la nature de ton travail au ministère de l'Industrie ?

- B.S.: Je suis Directeur général de l'Industrie. Je suis censé m'occuper de la restructuration du tissu industriel pour l'adapter à l'économie de marché. Les grands combinats industriels comme El-Hadjar et compagnie, il faut restructurer ça, et il faut les préparer à la privatisation. Il faut leur réapprendre l'efficacité, leur apprendre en fait, parce que je ne sais pas si à un moment ou à un autre ils l'ont su. Mais la démarche que nous suivons pour cela n'est peut-être pas la meilleure, parce que ce n'est pas à l'administration de le faire. Normalement, elle devrait faire appel à de grands bureaux d'étude spécialisés dans la restructuration, dans les privatisations. En Algérie, ça reste encore le fait de l'administration et du politique. Donc, je n'attends pas de grands résultats de ce processus de restructuration, de refondation de l'administration algérienne.

- Q.O.: A propos de privatisations, les gens disent qu'on brade l'économie algérienne au profit de certaines personnes privées qui ont des relations...

- B.S.: En Algérie, on a beaucoup utilisé ce mot: brader. Cela ne veut rien dire. On peut vendre une entreprise au prix d'un dinar symbolique; mais si elle ne vaut que cela, c'est à ce prix seul qu'on la vendra. Je crois qu'on utilise ce mot parce qu'il y a encore une idéologie socialiste, un discours rétrograde. Il faut se résoudre à vendre les entreprises à leur prix. Ce prix peut être très bas, voire nul dans certains cas, parce que l'entreprise ne vend plus rien, est endettée jusqu'au cou, a des équipements obsolètes, une production qui ne trouve pas preneur sur le marché.

- Q.O.: Venons-en à ton livre. Ton cas est un peu particulier. Hier soir, j'ai dit un peu maladroitement que tu débarques dans la littérature, et quelque part c'est un peu vrai, et je le dis d'une manière amicale. Tu fais un premier roman chez un grand éditeur (Gallimard) et c'est le grand succès. Tu as failli avoir le prix Goncourt, tu es sollicité dans différents pays...

- B.S.: Moi, c'est un vrai déluge qui m'est tombé sur la tête. Je ne m'attendais pas du tout à ça. Lorsque j'ai fini «Le serment des Barbares», j'ai envoyé le manuscrit à Gallimard. Je ne me faisais aucune illusion, je pensais qu'il allait être refusé. J'ai essayé. Quand, 3 semaines après mon envoi, j'ai reçu de Gallimard une réponse extrêmement élogieuse, vraiment très élogieuse, j'ai été surpris, j'ai commencé à paniquer. Après sa sortie, il a été très bien accueilli par la presse d'une manière unanime. Après, mon éditeur n'arrêtait pas de m'appeler pour m'annoncer que mon roman avait été sélectionné par les différents jurys de prix littéraires: le Goncourt, le Médicis, le prix Inter-Alliés, le Renaudot, le Fémina. Quinze jours après, un producteur nous a sollicités pour faire un film. Ça a été vraiment la grande surprise.

- Q.O.: Il paraît que tu as envoyé ton roman chez Gallimard par la poste. Le choix de Gallimard, qui est un très grand éditeur, c'est dû au hasard ?

- B.S.: C'est vrai que j'ai envoyé mon manuscrit par la poste. Un jour, un ami croate est venu me voir au bureau et m'a dit qu'il partait en voyage en Europe et m'a demandé si j'avais besoin de quelque chose. Je lui ai alors remis mon colis lui demandant de le poster en France à l'intention de Gallimard. J'ignorais que Gallimard était un très grand éditeur. Pour moi, c'était un éditeur comme les autres.

- Q.O.: En Algérie, tu as écrit quelques livres techniques et tu as attendu 50 ans pour publier ton premier roman. J'aimerais connaître ton cheminement par rapport à l'écriture.

- B.S.: J'ai toujours beaucoup écrit, mais au début j'ai été tenté par l'écriture dans mon domaine. J'ai fait un livre sur l'économie, j'ai fait un livre sur le turboréacteur. Puis l'Algérie a sombré dans la guerre civile. Et n'importe quel Algérien vivant en Algérie ou ailleurs s'est senti interpellé, on a cherché à comprendre: comment se fait-il que collectivement nous ayons basculé dans la violence ? Et aussi ma trajectoire personnelle: Mimouni était un ami, je le voyais écrire, j'ai suivi sa carrière d'écrivain brillant, je crois que quelque part ça m'a testé. Et comme j'avais élaboré une réflexion sur la situation en Algérie, je voulais la raconter. Au départ, je pensais écrire un essai, mais comme il me manque les outils méthodologiques, j'ai choisi pour m'exprimer la fiction romanesque.

- Q.O.: Quand j'ai dit que tu as attendu l'âge de 50 ans pour faire ton premier roman, il y a néanmoins dans «Le serment des Barbares» un travail d'écriture d'une grande qualité, et on a l'impression que tu as une grande expérience de la littérature.

- B.S.: C'est effectivement mon premier roman, mais j'ai beaucoup lu dans ma vie. Au départ, j'ai une formation classique: j'ai fait du latin et du grec au lycée, et ça m'a donné le goût de la langue, de l'étymologie, du sens. En fait, il n'y a aucune explication. J'écris comme ça et je le fais assez naturellement, encore que je travaille mon texte vraiment sérieusement, je travaille surtout beaucoup le rythme, mais je n'ai pas de recette particulière.

- Q.O.: La première fois que je t'ai rencontré dans une réception algérienne, je t'ai observé longuement: tu es quelqu'un qui ne va pas vers les gens, tu es réservé et tu parles peu. Je pense même que tu es quelqu'un de timide. Mais dans tes 2 romans, il y a une grande violence dans ton écriture. Est-ce que c'est ta manière de t'exprimer, est-ce que ce sont les situations sociales et politiques traitées qui t'obligent à t'exprimer comme ça ?

- B.S.: C'est la situation... Je suis de nature réservé, extrêmement timide, je n'aime pas du tout m'exprimer en public. Je ne crois pas jamais m'être trouvé dans une situation où j'ai été amené à m'exprimer d'une manière violente, mais c'est la situation en Algérie qui nous pousse à la violence, à la réaction forte. Moi, ma violence est proportionnelle à la violence que nous vivons. Si j'avais écrit d'une manière sobre et discrète, je crois que j'aurais écrit un très mauvais roman, très plat, très «français», ceci dit sans arrière-pensées.

- Q.O.: Alors, à propos de liberté d'expression, tu as écrit tes 2 romans sur un ton très critique. Traditionnellement, les hauts fonctionnaires ne s'expriment pas ainsi sur la situation sociale et politique. En tant que cadre de l'Etat, tu n'as pas eu de rappel à l'ordre ?

- B.S.: Non, curieusement, je n'ai rien connu de tel. C'était en 1999. Il faut se rappeler des circonstances de l'époque, le Président venait de démissionner, le gouvernement est tombé, on était en pleine période électorale, ceux qui dirigeaient en Algérie avaient d'autres chats à fouetter que de s'occuper d'un écrivain, même si à Paris il a eu du succès. Ensuite, s'il n'y a pas eu de mises en garde à proprement parler, il y a eu des réflexions plus ou moins désobligeantes des uns et des autres. La presse algérienne n'a pas été très tendre avec moi, mais ce n'était pas très méchant.

- Q.O.: Il faut reconnaître que certains journalistes ne sont pas tendres avec les auteurs qui ont du succès à l'étranger. C'est une chose que j'ai connue moi-même en tant que cinéaste.

- B.S.: Il y a peut-être de ça, probablement. Je ne sais pas comment certains journalistes ont lu, ont perçu mon livre. En tout cas, ils en ont dit beaucoup de mal. Il y a un journaliste qui est allé jusqu'à me traiter de raciste envers son propre peuple... C'est à eux qu'il faut poser la question.

- Q.O.: Ceci dit, ton succès littéraire n'est pas qu'un phénomène français, il existe aussi dans différents pays européens.

- B.S.: Je suis moi-même surpris de l'accueil reçu par mon livre dans de nombreux pays européens, ainsi qu'aux Etats-Unis et au Canada. Je reçois du courrier de journalistes de ces pays me sollicitant pour des interviews. L'Algérie intéresse tout le monde. Car il ne faut pas me prêter des qualités que je n'ai pas, c'est l'Algérie qui intéresse les gens dans beaucoup de parties du monde: les gens cherchent à comprendre.

- Q.O.: Maintenant que tu as du succès et que tu vas mieux gagner ta vie, est-ce que tu vas rester au ministère de l'Industrie ?

- B.S.: Si on ne me met pas dehors, moi je reste au ministère parce que je tiens à garder un pied dans le réel. Vivre comme ça de fiction, écrire de la fiction puis en parler ensuite à longueur de journée, à la longue, c'est appauvrissant. Si on me laisse le choix, je reste au ministère. Je demanderai cependant à mes responsables de comprendre que je suis amené à me déplacer, à être souvent absent. Je tiens à rester en Algérie, car c'est en Algérie qu'il faut écrire, c'est en Algérie qu'il faut mener le combat. Voilà.

- Q.O.: Justement, dans une discussion privée, tu disais: si je dois quitter mon pays, je n'écrirai plus sur l'Algérie.

- B.S.: Oui, absolument. Si je viens m'installer à Paris, qu'est-ce que j'ai à dire sur l'Algérie ? C'est fini, je l'ai quittée, à part pour retourner y voir ma famille et mes amis. Tant que j'écrirai sur l'Algérie, j'y resterai !

Suite en page 7

- Q.O.: Revenons-en à «L'enfant fou de l'arbre creux». Tu as choisi un sacré sujet et dans la prison de Lambèse, un endroit bourré de symboles par rapport à la révolution algérienne. Et toi, tu mets là-dedans 2 personnages, un Français et un Algérien, plus un enfant qui est attaché à un arbre. Pourquoi ce choix ?

- B.S.: Euh... (il hésite). Lambèse est emblématique de ce qu'est devenu l'Algérie depuis 1962, c'est une grande prison. Souviens-toi, jusqu'aux années 80, on ne voyageait à l'étranger qu'avec une autorisation, on ne pouvait rien faire, on n'avait aucune liberté politique, c'était l'enfermement. L'arrivée des islamistes a encore aggravé la situation: non seulement on pouvait nous mettre physiquement en prison, mais intellectuellement, spirituellement aussi, l'Algérie était une prison. Hélas, c'est comme ça. En situant mon histoire à Lambèse, c'est l'Algérie. «L'enfant fou de l'arbre creux» peut symboliser le peuple algérien qui était infantilisé par des discours extrêmement primitifs. Il est enchaîné, aveuglé... L'arbre creux, c'est cette Algérie dont on a enlevé toute la richesse, toute la substance, c'est un arbre sec. Pourquoi un Français et un Algérien ? Parce que c'est le centre de la problématique. On a des relations compliquées avec la France. Il y a plus d'1 million d'Algériens qui vivent en France, il y a une histoire commune, ses bons côtés, ses mauvais côtés, avec ses horreurs. C'était intéressant pour moi de mettre le débat, car le roman est un débat, un échange, entre un Français et un Algérien. Chacun racontant sa vie, sa conception de l'Algérie. Voilà.

- Q.O.: Oublions les Français. On ne peut pas s'en sortir sans eux ?

- B.S.: Je ne crois pas. Nous sommes un pays sous-développé. Il faut regarder le monde moderne. On ne rentre pas dans la modernité parce qu'on le veut. La chose est extrêmement complexe. Il faut des conditions particulières, il faut de l'argent, il faut faire un pays moderne pour appeler tout un peuple à la modernité. Ça ne peut pas se faire tout seul, ce que l'on a essayé de faire en 62. On s'est dit: on est spécifiques, on va faire un socialisme, un gouvernement, une culture spécifiques. Le résultat on le connaît, une guerre civile de 8 ans qui a failli nous décimer, qui, intellectuellement et moralement, nous a détruits. On a besoin de quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un d'autre, on a essayé avec les Russes pendant 20 ans, ça n'a rien donné. On a essayé avec les pays arabes, les pays frères et amis, ça n'a rien donné. Il faut trouver quelqu'un pour nous aider, nous mettre le pied à l'étrier, pour avoir les rudiments: qu'est-ce que c'est que la démocratie, l'Etat républicain, l'école moderne, la société civile ? C'est vrai qu'on peut apprendre tout seul, mais ça va demander 3 millénaires. Nous avons le désir et le projet d'adhérer à la zone de libre échange avec l'Europe: ça peut être un moteur et ça peut aller plus vite si nous écoutons les conseils des uns et des autres. Pourquoi la France ? Parce que la France. Nous avons une richesse colossale, c'est notre émigration. Un million d'Algériens vivent en France. Parmi eux, il y a des milliers de cadres, des médecins, des chercheurs... Donc, c'est forcément avec la France que l'on peut trouver cet effet levier dont nous avons besoin. Parce qu'on a cette émigration, parce que beaucoup de Français s'intéressent à l'Algérie, parce que les relations économiques traditionnelles, parce que l'histoire.

- Q.O.: On revient à ton livre. Toujours dans une discussion privée (rires), parce que je t'écoute quand tu parles avec les autres, tu disais que cet enfant attaché à l'arbre, tout le monde ne le voit peut-être pas. Que voulais-tu dire ?

- B.S.: Oui, cet enfant enchaîné au milieu de la cour de Lambèse, il n'existe pas: il est clair que c'est un symbole. Et les symboles ne se voient pas. On le voit seulement quand on est préparé, quand on le veut, quand on a les moyens de le voir. Donc, moi-même je me pose la question: est-ce que les gens de Lambèse, ces prisonniers qui regardent la cour à travers leurs grilles, voient cet enfant fou, ce peuple rendu fou par une politique absurde, celle que nous avons menée depuis 62, ce peuple qui est infantilisé, qui est aussi aveugle ? A un moment donné, on découvre que cet enfant, en plus d'être fou et de se trouver dans cette situation paradoxale, est aveugle. Non, on ne le voit pas, mais on le sent. Mais évidemment, lui, Pierre, le Français en prison avec Farid, le voit, car il vient de l'extérieur. Pour l'observateur extérieur, c'est relativement facile de voir que le peuple algérien a été abruti, enchaîné, aveuglé, infantilisé, démuni de moyens d'analyse et de discernement, donc en définitive détruit.

- Q.O.: Donc, le regard du peuple sur lui-même serait moins efficace que le regard extérieur des autres nations ?

- B.S.: Toujours. L'oeil extérieur est toujours plus important que son propre regard sur soi-même. On ne sait pas se regarder. Pendant une trentaine d'années, on s'est gargarisé de mots, on s'est dit que nous étions un peuple extraordinaire, on est un peuple qui fait des miracles au quotidien. On s'est assez leurrés. Il faut maintenant cesser de se regarder le nombril, il faut accepter le regard de l'autre. Le regard de l'autre n'est pas forcément objectif, mais il est important à considérer; même dans sa subjectivité, il est important à considérer. Je vais te citer un exemple. Il y a quelques mois, dans une ville du sud de la France, j'ai rencontré un jeune Russe qui avait 20 ans, un dessinateur, un petit génie dont les BD sont parvenues en France. On l'avait invité, il ne parlait pas un mot de français, il n'était jamais sorti de sa Sibérie. Il n'était en France que depuis 3 ou 4 jours. On s'est rencontré dans un dîner et il m'a parlé dans un anglais approximatif. Il m'a demandé d'où je venais et je lui ai répondu que je venais d'Algérie. Alors ce monsieur qui ne connaissait rien de l'Algérie me dit: »J'ai vu quelques Algériens à Paris, ils m'ont semblé turbulents, agressifs». Je lui ai dit que ce qu'il me disait était important pour moi. Et j'ai alors proposé de lui dire ce que je pense du peuple russe: «il est bourru, replié sur lui-même, un peu névrotique. C'est le regard que j'ai sur vous, il est probablement faux mais il est important que vous entendiez ce que vous renvoyez aux autres comme image».

- Q.O.: Toi, tu as un double regard: celui de l'écrivain et celui de l'Algérien qui vit ça au quotidien. Tu es une sorte de garde-champêtre (rires) qui regarde les problèmes et tu as envie que ça change.

- B.S.: Comme tous les Algériens qui vivent en Algérie ou ailleurs, on a envie que l'Algérie s'en sorte. On a perdu 40 ans, on a gaspillé un argent fou, on a gaspillé nos hommes, notre énergie. Il est temps maintenant qu'on regarde les choses comme elles sont, bien ou mal. Il est temps qu'on recommence à travailler, c'est pour cela que je milite. Je ne sais pas si je serai écouté, mais enfin c'est l'objectif que je me fixe.

- Q.O.: J'ai remarqué qu'il y a très peu de rapports amicaux entre les écrivains algériens. C'est un monde où l'on se méfie les uns des autres. J'ai aussi observé que les gens ne communiquent pas sur le plan politique.

- B.S.: Oui, dans une situation de violence généralisée, forcément, la méfiance devient une seconde nature. On se méfie de tout: du temps, de son voisin, de ses collègues, de ses concurrents. La méfiance est devenue notre mode de vie. On se méfie des étrangers, bien sûr.

- Q.O.: Et les intellectuels ?

- B.S.: Au niveau des intellectuels, je n'en suis pas là. Comme tu l'as dit tout à l'heure, je débarque dans l'écriture depuis un an... J'ai été frappé de voir que les écrivains algériens ne se fréquentaient pas, semblaient ne pas s'apprécier. Ils ont l'air de se jalouser. Je ne m'explique pas la chose.

- Q.O.: Qu'est-ce qui a changé dans ta vie depuis que tu écris, depuis que tu as du succès ?

- B.S.: A vrai dire, rien n'a changé. J'habite toujours Boumerdès, j'habite toujours dans ma maison, je suis toujours au ministère de l'Industrie, mon quotidien, c'est ça. C'est faire le trajet Boumerdès-Alger dans les 2 sens, passer 8 heures de travail au bureau, sur mes dossiers, rencontrer les mêmes personnes. Bien sûr, je viens souvent en Europe, j'ai quelques activités mondaines, mais je ne me laisse pas prendre à ce jeu-là. Ça n'a aucune influence ni sur mon mode de vie, ni sur mon caractère, ni sur ma façon de regarder le monde.

- Q.O.: J'arrête de te casser les pieds avec mes questions. Qu'est-ce que tu as à dire, toi Boualem Sansal, de particulier aux lecteurs du Quotidien d'Oran ?

- B.S.: Qu'est-ce que je peux dire ? (Il hésite, il réfléchit). Peut-être en particulier pour les jeunes. C'est de ne plus compter sur l'Etat. Parce qu'on a aussi ce défaut, tous, que nous soyons cadre ou pas cadre, artiste ou pas, c'est de tout attendre de l'Etat. Il est temps maintenant que chacun à son niveau, on se prenne par la main, qu'on fasse notre petit chemin tout seul. L'Algérie, jusqu'à présent, était faite par les politiques, par les partis au pouvoir, il est temps qu'elle soit faite par les citoyens eux-mêmes, pour accéder à la citoyenneté et puis bâtir. On commence à voir ça sur le plan économique. Il y a des gens qui investissent, qui galèrent en Algérie, mais qui avancent. Dans les autres domaines, c'est encore le désert. Les gens disent: «L'Etat ne fait rien. Il faut que l'Etat nous aide». Mais l'Etat n'a plus les moyens.

- Q.O.: Allez, ciao, bonne route !

L'enfant fou de l'arbre creux - Editions Gallimard






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http://www.cerclealgerianiste-lyon.org/congres2006.html

FAIRE FEU DE TOUT BOIS ?

Toulouse, 21 et 22 octobre 2006
Palais des congrès Pierre Baudis
1er Forum algérianiste du Livre - 33ème Congrès
La ville de Toulouse a été retenue par la Fédération Nationale des Cercles algérianistes pour son congrès annuel 2006.
Parallèlement à cette manifestation, aura lieu le Premier Grand Forum algérianiste du Livre ouvert au public le plus large.
Plus de 200 auteurs, ayant choisi dans leurs écrits d’évoquer l’Algérie, que ce soit sur le thème de la littérature, de l’histoire ou de la mémoire, présenteront et dédicaceront leurs ouvrages.
Une grande exposition d’affiches originales de la collection Baconnier sera présentée.
Des tables rondes, des projections de films ainsi que la remise des Prix littéraire et Universitaire algérianistes sont également prévues.
Auteurs inscrits au congrès
(…)
HAMOUMOU Mohand , BEN MAHMOUD Feriel, GRIM Mohamed , PUJANTE Guy, RICHIER Danielle, RIERA Cécile, RODRIGUEZ Jean-Michel, RUDLOFF Jean, SAN JUAN Marie-Claude, SANSAL Boualem, SCHMITT Maurice (Général), SCHNEIDER Arlette, SCHURER Geneviève
SCOTTI Edgar, SONCARRIEU Roger de TERNANT Geneviève, TESTUD Marc (…)
PROGRAMME DU CONGRES
Vendredi 20 octobre 2006
Réunion publique d'information (réservée aux adhérents et à leurs amis)
18h-20h Salle Barcelone - 22 allée de Barcelone 31OOO Toulouse
Cette réunion, animée par Thierry Rolando, Président national du Cercle algérianiste, permettera aux participants de faire le point sur :
 Le bilan de l'activité du Cercle algérianiste en 2005
 Les actions et les projets à venir
 Les grandes questions d'actualité (abrogation de l'article 4 de la loi sur les rapatriés, projet de traité d'amitié franco-algérien, Mémorial des Disparus de Perpignan...)
Un débat avec l'auditoire cloturera cette réunion
20h 30 : Dîner libre
21 - 22 OCTOBRE 2006
SALONS PERMANENTS DES ECRIVAINS ET EXPOSANTS
(ENTREE GRATUITE)
(…)
Samedi 21 octobre (après midi et soirée)
14h 15 Inauguration officielle de l'exposition "l'Algérie par l'affiche" composée d'affiches originales de la collection Baconnier en présence de M. Dominique Baconnier
14h 30 Inauguration officielle du forum du livre suivie de celle du salon des exposants
14h 45 Hommage à Just Fontaine qui nous fera l'amitié de sa présence. Interview Julien Simon
Toulousain d'adoption, Pied-Noir du Maroc, Just fontaine est l'un des plus grands footballeurs de tous les temps, il est l'auteur de "Just 13" (Editions Elytis - 2006)
15h 00 Dans sa relation avec l'Algérie, la France est-elle condamnée à une repentance
unilaterale ?
Table ronde animée par Thierry Rolando avec la participation de :
 Jacques Heers, professeur honoraire de l'université Paris IV Sorbonne, auteur de "Histoire assassinée : les pièges de la mémoire" (Editions de Paris)
 Jean-François Mattéi, membre de l'Institut Universitaire de France, professeur à l'université de Sophia Antipolis, auteur de l'ouvrage " De l'indignation" (Editions de la Table Ronde)
 Général Maurice Schmitt, ancien chef d'état major des armées, auteur de "Alger - été 1957 une victoire sur le terrorisme", (Editions L'Harmattan)
 Mohand Hamoumou, docteur en sociologie auteur de : "Les Harkis, une mémoire enfouie", (Editions Autrement)
16h 00 Proclamation du Prix littéraire algérianiste "Jean Pommier" 2006 par Hubert Groud, président du jury
16h 20 Interventions de :
 Thierry Rolando, président national du Cercle algérianiste
 Jean Luc Moudenc, maire de Toulouse
 Emmanuel Charron, président de la Mission interministérielle aux Rapatriés
16h 45 Projection des films : "Mon Alger" de Jean Belanger et Jean Pommier suivi de "Oran" (Ofalac - années 50)

17h 20 : rencontres libres avec les écrivains et exposants
20h 30 Dîner du congrès lieu : salle Caravelle, centre de Congrés Pierre Baudis - Toulouse
Dimanche 22 octobre (journée)
9h 00 Ouverture du forum du livre et des expositions
9h 30 Proclamation du prix universitaire algérianiste 2006 par Thierry Rolando et Michèle Soler
10h 00 : L'après 1962 a-t-il provoqué l'éclosion d'une littérature d'exil au sein de la communauté Pied-Noire ?
Table ronde avec :
 Jeanine de la Hogue, auteur de "Mémoire d'absence" (Editions Wolf Albes Atlantis)
 Pierre Dimech, auteur de "Pieds-Noirs et cous rouges" (Editions de Paris)
 Evelyne Joyaux, auteur de "puisque l'ombre demeure" (auto-édition)
 Henri Martinez, auteur de "Dernières nouvelles de l'enfer" (Editions Robert Laffont)
11h 00 Intervention exceptionnelle de Boualem Sansal, écrivain, auteur du "Serment des Barbares", de "Harraga" et de "Poste restante : Alger - Lettres de colère et d'espoir à mes compatriotes" (Editions Gallimard 2006)
12h 30 Déjeuner libre
14h 15 Rencontres libres avec les écrivains et exposants
17h00 Clôture du 1er Forum algérianiste du livre
Pour tout Renseignement :
Cercle algérianiste de Toulouse - Pierre Batty : 05 61 74 62 43 - Ghislaine Delmond : 06 13 51 26 00
Cercle algérianiste national BP213 - 11102 NARBONNE - Tél. : 04 68 32 70 07 - Fax : 04 68 32 69 64

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http://www.lire.fr/entretien.asp/idC=37636/idTC=4/idR=201/idG=

Boualem Sansal

par Daniel Bermond
Lire, septembre 2000




Haut fonctionnaire au ministère algérien de l'Industrie, Boualem Sansal publie L'enfant fou de l'arbre creux, un an après Le serment des barbares, l'un et l'autre chez Gallimard. Deux romans sur la tragédie algérienne écrits en français. Pour l'auteur, il n'était pas pensable de les rédiger autrement qu'en français. Il s'explique sur cette nécessité et se fait l'avocat de la «cause» de la francophonie. Cause, avez-vous dit. Avec ou sans majuscule?

Ecrire directement en français, est-ce quelque chose de naturel pour un auteur algérien?
B.S. Il suffit de visiter nos librairies pour voir que les Algériens lisent essentiellement en français. Il suffit de compter les paraboles au-dessus de nos immeubles pour voir que les Algériens sont unanimement à l'heure de Paris. Sur trente-sept titres que compte la presse écrite nationale, trente sont d'expression française. La production des vingt maisons d'édition existant en Algérie est de la même façon d'expression française dans une très large proportion. Le français, malgré la loi sur l'arabisation et les campagnes d'intimidation et de répression auxquelles cette loi donne lieu de temps à autre, reste la langue de travail dans les entreprises et les administrations. Vivre en français est une des réalités de l'Algérie. Ecrire en français va donc de soi, envers et contre tout.

Mais était-il concevable que vous écriviez en arabe L'enfant fou de l'arbre creux ou Le serment des barbares?
B.S. Absolument pas. Le seul arabe que je connaisse est l'arabe algérois, c'est-à-dire un patois fait d'un tiers d'arabe classique, un tiers de français arabisé (exemple: tabla pour table, biro pour bureau, tonobile pour automobile) et un tiers de berbère du terroir. D'une région à l'autre, les proportions sont différentes, les tournures spécifiques. Il ne se prête pas à l'expression écrite. Ceci dit, je n'écris pas seulement pour le lecteur algérien, j'avais la prétention de m'adresser à un public plus large, dont le public français.

Le français, langue du colonisateur... Vous connaissez l'opprobre jeté à la face des ressortissants d'anciennes colonies qui écrivent en français. La question vous paraît-elle dépassée? Ou comprenez vous qu'elle puisse être encore posée?
B.S. Ce discours, nous l'entendons depuis l'indépendance. Les chiens aboient, la caravane passe. J'ai le bonheur d'avoir pour patron un ministre islamiste, fervent pourfendeur de l'Occident. A son arrivée au ministère de l'Industrie, en 1997, il nous a tenu un discours comminatoire: nous étions sommés de comprendre qu'avec lui l'Islam et l'Arabe allaient dorénavant gouverner le ministère et mettre les troupes au pas. Trois années plus tard, le résultat est le suivant: nous travaillons en français comme par le passé, le ministre a fait des progrès considérables dans la langue de Voltaire, la lecture n'a plus de secret pour lui, son parler évolue cahin-caha dans le bon sens. S'il n'écrit pas, c'est seulement qu'il est persuadé qu'un ministre n'a pas à faire le travail manuel. Il parle aux femmes du ministère, leur touche la main et va même jusqu'à plaisanter avec elles. J'ai été extraordinairement surpris d'apprendre qu'il a fait acheter dix exemplaires du Serment des barbares par la Documentation du ministère (il y a une coquetterie là-derrière). Il en va de même dans les autres ministères dirigés par les islamistes, le français reprend du poil de la bête. Grâce à nos collègues, nous suivons avec intérêt les progrès réalisés par leurs ministres.

Il existe pourtant, au moins officiellement, un discours très tiers-mondiste qui cherche à marginaliser le français en puisant sa légitimité dans le combat pour l'indépendance...
B.S. De ce point de vue, les plus dangereux sont les gens du FLN; ils ont une façon de se draper dans les «constantes éternelles de la révolution» qui paralyse leurs vis-à-vis. Leur technique d'embrigadement de la société, mise au point depuis l'indépendance, est encore très efficace. Le discours contre «la langue du colonisateur» prend cependant eau de toutes parts. M. Bouteflika ne parle plus qu'en français. On a beau le menacer, rien n'y fait, la digue est rompue. Mais le fond du problème demeure et le vrai combat est ailleurs: à l'école. Celle-ci est arabisée à cent pour cent, l'enseignement religieux le plus rétrograde y est prodigué à forte dose, elle forme des analphabètes, des racistes, des intégristes, des sectaires, et au bout du compte de malheureux chômeurs totalement désorientés. C'est autour de ce bastion que se radicalisent les positions entre francophones, arabophones, berbérophones, islamistes, laïcs, modernistes, conservateurs. C'est là que se rencontrent et s'affrontent toutes les contradictions de la société algérienne. Les enfants paient les pots cassés de leurs pères.

Une tradition de la littérature francophone s'est solidement installée, venue du Maghreb, de l'Afrique noire, des Antilles, du Canada, de Roumanie, voire de Chine. Quel est son génie propre? Qu'apporte-t-elle à la littérature strictement hexagonale?
B.S. Cela prouve la vitalité du français en dehors de l'Hexagone; il trouve un terreau favorable dans nos pays. L'affirmation de son identité dans un monde de plus en plus ouvert, donc sans repères, est pour nous un facteur d'angoisse. On s'agrippe ici et là pour surnager. On voit bien que nos cultures propres et nos langues ne nous permettent pas d'entrer dans le monde moderne. Aussi nous faut-il nous accrocher aux cultures dominantes (anglo-saxonne, française, espagnole, pour l'essentiel). Ce serait de la resquille. C'est surtout une question de survie. Si génie propre il y a, il vient de ce double ancrage, de cette angoisse de se voir disparaître, de cette peur de n'être plus soi-même. A l'Hexagone elle apporte en quelque sorte un regard sur son passé, sur ses responsabilités. Dans un monde uniformisé par la mondialisation, elle apporte l'exotisme, la nostalgie, le parfum de ce qui peut-être n'est plus, ou n'est plus très apparent.

Quels sont les auteurs dont vous vous sentez le plus proche sur le plan de l'écriture?
B.S. Je ne cherche pas à faire facile, mais j'aime toutes les écritures. A vrai dire, je n'y regarde pas trop, pourvu que l'histoire soit belle et le thème proche de mes préoccupations et de ma sensibilité.

L'enfant fou de l'arbre creux que vous venez de publier est écrit dans une langue à la fois très pure et très flamboyante, baroque, dira-t-on. Où puisez-vous cette verve? Dans votre double culture?
B.S. Dans ma double culture, oui, mais aussi dans le désarroi, la peur, la révolte. Voir son pays sombrer dans la bêtise et la mort, écouter ses dirigeants se gargariser de mots et se pavaner dans le ridicule, voir ses concitoyens se complaire dans la lamentation, met dans un état particulier, proche de la folie. On a envie de crier, de haranguer, de remuer le couteau dans la plaie et de tourner en dérision les slogans du jour. C'est ce que j'essaie de faire, d'une manière appliquée tout en me laissant la bride libre.

L'enfant fou... est votre deuxième roman après Le serment des barbares. Deux fictions sur la tragédie algérienne. Votre pays n'aurait pas connu ce qu'il vit depuis dix ans, vous seriez resté un haut fonctionnaire sans histoire?
B.S. Sans aucun doute. Par définition, les fonctionnaires sont réservés. Et je le suis probablement plus que la moyenne. En 1990 et 1992, j'ai publié à Alger deux livres techniques, l'un sur «la mesure de la productivité», l'autre sur «la postcombustion dans les turboréacteurs». J'aurais pu continuer sur cette lancée si les événements n'avaient pris la tournure que nous leur connaissons. L'assassinat du président Boudiaf, la mort de mon ami Rachid Mimouni, ont été pour moi le déclic. C'était écrire ma révolte ou partir la pleurer dans l'exil.

L'allégorie de cet enfant sans regard, enchaîné à un arbre dans une cour de prison, c'est d'abord le visage de l'Algérie...
B.S. C'est celui du peuple algérien dans cette immense prison qu'est l'Algérie. Un peuple infantilisé, aveuglé, enchaîné par le mensonge. Il a été amené à ce point où il ne sait pas qui il est, d'où il est venu ni ce qu'il veut. Il tourne autour de son arbre mort, il s'amuse avec un chien qui héberge toutes les maladies du monde, il n'a même pas conscience qu'il peut défaire la corde de son cou et s'en aller. C'est terrible.

Pierre et Farid, les deux personnages du roman, tous deux incarcérés à Lambèse, ne figurent-ils pas l'incompréhension franco-algérienne, faite d'une histoire commune mais empoisonnée par l'humiliation, la manipulation, la trahison?
B.S. Tout à fait. Mais ils sont aussi les deux facettes de la personnalité algérienne; deux facettes qui se refusent, se nient, s'insultent, se méprisent. Le jour où l'Algérien acceptera sans complexe les diverses facettes, berbérophone, arabophone, francophone, qui composent sa personnalité, alors il sera en accord avec lui-même et avec l'Autre. L'incompréhension franco-algérienne découle de là. Notre histoire commune, mouvementée à en être épique, est manipulée, notamment à travers ses côtés honteux, pour accentuer cette incompréhension et installer en nous la haine.

Vous êtes très dur pour ceux qui ont gouverné l'Algérie depuis 1962. Il y a dans L'enfant fou ce pastiche du Notre-Père chrétien qui résonne comme une imprécation contre eux. «Jamais nous ne leur pardonnerons», lit-on...
B.S. Gouverner est un terme impropre lorsqu'on parle de dictateurs. Ils ont pris le pouvoir par les armes et l'ont conservé par les armes, ce sont des bandits. Tout dans leur pratique relève du banditisme et du charlatanisme. Depuis 1962, nous vivons encerclés, surveillés, embrigadés; ils nous ont insultés, humiliés, muselés, emprisonnés, assassinés, volés, dépossédés. Comment leur pardonner? Lorsqu'ils se sont sentis menacés par le vent de la démocratie, ils ont dressé le peuple contre lui-même, ils ont libéré ses plus bas instincts. Le résultat est là: dix années de guerre civile et nous n'en voyons pas la fin.

Avec Bouteflika, rien n'a changé? Pas même l'amorce d'un tournant?
B.S. La mission de M. Bouteflika n'était pas de changer les choses, du moins dans le sens où nous l'entendons, mais de laver l'armée des accusations por- tées contre elle par les Algériens et par tous ceux qui, dans le monde, estiment qu'elle a versé dans le crime. Notre jugement sur la question est acquis après une année de patiente observation sans a priori des faits et gestes de M. Bouteflika et de son gouvernement. Relativement à la mission que lui a confiée la Junte, M. Bouteflika a l'air d'avoir réussi à tromper son monde mais, hélas pour eux et pour nous, les terroristes ne jouent pas le jeu, ils continuent imperturbablement à tuer, à détruire, à paralyser le pays et à l'isoler. Les missions d'enquête dépêchées ces derniers temps à Alger par différentes organisations internationales (Amnesty International, Human Rights, Reporters sans frontières...) ne s'y sont pas trompées, leurs rapports sont accablants. La loi dite de concorde civile vise en réalité à dédouaner l'armée sous couvert d'une amnistie des terroristes. Pour le reste, tout va de mal en pis. Au plan économique, la situation est désastreuse, malgré une recette record dans la vente du pétrole et du gaz. Parler, séduire, promettre, lancer des invitations tous azimuts, c'est bon si les actes vont dans le même sens. S'ils prennent le chemin contraire, on est forcés de crier à la supercherie. Mais c'est là tout Bouteflika.

Votre prochain roman, l'Algérie, encore?
B.S. Je ne sais pas. Depuis longtemps, je rêve d'écrire un roman de science-fiction. C'est mon côté ingénieur qui me titille.