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"Poste restante Alger" censuré par le gouvernement algérien (Boualem Sensal)
Ci-joint un résumé rédigé par B. Sansal de la carrière de "Poste restante, Alger" en Algérie, aujourd'hui interdit de diffusion. Dans un précédent mail, Boualem précisait que son livre étant sur liste noire, il devient désormais un délit de l'acheter et de le faire circuler (cependant les photocopieuses, dit-il, fonctionnent à plein régime!)
« Poste restante Alger » sous-titré « lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes » a été publié en mars 2006 par Gallimard. Dans l'ensemble, il a été bien accueilli en France par la critique et les lecteurs.
C'est par la presse française distribuée en Algérie et notamment par Le Nouvel Observateur qui lui a consacré deux pages dans le N° 2158 du 16 au 22 mars 2006, et Jeune Afrique qui en fait une présentation suivie d'une interview de quatre pages dans le N°2359 du 26 mars au 1er avril 2006, que les Algériens ont appris la parution de Poste restante et les grandes lignes de son contenu. Les journaux qui ont pu obtenir des exemplaires par leurs correspondants à Paris en ont fait la critique.
Je cite les papiers en ma possession : - Dans son tirage du 23 mars 2006, El Watan, l'un des tout premiers journaux algériens d'expression française, lui a consacré un quart de page à la une. Lhttp://www.prochoix.org/cgi/blog/ecrire/images/bt_strong.png'article se termine par cette phrase : Lisez-là (la lettre) et surtout faites-là lire, parce que l'Algérie ne peut rester pas comme ça. - Dans son tirage du 24 mai 2006, en un page entière, le même journal publie la réponse d'un universitaire et collaborateur du journal qui commence ainsi : Votre livre est à lire, à relire, il faudrait même qu'il le soit en boucle. - Le 25 avril, le journal arabophone El Khabar livre à ses lecteurs, sans autre explication, ce qui se veut un scoop : Le livre de Boualem Sansal, ‘Poste restante Alger' est interdit de distribution en Algérie. A partir de là, les rumeurs les plus incroyables se sont mises à circuler et à enfler, comme s'il y avait un moteur derrière. - Au début du mois de mai, le journal Liberté, d'expression française, dans un article d'une page consacré au salon du livre de Genève (25 avril-2 mai) dont l'Algérie était l'invitée d'honneur, apprend à ses lecteurs que notre ministre de la culture, Mme Khalida Toumi, aurait déclaré : « Il est hors de question que je touche la main d'un écrivain qui ose affirmer que la guerre de libération n'a pas fait un million et demi de martyrs ». Elle aurait lancé cela en m'apercevant devant le stand de l'Algérie qu'elle venait visiter accompagnée d'une forte délégation. Je me suis souvenu l'avoir vue rebrousser chemin mais sur le coup je n'avais pas compris que son geste devait tout à ma présence sur son chemin. Nous avions pourtant, jusque-là, des contacts très cordiaux.
Poste restante a été importé en Algérie par EDIF2000, une société algérienne privée d'édition et de diffusion. L'importation de livres en Algérie est soumise à visa préalable délivré par la direction du livre du ministère de la culture. Le gérant d'EDIF a introduit sa demande à la mi-mai. Ne voyant pas venir de réponse, il s'est présenté au ministère de la culture, et là, il lui a été signifié verbalement que le visa ne lui serait pas accordé.
Il est évident que la décision d'interdire Poste restante a été prise à d'autres niveaux, le ministère de la culture n'a eu pour mission que de la notifier verbalement.
Boualem Sensal
samedi 3 juin 2006
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© Notre Librairie. Revue des littératures du Sud.
N° 146. Nouvelle génération.
Octobre - Décembre 2001
« La démocratie naissante, au lieu d’arrondir les angles, a aiguisé les couteaux. » Le Serment des barbares
.
On peut s’interroger sur la vocation tardive, et donc la reconnaissance récente de l’écrivain Boualem Sansal. Haut- fonctionnaire au Ministère de l’industrie à Alger, il avait jusqu’alors publié des manuels techniques. En 1999, à l’âge de cinquante ans, l’auteur nous livre son premier roman, une fresque poignante sur son pays. La découverte du Serment des barbares devient très vite un événement au sein de cette littérature algérienne d’expression française. À lire cet écrit violent, cru et réaliste qui propose une plongée saisissante et sans concession dans l’Algérie contemporaine, on est fortement saisi par la rigueur du ton, la finesse du style et surtout la qualité esthétique d’une langue dense, colorée et inventive. Et l’on se demande quelles sont les raisons qui ont pu pousser un haut-fonctionnaire, « un bonhomme du système », à briser le
silence et à mettre à nu une réalité amère et trop longtemps
voilée.
La voie de la création littéraire : un simple concours de circonstances...
De par sa profession initiale, Boualem Sansal était amené à côtoyer les hommes influents du parti unique, accusés plus tard d’avoir détourné les richesses du pays à leur profit. Il devenait alors un observateur privilégié de ce royaume de l’excès, de la corruption institutionnalisée, des luttes de clan au sein du pouvoir, du mensonge, de l’hypocrisie et de la perte d’identité. Autant d’éléments qui l’ont conduit à une prise de conscience. Confronté à cette nécessité d’agir, il se place en marge de ce monde pour pouvoir donner libre cours à sa plume épousant les contours d’une dénonciation virulente qui exprime sa colère et son amertume. Aussi, les événements tragiques qui ont ensanglanté le pays à partir des années quatre-vingt-dix ont-ils provoqué chez l’homme silencieux un besoin de témoigner de sa désolation, du refus de voir son peuple sombrer dans un bain de sang : « C’était en 1995. L’obscurité était totale. Que faire ? Partir ? Se cacher ? J’étais en colère. J’ai réagi de cette manière »
. Il s’était tu pendant trop longtemps. Il s’est décidé à emprunter la voie de la création littéraire lorsque se sont rencontrés, au fil du hasard, son intérêt personnel pour certains problèmes et la réalité tragique dans laquelle son pays avait sombré.
Un dénonciateur engagé
Dans un contexte où l’intellectuel, qu’il soit homme ou femme, est menace, Gallimard lui a suggéré de publier son manuscrit sous pseudonyme. Mais Sansal a refusé. « Il faut assumer », dit-il, affirmant par là son courage et annonçant son engagement, lui, qui n’avait eu, jusqu’alors, aucun parti pris. Pour l’écrivain, écrire c’est vaincre la peur de ce qui peut arriver demain ou dans l’instant. Écrire, c’est aussi apaiser l’immense souffrance de ne pas pouvoir s’afficher parce que les assassins peuvent frapper à n’importe quel moment. Écrire, c’est enfin une question d’urgence et d’actualité pour exprimer le goût amer de l’exclusion, de l’éloignement et du silence. Dans cette perspective, son premier roman brosse un tableau apocalyptique de l’Algérie d’aujourd’hui. Cette Algérie malade de son destin depuis
qu’elle en a la maîtrise, condamnée à la violence physique et morale depuis son indépendance. La puissance créatrice de ce roman dépasse les contingences
historiques et les drames qui les ont suscitées. Plus qu’un témoignage, cet écrit se présente comme un réquisitoire contre tout ce qui s’est passé en Algérie depuis l’indépendance. En fait, Sansal ne regrette pas une seule phrase de son roman : « Je relate la situation de manière crue et violente. Lorsqu’il s’agit de choses extrêmes et douloureuses, je ne peux accepter la prudence, cela me semble être une forme mièvre de la lâcheté. Ici, le style allusif ne sert à rien».
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http://balkans.courriers.info/article6343.html
Sarajevo
7es Rencontres européennes du Livre de Sarajevo
Centre André Malraux
Publié dans la presse : 18 mai 2006
Mise en ligne : dimanche 21 mai 2006
du 15 au 21 mai 2006
7èmes Rencontres Européennes du Livre de Sarajevo
Ouverture officielle le jeudi 18 Mai 2006 à 18h (Vijećnica)
Du 14 au 21 Mai, projections de films, ateliers de traduction, leçons de cinéma, tables rondes, rencontres dans les écoles, expositions, etc. ponctueront cette 7ème édition des Rencontres Européennes du Livre de Sarajevo. Le Centre André Malraux est heureux de vous communiquer ci-dessous le programme des trois rencontres consacrées à la ville.
Plus encore que le précédent, le 21ème siècle sera celui des villes ogresses, aspirant vers leurs ventres furieux les cohortes venues des campagnes. Les villes semblent désormais le creuset de toute vie. Lieux de rencontres insolites, de perditions délicieuses ou atroces, de vagabondages, d’inventions infinies, de révoltes et d’émeutes, de guerres et de réconciliations, elles sont à la fois des matrices surproductives de littérature et des personnages à part entière, monstres de pierre, de bitume et de sang.
James Joyce, Alfred Döblin, Milan Kundera, Robert Musil, Truman Capote, Mikhaïl Boulgakov, Louis Aragon, Walter Benjamin avaient investi et révélé les rues de Dublin, Berlin, Prague, Vienne, New York, Moscou ou Paris ; aujourd’hui Le Cap, Alger, Dublin, Londres, Trieste, Sarajevo sont chantées et enchantées par André Brink, Boualem Sansal, Robert Mc Liam Wilson, Giorgio Pressburger, Abdullah Sidran, Miljenko Jergovic et tant d’autres. Mais la ville aimée, objet de passions et de nostalgies est aussi la ville qui souffre et qui fait mal, hantée par la misère et la maladie, l’injustice sociale, les haines communautaires, la solitude. Les écrivains invités à ces septièmes Rencontres parleront de leurs villes à l’heure de la mondialisation, des immigrations forcées, des fractures sociales et des quartiers blindés. Ils diront quelles marques la ville a imprimées sur leur œuvre, et ce qu’elle leur refuse. Ils tenteront de répondre aux questions qui se posent sur la place qu’elle réserve aux artistes, aux pauvres, aux inadaptés, aux marginaux.
Y a-t-il une vie après la ville ? Quels désirs peut-elle encore inspirer ? Quels espaces de convivialité et de mélanges sociaux ménage-t-elle encore, alors que le peuple est progressivement repoussé vers la jungle minérale des périphéries ? A la fin du 20ème siècle, Georges Steiner écrivait : « Les cafés font l’Europe. Ils vont de l’établissement préféré de Pessoa à Lisbonne aux cafés d’Odessa, hantés par les gangsters d’Isaac Babel. Ils s’étirent des cafés de Copenhague, devant lesquels passait Kierkegaard pendant ses promenades méditatives, aux comptoirs de Palerme. (... ) Dessinez la carte des cafés, vous obtiendrez l’un des jalons essentiels de la notion d’ Europe. » Pourrait-on aujourd’hui encore tracer une telle cartographie de la vie européenne, ou celle-ci a-t-elle reflué dans les appartements privés où la télévision impose son esthétique globale et définitive ?
- Vendredi 19 mai
Ville violente, ville aimée
La ville, ses luttes, ses conflits, ses cicatrices mais aussi ses bonheurs et sa vie à venir.
De 10h à 12h : Barcelone, Belfast, Budapest, Kaboul, Khartoum, Lhassa, Munich, Paris, Trieste.
Table ronde avec Gert Heidenreich, Robert McLiam Wilson, Jamal Mahjoub, Nenad Popović Giorgio Pressburger, André Velter
Animée par Jean-Marie Laclavetine
De 18h à 20h : Alger, Le Cap, Londres, Mexico, Paris, Ramallah.
Table ronde avec André Brink, Anne Brunswic, Patrick Deville, Hanif Kureishi, Jean Rolin, Boualem Sansal
Animée par Jean-Marie Laclavetine
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http://www.maisondesjournalistes.org/lire_eloge_memoire.php
"Petit éloge de la mémoire"
Par Abdoulaye Youlaké Camara
Quatre mille et une années ? Ce temps est vraiment long pourrait-on dire. Ce qui n’a pour autant pas empêché Sansal Boualem de faire un feedback rapide sur tout un pan de l’histoire du monde, l’histoire Egyptienne, la mère du monde.
Pour se faire aider dans cette quête du retour en arrière, il use de la nostalgie, cette sorte de mémoire qui nous permet de remettre en surface les bribes de notre histoire vécue, bribes enfouies dans notre subconscient. Un travail à la fois de géographe et d’historien, bref un travail à remonter le temps avec un clin d’œil à sa mémoire qui lui sert de boussole.
Ce roman "Petit éloge de la mémoire", à la fois littéraire et historique ne peut se raconter aisément que si le narrateur est nostalgique d’un temps "vécu" qui s’étiole sur plusieurs siècles. C’est plus de quatre mille ans d’histoire racontée que le narrateur met en exergue. Elle prend forme en Egypte pharaonique et connaît son épilogue dans l’Algérie d’aujourd’hui.
Le "Je" narrateur, à travers ses quatre mille années d’histoire, a connu plusieurs morts et plusieurs vies.
Un recommencement perpétuel d’une vie d’un bout à l’autre de l’histoire, une remontée sans fin vers des époques inconnues, pour la plupart des générations vivantes d’aujourd’hui, que le narrateur se désole de ne pas voir essayer de faire l'effort de se souvenir et se replonger dans leur histoire collective.
Pour raconter la vie de son peuple, les Numides d’hier, les Berbères d’aujourd’hui qui peuplent l’Algérie, le narrateur s’inspire de la mythologie égyptienne qui nous apprend que les Numides seraient venus de cette contrée où le Grand Fleuve prend sa source, quelque part dans le Cham, le Pays Noir. C’est en Egypte que le père et les pères du narrateur ont posé leurs ballots. Cela après cette époque de malédiction volcanique qui avait frappé la Numidie et poussé ses habitants à fuir leurs terres pour trouver refuge sur des terres beaucoup plus propices.
C’est en Egypte, à Thèbes, la ville aux cent portes, que le "je" narrateur naît pour la première fois. Dans cette Egypte d’où partent toutes les brillantes civilisations du monde. Pour mettre en évidence sa nostalgie de ces belles, glorieuses et douloureuses époques, le narrateur nous propose un tableau à vingt-six temps à travers lesquels, comme un sablier rempli de sable, il met un chrono en marche pour rattraper le temps perdu. Mais, dans cette recherche, la machine à remonter le temps ne fonctionne pas à plein régime. Il dénature au passage, certains pans de l’histoire, il se débat entre l’imaginaire et le réel, l’histoire et l’épopée.
Lors de sa première naissance, c’est l’Egypte qui lui montre la voie à suivre, lui et ses pairs. C’est son premier repère. Quant au second repère, c’est la Numidie, cette terre qu’il n’avait pas connu avant l’Egypte mais qui reste pour autant, celle de ses ancêtres venus chez Pharaon aux temps de l’exode. Et où ils ont retrouvé le bonheur perdu depuis des lustres.
Le deuxième repère du narrateur, la Numidie, s’ouvre sur le temps de l’errance. Pharaon que l’on croyait immortel n’était plus un dieu, des millénaires avant le narrateur, les Egyptiens l’avaient vénéré. À sa mort, le pays qui avait régné sur le monde depuis plusieurs millénaires commence sa décadence après avoir atteint son apogée.
L’Egypte éternelle, cette mère des civilisations, s’est disloquée, les citadelles sont tombées, les dieux sont morts en moins de temps qu’il n’en fallut pour les renverser de leur socle de granit et tout ce qui fut ne comptait plus pour rien. Les Pyramides, le Sphinx, l’obélisque d’Héliopolis, le temple de Ramsès II à Assouan, et toutes les gigantesques réalisations n’étaient qu’un entassement de pierres et ne défiaient plus que la pesanteur et les vents de sable. Cette chute de l’empire égyptien contraint le narrateur et ses pairs à un nouvel exode. C’est en Numidie qu’ils posèrent leurs ballots.
Une fois en Numidie, dans sa conquête à remonter cette histoire de quatre mille années, le narrateur fait un flash-back sur le temps de la légende, cette manière de raconter le passé et qui commence où l’histoire s’arrête. C’est en Numidie dans cette région du nord de l’Afrique que le narrateur naît pour une seconde fois et meurt plusieurs fois de suite.
Au temps de l’invasion, le narrateur semble être partagé entre la légende et l’histoire. Faisant revivre les incessantes agressions dont sa tribu a été victime. Cette invasion de la Numidie ne tient que sur de l’histoire racontée, difficile de trouver une voie à suivre. Toutefois, "on pouvait tout s’imaginer et l’on finit par y croire."
Après cette invasion de la Numidie, le chapitre suivant s’ouvre sur "le temps des marchands". C’est un crochet sur le peuplement de la Tunisie actuelle où de marchands marins peu scrupuleux se nommèrent carthaginois de Carthage. Une ville qui, de nos jours, est fréquentée par les touristes de tous bords qui viennent y dépenser leur argent. Ce chapitre traduit toute l’histoire du Moyen-Orient.
Carthage était une sorte de ville où il faisait bon vivre et où le commerce était florissant. Une belle parmi les belles où naquit pour une troisième ou une quatrième fois le narrateur, cette fois, dans l’habit du berger qui ne connaissait que ses moutons. Grâce à cette prospérité, Carthage pouvait maintenant se prévaloir d’une certaine vision politique basée sur les conquêtes. Surtout qu’elle avait à sa tête, un Suffète, une espèce de Roi dictateur.
À cette énième renaissance, le narrateur a trouvé la Numidie en pleine déconfiture, le désordre était à son comble, la misère affligeante et les divisions ethniques plus vivantes que jamais.
Ainsi, vient "le temps des héros" qui met en évidence un certain Massinissa, fils de Gaïa, Roi des Massyles et son trône se tenait à Zama, celui qui formula le vœu resté célèbre : "l’Afrique aux Africains". Un vœu qui n’est pas encore réalisé dans les faits d’ailleurs. "Comme il le voyait, l’Afrique est bien aux Africains mais, ses Rois et ses Raïs ont placé ses richesses en Amérique et leurs enfants les dilapident en Europe" se désole le narrateur.
Le temps des héros bientôt achevé, Massinissa en restera la figure emblématique. La Numidie était devant un nouveau choix, entrer dans le monde et s’y tailler une place ou le refuser et disparaître. Après deux mille ans d’errements, la Numidie était née et son peuple savait d’où il venait.
"Le temps du silence" est, selon le narrateur, une pause au niveau de sa mémoire. Sa nostalgie est mise en éveil et s’efforce de savourer ce temps qui lui manquait, lui et son peuple depuis plusieurs siècles. Eux qui venaient de si loin. Mais, une fois de plus, la Numidie a raté son entrée dans l’histoire et doit se contenter du peu.
C’est avec une grande amertume que le narrateur aborde cet autre pan de son histoire, une histoire triste d’une génératrice inconsciente : "Beaucoup de bruits pour rien, des millénaires entiers et tant de morts dans la résistance face aux envahisseurs, pour rien, pas grand-chose. Les tribus retournèrent à l’errance comme au temps de la malédiction et oublièrent ce qu’elles avaient été en Egypte, avant l’exode et ce qu’elles étaient devenues en Numidie au temps de leur grandeur retrouvée. Et longtemps après encore aujourd’hui, les noms des hommes qui ont façonné leur passé et leur ont légué au prix du sang, ne leur disaient rien et ne leur disent rien."
Iarbas, Gaïa, Massinissa, Syphax, Jugurtha, Juba 1er, Tacfarinas, Micipsa, Mathos, Septime Sévère, Caracalla et les noms des étrangers qu’ils ont combattus ou qui ont combattu avec, leurs noms ne leur disaient rien. Et avec lesquels la tribu du narrateur a eu des descendances et des lignées, leurs noms ne disaient rien à cette nouvelle génération d’aujourd’hui, une fois de plus, le narrateur aborde cette phase de son histoire avec peine.
Ces hommes méritants sont entre autres, Hasdrubal, Hannibal, Sophonisbe, etc. Mais, leurs noms ne disent rien à personne, ce sont des inconnus. Les Numides oublièrent leurs propres noms qui avaient longtemps raisonné d’un bout à l’autre de l’empire romain. "Jamais peuple n’avait renié ce qu’il fut !", s’indigne le narrateur.
Troisième repère : L’Algérie. Plusieurs temps se sont écoulés : Le temps des résistants, des mystiques, des persécutions, des poètes, des apologistes, le temps de la fin, du réveil, des zélateurs, des imams, etc. Dans cette course-poursuite nostalgique, le narrateur se retrouve en Algérie, un troisième repère pour lui.
Quand le narrateur est revenu à la vie après ce voyage intemporel, c’est en Algérie que le narrateur est revenu à la vie. L’Algérie sous l’emprise française et cela durait plus d’un siècle déjà. Il n’y a vu que du feu. "Dieu, où étais-je tombé", se demande-il. C’était l’époque des grands travaux où des villes poussaient comme des champignons. L’air était à la civilisation occidentale.
"Le temps présent, celui que nous vivons actuellement n’a pas été en reste dans cette nostalgie du narrateur. En peu de temps, ce présent envahissant et bouleversant de célérité a engendré deux guerres mondiales, un holocauste comme la terre n’en a jamais vu, des génocides en séries, des famines à répétition, etc."
Aux dires du narrateur, demain sera meilleur, il faut continuer de le croire comme nous l’avons toujours fait depuis le commencement des temps. L’Algérie, après mille batailles épiques livrées à travers le siècle, et sur toute l’étendue du territoire, elle accédait enfin à l’indépendance. Ces héros épiques, Massinissa, Jugurtha et autres peuvent dormir en paix dans leur tombe face vers le ciel.
Après ce dernier repère, le narrateur, sort de sa longue errance nostalgique à travers le temps. Il se rend compte que "plusieurs choses lui ont échappé dans le voyage".
"Petit éloge de la mémoire" est un de ces romans qui rentrent dans le cadre des "nouveaux romans". Il est à la fois touffu, confus et agréable pour les plus attentifs, et où le lecteur se doit une particulière attention pour suivre l'auteur dans son cheminement. C'est une histoire sans fin, pourrait-on dire.
L’auteur de "Petit éloge de la mémoire" Boualem Sansal, le narrateur de ce roman est aussi Docteur en Economie et ancien haut fonctionnaire au ministère algérien de l’Industrie. Il a déjà plusieurs romans à son actif dont entre autres : "L’enfant fou de l’arbre creux" ; "Harraga" ; "Le serment des arbres"…
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Comment le parti xénophobe MNR de Brunot Mégret exploite les écrits de Boualem Sansal:
"25/01/2008 - Ce que pensent les Algériens... -
"S'il est, en Algérie, un domaine où l'effort de la France ne se discute
pas, c'est bien celui de l'enseignement. On doit dire que l'école a été
un succès certain.
Les vieux maîtres, les premiers instituteurs, ont apporté toute leur
foi pédagogique, sans arrière-pensée, et leur influence a été
extrêmement heureuse." Abderrhamane FARES
"La scolarisation française en Algérie a fait faire aux Arabes un bond
de mille ans." Belkacem Ibazizen
"En un siècle, à force de bras, les colons ont, d'un marécage infernal,
mitonné un paradis lumineux.
Seul, l'amour pouvait oser pareil défi... Quarante ans est un temps
honnête, ce nous semble, pour reconnaître que ces foutus colons
ont plus chéri cette terre que nous, qui sommes ses enfants." Boualem Sansal
"A son indépendance, nul pays extérieur au monde occidental,
Japon et Afrique du Sud exceptés, ne disposait d'une infrastructure
aussi développée que celle de l'Algérie." Bachir Ben Yamed (Directeur de "Jeune Afrique")
(...)
in: http://www.mnr-06.com/contactus.html
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http://www.algeria-watch.org/farticle/tribune/sansal.htm
Boualem Sansal n'est pas à une contradiction près!
Fatiha Talahite, 2 octobre 2000
Voici quelques commentaires que m'a inspirés l'interview du romancier
algérien Boualem Sansal, par Ali Ghanem pour le «Quotidien d'Oran" du
24.sept 2000.
Haut fonctionnaire au ministère de l'industrie, Boualem Sansal souhaite
garder son poste, tout en continuant à écrire des romans et à sillonner le
monde, de séances de dédicaces en conférences de presse et en émissions de télévision. Il espère que "ses responsables comprendront qu'il est amené à se déplacer, à être souvent absent". Pas étonnant qu'il demande au "citoyen" algérien de ne plus compter sur l'Etat... Directeur Général de l'industrie, "censé s'occuper de la restructuration du tissu industriel
pour l'adapter à l'économie de marché", il propose de vendre les entreprises publiques au dinar symbolique. Effectivement, pas besoin d'un ministère de l'industrie ni de hauts fonctionnaires pour cela. Boualem Sansal pourra continuer à écrire ses romans et à répondre aux
sollicitations de ses fans. Mais, dit-il, il tient à rester en Algérie, car
"c'est en Algérie qu'il faut écrire, c'est en Algérie qu'il faut mener le
combat. (..) Si je viens m'installer à Paris, qu'est-ce que j'ai à dire sur
l'Algérie ? (..) Tant que j'écrirai sur l'Algérie, j'y resterai !".
Généreuse profession de foi nationaliste. Mais quel est ce mystérieux
"combat" que Boualem Sansal dit mener avec tant de passion? La suite de l'interview nous aidera peut-être à le découvrir.
Poursuivant ses réponses aux questions d'Ali Ghanem, il affirme: "pour
l'observateur extérieur, c'est relativement facile de voir que le peuple
algérien a été abruti, enchaîné, aveuglé, infantilisé, démuni de moyens
d'analyse et de discernement, donc en définitive détruit". On l'aura
compris, Boualem Sensal ne fait pas partie du peuple algérien. Il peut,
lui, tout en restant en Algérie, analyser les choses avec discernement,
comme un observateur extérieur. Dans cette logique, ce n'est évidemment pas au peuple algérien "abruti" de juger de la perspicacité de ses analyses ainsi que de la qualité de ses écrits. Et en effet, ce n'est pas le lectorat algérien qui a consacré Boualem Sansal romancier algérien, mais bien le lectorat français, ou, plus précisément, le milieu français de l'édition, quand l'on sait que l'industrie du livre en France, largement subventionnée, fonctionne surtout à la commande (voir l'article d'Alan Riding du New York Times, "Rentrée littéraire, une tempête de livres s'abat sur la France", in Courrier international n°516, 2000). Boualem Sansal, qui dit avoir beaucoup lu dans sa vie, veut nous faire croire qu'il ignorait que Gallimard - auquel il aurait envoyé son premier manuscrit par hasard - était un très grand éditeur ! Très romantique, mais peu crédible...
Boualem Sansal est vraiment l'oiseau rare: fonctionnaire algérien, il sait
se dédoubler et, tout en passant le plus clair de son temps à l'étranger,
il réussit à garder un pied sur le territoire algérien ( c'est en tant que
Directeur de l'industrie qu'il dit avoir "un pied dans le réel"!) .
Ecrivain algérien, il méprise le lectorat algérien qu'il juge abruti et
infantile, et, échappant par miracle à la "médiocrité" de ses compatriotes,
il est plébiscité par le lectorat français. L'explication de ce succès
soudain et massif qui a étonné plus d'un, on la trouve dans la suite de
l'interview. Au journaliste qui lui demande si l'Algérie ne pouvait pas
s'en sortir sans la France, Boualem Sansal répond avec ferveur: "Je ne
crois pas. Nous sommes un pays sous-développé. On a besoin de quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un d'autre, on a essayé avec les Russes pendant 20 ans, ça n 'a rien donné. On a essayé avec les pays arabes, les pays frères et amis, ça n 'a rien donné. Il faut trouver quelqu'un pour nous aider, nous mettre le pied à l'étrier (..)". Notre auteur a tout simplement oublié les 132 ans de présence française en Algérie, ainsi que la coopération technique avec la France dès l'indépendance, durant plus de 20 ans, la première en importance, bien avant celle des Russes, des Arabes, des "frères" ou "amis"! Serait-il à ce point un pur produit de cette coopération, qu'il en est ainsi incapable de prendre le moindre recul?
Notons que pour ce haut fonctionnaire de l'Etat algérien, ce sont les
autres (les Russes, les Arabes, les frères et amis..) qui sont la cause de
nos malheurs. A aucun moment il ne se pose la question de la responsabilité des élites et décideurs de ce pays. Cela n'est pas rassurant, de la part de quelqu'un qui a la lourde tâche de tracer l'avenir de l'ensemble du secteur industriel algérien! C'est encore cela le plus triste pour nous. Passe encore que l'éditeur parisien choisisse parmi les nouveaux talents algériens celui qui flatte à bas prix l'égo des français, après tout, cela les regarde. Mais de constater la confusion mentale affligeante dans laquelle se trouvent ceux qui nous gouvernent, voilà qui est bien moins drôle, vous en conviendrez.
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http://www.algeria-watch.org/farticle/tribune/sansal0.htm
L'actualité ça se vend, l'Algérie aussi
Boualem Sansal au «Quotidien d'Oran»
Paris: Ali Ghanem, Quotidien d'Oran, 24.septembre 2000
Cette année, une trentaine d'ouvrages sont sortis à Paris chez différents éditeurs: documents, essais et romans, écrits par des Algériens résidant en majorité en France. Ils parlent des islamistes, de l'armée, de la vie sociale, des femmes et portent tous un regard critique sur l'Algérie: aucun n'en donne une image positive. Pour les éditeurs français, l'Algérie est un fonds de commerce, et pour certains auteurs algériens bien à l'abri en France, c'est leur gagne-pain.
Pour cette rentrée littéraire, trois romans viennent de sortir. «Un garçon raté» de Nina Bouraoui; son livre l'est aussi. «Fascination» de Rachid Boudjedra; c'est de la grande littérature, c'est aussi du Boudjedra quand on connaît son univers. Il situe son histoire à l'époque de la guerre d'Algérie.
Mais l'évènement de la rentrée littéraire cette année, pour les Français comme pour les Algériens, c'est l'extraordinaire «L'enfant fou de l'arbre creux» de Boualem Sansal, aux éditions Gallimard. Tout le monde se souvient de son précédent et fameux «Le serment des Barbares» chez le même éditeur, roman dont Costa-Gravas va faire un film qui sera produit par Toscan du Plantier.
Ce dernier livre de Boualem Sansal se passe dans la prison de Lambèse. Deux détenus, un Algérien et un Français, sont enfermés dans la même cellule de condamnés à mort. Il y a aussi un enfant attaché à un arbre dans la cour de la prison. Il est beaucoup question de la violence de la vie quotidienne dans cette prison, à la limite de l'insupportable, et l'écriture de Boualem Sansal est à l'avenant. On retrouve dans ce roman l'auteur du «Serment des Barbares» avec tout son talent, son humour féroce, sa truculence et sa profondeur, loin des clichés larmoyants et des plaidoyers emphatiques sur les droits de l'homme et l'Algérie contemporaine. Romancier «débutant» - mais ô combien accompli -, Boualem Sansal est très sollicité aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis. La littérature algérienne contemporaine fait son chemin dans le monde. J'ai écouté Boualem Sansal dans une conférence sur la littérature. J'ai eu plaisir à l'entendre parler de l'Algérie, sans fard mais sans dénonciation véhémente non plus, contrairement à d'autres auteurs plus complaisants à cet égard envers leur auditoire. Quand je me suis adressé à son attachée de presse dans un premier temps pour l'interviewer, elle m'a répondu: «Impossible ! Il a un programme très chargé». Je n'ai obtenu un rendez-vous que par l'entremise d'un ami commun. Boualem Sansal, la cinquantaine, physique latino, est un personnage discret, peu disert, mais passionné par son sujet. Il s'est laissé emporter par sa verve quand je l'ai interviewé. Je vous invite à lire son interview.
- Le Quotidien d'Oran: Ce n'est pas un peu fatigant de voyager, de faire des conférences et de dédicacer tes livres ?
- Boualem Sansal: C'est très fatigant. J'ai l'impression que ça ne rapporte rien de positif, c'est une répétition, une gestuelle, une mécanique froide. Je commence à en avoir assez.
- Q.O.: Et pourtant, c'est le rêve de tout Algérien de voyager, d'être à l'étranger. Donc toi c'est le contraire ?
- B.S.: A cette dose, cela ne peut pas être intéressant franchement. Finalement, je ne suis plus ni en Algérie ni en France. Je suis tout le temps angoissé par des problèmes de calendrier: partir, revenir, c'est ingérable mentalement. C'est vrai que vu de l'extérieur, à des gens qui sont coincés en Algérie, ça peut paraître mirifique.
- Q.O.: Un écrivain m'a dit: »A force de voyager et de faire des conférences, on n'a plus d'idées pour écrire».
- B.S.: Moi, je commence à avoir peur de ça. J'ai un roman en chantier, ça fait maintenant trois mois que je n'ai quasiment pas écrit une ligne. Je commence à m'angoisser. Il est temps que je rentre à Alger et que je reprenne mon travail.
- Q.O.: Je connais très peu ton itinéraire. Quel est la nature de ton travail au ministère de l'Industrie ?
- B.S.: Je suis Directeur général de l'Industrie. Je suis censé m'occuper de la restructuration du tissu industriel pour l'adapter à l'économie de marché. Les grands combinats industriels comme El-Hadjar et compagnie, il faut restructurer ça, et il faut les préparer à la privatisation. Il faut leur réapprendre l'efficacité, leur apprendre en fait, parce que je ne sais pas si à un moment ou à un autre ils l'ont su. Mais la démarche que nous suivons pour cela n'est peut-être pas la meilleure, parce que ce n'est pas à l'administration de le faire. Normalement, elle devrait faire appel à de grands bureaux d'étude spécialisés dans la restructuration, dans les privatisations. En Algérie, ça reste encore le fait de l'administration et du politique. Donc, je n'attends pas de grands résultats de ce processus de restructuration, de refondation de l'administration algérienne.
- Q.O.: A propos de privatisations, les gens disent qu'on brade l'économie algérienne au profit de certaines personnes privées qui ont des relations...
- B.S.: En Algérie, on a beaucoup utilisé ce mot: brader. Cela ne veut rien dire. On peut vendre une entreprise au prix d'un dinar symbolique; mais si elle ne vaut que cela, c'est à ce prix seul qu'on la vendra. Je crois qu'on utilise ce mot parce qu'il y a encore une idéologie socialiste, un discours rétrograde. Il faut se résoudre à vendre les entreprises à leur prix. Ce prix peut être très bas, voire nul dans certains cas, parce que l'entreprise ne vend plus rien, est endettée jusqu'au cou, a des équipements obsolètes, une production qui ne trouve pas preneur sur le marché.
- Q.O.: Venons-en à ton livre. Ton cas est un peu particulier. Hier soir, j'ai dit un peu maladroitement que tu débarques dans la littérature, et quelque part c'est un peu vrai, et je le dis d'une manière amicale. Tu fais un premier roman chez un grand éditeur (Gallimard) et c'est le grand succès. Tu as failli avoir le prix Goncourt, tu es sollicité dans différents pays...
- B.S.: Moi, c'est un vrai déluge qui m'est tombé sur la tête. Je ne m'attendais pas du tout à ça. Lorsque j'ai fini «Le serment des Barbares», j'ai envoyé le manuscrit à Gallimard. Je ne me faisais aucune illusion, je pensais qu'il allait être refusé. J'ai essayé. Quand, 3 semaines après mon envoi, j'ai reçu de Gallimard une réponse extrêmement élogieuse, vraiment très élogieuse, j'ai été surpris, j'ai commencé à paniquer. Après sa sortie, il a été très bien accueilli par la presse d'une manière unanime. Après, mon éditeur n'arrêtait pas de m'appeler pour m'annoncer que mon roman avait été sélectionné par les différents jurys de prix littéraires: le Goncourt, le Médicis, le prix Inter-Alliés, le Renaudot, le Fémina. Quinze jours après, un producteur nous a sollicités pour faire un film. Ça a été vraiment la grande surprise.
- Q.O.: Il paraît que tu as envoyé ton roman chez Gallimard par la poste. Le choix de Gallimard, qui est un très grand éditeur, c'est dû au hasard ?
- B.S.: C'est vrai que j'ai envoyé mon manuscrit par la poste. Un jour, un ami croate est venu me voir au bureau et m'a dit qu'il partait en voyage en Europe et m'a demandé si j'avais besoin de quelque chose. Je lui ai alors remis mon colis lui demandant de le poster en France à l'intention de Gallimard. J'ignorais que Gallimard était un très grand éditeur. Pour moi, c'était un éditeur comme les autres.
- Q.O.: En Algérie, tu as écrit quelques livres techniques et tu as attendu 50 ans pour publier ton premier roman. J'aimerais connaître ton cheminement par rapport à l'écriture.
- B.S.: J'ai toujours beaucoup écrit, mais au début j'ai été tenté par l'écriture dans mon domaine. J'ai fait un livre sur l'économie, j'ai fait un livre sur le turboréacteur. Puis l'Algérie a sombré dans la guerre civile. Et n'importe quel Algérien vivant en Algérie ou ailleurs s'est senti interpellé, on a cherché à comprendre: comment se fait-il que collectivement nous ayons basculé dans la violence ? Et aussi ma trajectoire personnelle: Mimouni était un ami, je le voyais écrire, j'ai suivi sa carrière d'écrivain brillant, je crois que quelque part ça m'a testé. Et comme j'avais élaboré une réflexion sur la situation en Algérie, je voulais la raconter. Au départ, je pensais écrire un essai, mais comme il me manque les outils méthodologiques, j'ai choisi pour m'exprimer la fiction romanesque.
- Q.O.: Quand j'ai dit que tu as attendu l'âge de 50 ans pour faire ton premier roman, il y a néanmoins dans «Le serment des Barbares» un travail d'écriture d'une grande qualité, et on a l'impression que tu as une grande expérience de la littérature.
- B.S.: C'est effectivement mon premier roman, mais j'ai beaucoup lu dans ma vie. Au départ, j'ai une formation classique: j'ai fait du latin et du grec au lycée, et ça m'a donné le goût de la langue, de l'étymologie, du sens. En fait, il n'y a aucune explication. J'écris comme ça et je le fais assez naturellement, encore que je travaille mon texte vraiment sérieusement, je travaille surtout beaucoup le rythme, mais je n'ai pas de recette particulière.
- Q.O.: La première fois que je t'ai rencontré dans une réception algérienne, je t'ai observé longuement: tu es quelqu'un qui ne va pas vers les gens, tu es réservé et tu parles peu. Je pense même que tu es quelqu'un de timide. Mais dans tes 2 romans, il y a une grande violence dans ton écriture. Est-ce que c'est ta manière de t'exprimer, est-ce que ce sont les situations sociales et politiques traitées qui t'obligent à t'exprimer comme ça ?
- B.S.: C'est la situation... Je suis de nature réservé, extrêmement timide, je n'aime pas du tout m'exprimer en public. Je ne crois pas jamais m'être trouvé dans une situation où j'ai été amené à m'exprimer d'une manière violente, mais c'est la situation en Algérie qui nous pousse à la violence, à la réaction forte. Moi, ma violence est proportionnelle à la violence que nous vivons. Si j'avais écrit d'une manière sobre et discrète, je crois que j'aurais écrit un très mauvais roman, très plat, très «français», ceci dit sans arrière-pensées.
- Q.O.: Alors, à propos de liberté d'expression, tu as écrit tes 2 romans sur un ton très critique. Traditionnellement, les hauts fonctionnaires ne s'expriment pas ainsi sur la situation sociale et politique. En tant que cadre de l'Etat, tu n'as pas eu de rappel à l'ordre ?
- B.S.: Non, curieusement, je n'ai rien connu de tel. C'était en 1999. Il faut se rappeler des circonstances de l'époque, le Président venait de démissionner, le gouvernement est tombé, on était en pleine période électorale, ceux qui dirigeaient en Algérie avaient d'autres chats à fouetter que de s'occuper d'un écrivain, même si à Paris il a eu du succès. Ensuite, s'il n'y a pas eu de mises en garde à proprement parler, il y a eu des réflexions plus ou moins désobligeantes des uns et des autres. La presse algérienne n'a pas été très tendre avec moi, mais ce n'était pas très méchant.
- Q.O.: Il faut reconnaître que certains journalistes ne sont pas tendres avec les auteurs qui ont du succès à l'étranger. C'est une chose que j'ai connue moi-même en tant que cinéaste.
- B.S.: Il y a peut-être de ça, probablement. Je ne sais pas comment certains journalistes ont lu, ont perçu mon livre. En tout cas, ils en ont dit beaucoup de mal. Il y a un journaliste qui est allé jusqu'à me traiter de raciste envers son propre peuple... C'est à eux qu'il faut poser la question.
- Q.O.: Ceci dit, ton succès littéraire n'est pas qu'un phénomène français, il existe aussi dans différents pays européens.
- B.S.: Je suis moi-même surpris de l'accueil reçu par mon livre dans de nombreux pays européens, ainsi qu'aux Etats-Unis et au Canada. Je reçois du courrier de journalistes de ces pays me sollicitant pour des interviews. L'Algérie intéresse tout le monde. Car il ne faut pas me prêter des qualités que je n'ai pas, c'est l'Algérie qui intéresse les gens dans beaucoup de parties du monde: les gens cherchent à comprendre.
- Q.O.: Maintenant que tu as du succès et que tu vas mieux gagner ta vie, est-ce que tu vas rester au ministère de l'Industrie ?
- B.S.: Si on ne me met pas dehors, moi je reste au ministère parce que je tiens à garder un pied dans le réel. Vivre comme ça de fiction, écrire de la fiction puis en parler ensuite à longueur de journée, à la longue, c'est appauvrissant. Si on me laisse le choix, je reste au ministère. Je demanderai cependant à mes responsables de comprendre que je suis amené à me déplacer, à être souvent absent. Je tiens à rester en Algérie, car c'est en Algérie qu'il faut écrire, c'est en Algérie qu'il faut mener le combat. Voilà.
- Q.O.: Justement, dans une discussion privée, tu disais: si je dois quitter mon pays, je n'écrirai plus sur l'Algérie.
- B.S.: Oui, absolument. Si je viens m'installer à Paris, qu'est-ce que j'ai à dire sur l'Algérie ? C'est fini, je l'ai quittée, à part pour retourner y voir ma famille et mes amis. Tant que j'écrirai sur l'Algérie, j'y resterai !
Suite en page 7
- Q.O.: Revenons-en à «L'enfant fou de l'arbre creux». Tu as choisi un sacré sujet et dans la prison de Lambèse, un endroit bourré de symboles par rapport à la révolution algérienne. Et toi, tu mets là-dedans 2 personnages, un Français et un Algérien, plus un enfant qui est attaché à un arbre. Pourquoi ce choix ?
- B.S.: Euh... (il hésite). Lambèse est emblématique de ce qu'est devenu l'Algérie depuis 1962, c'est une grande prison. Souviens-toi, jusqu'aux années 80, on ne voyageait à l'étranger qu'avec une autorisation, on ne pouvait rien faire, on n'avait aucune liberté politique, c'était l'enfermement. L'arrivée des islamistes a encore aggravé la situation: non seulement on pouvait nous mettre physiquement en prison, mais intellectuellement, spirituellement aussi, l'Algérie était une prison. Hélas, c'est comme ça. En situant mon histoire à Lambèse, c'est l'Algérie. «L'enfant fou de l'arbre creux» peut symboliser le peuple algérien qui était infantilisé par des discours extrêmement primitifs. Il est enchaîné, aveuglé... L'arbre creux, c'est cette Algérie dont on a enlevé toute la richesse, toute la substance, c'est un arbre sec. Pourquoi un Français et un Algérien ? Parce que c'est le centre de la problématique. On a des relations compliquées avec la France. Il y a plus d'1 million d'Algériens qui vivent en France, il y a une histoire commune, ses bons côtés, ses mauvais côtés, avec ses horreurs. C'était intéressant pour moi de mettre le débat, car le roman est un débat, un échange, entre un Français et un Algérien. Chacun racontant sa vie, sa conception de l'Algérie. Voilà.
- Q.O.: Oublions les Français. On ne peut pas s'en sortir sans eux ?
- B.S.: Je ne crois pas. Nous sommes un pays sous-développé. Il faut regarder le monde moderne. On ne rentre pas dans la modernité parce qu'on le veut. La chose est extrêmement complexe. Il faut des conditions particulières, il faut de l'argent, il faut faire un pays moderne pour appeler tout un peuple à la modernité. Ça ne peut pas se faire tout seul, ce que l'on a essayé de faire en 62. On s'est dit: on est spécifiques, on va faire un socialisme, un gouvernement, une culture spécifiques. Le résultat on le connaît, une guerre civile de 8 ans qui a failli nous décimer, qui, intellectuellement et moralement, nous a détruits. On a besoin de quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un d'autre, on a essayé avec les Russes pendant 20 ans, ça n'a rien donné. On a essayé avec les pays arabes, les pays frères et amis, ça n'a rien donné. Il faut trouver quelqu'un pour nous aider, nous mettre le pied à l'étrier, pour avoir les rudiments: qu'est-ce que c'est que la démocratie, l'Etat républicain, l'école moderne, la société civile ? C'est vrai qu'on peut apprendre tout seul, mais ça va demander 3 millénaires. Nous avons le désir et le projet d'adhérer à la zone de libre échange avec l'Europe: ça peut être un moteur et ça peut aller plus vite si nous écoutons les conseils des uns et des autres. Pourquoi la France ? Parce que la France. Nous avons une richesse colossale, c'est notre émigration. Un million d'Algériens vivent en France. Parmi eux, il y a des milliers de cadres, des médecins, des chercheurs... Donc, c'est forcément avec la France que l'on peut trouver cet effet levier dont nous avons besoin. Parce qu'on a cette émigration, parce que beaucoup de Français s'intéressent à l'Algérie, parce que les relations économiques traditionnelles, parce que l'histoire.
- Q.O.: On revient à ton livre. Toujours dans une discussion privée (rires), parce que je t'écoute quand tu parles avec les autres, tu disais que cet enfant attaché à l'arbre, tout le monde ne le voit peut-être pas. Que voulais-tu dire ?
- B.S.: Oui, cet enfant enchaîné au milieu de la cour de Lambèse, il n'existe pas: il est clair que c'est un symbole. Et les symboles ne se voient pas. On le voit seulement quand on est préparé, quand on le veut, quand on a les moyens de le voir. Donc, moi-même je me pose la question: est-ce que les gens de Lambèse, ces prisonniers qui regardent la cour à travers leurs grilles, voient cet enfant fou, ce peuple rendu fou par une politique absurde, celle que nous avons menée depuis 62, ce peuple qui est infantilisé, qui est aussi aveugle ? A un moment donné, on découvre que cet enfant, en plus d'être fou et de se trouver dans cette situation paradoxale, est aveugle. Non, on ne le voit pas, mais on le sent. Mais évidemment, lui, Pierre, le Français en prison avec Farid, le voit, car il vient de l'extérieur. Pour l'observateur extérieur, c'est relativement facile de voir que le peuple algérien a été abruti, enchaîné, aveuglé, infantilisé, démuni de moyens d'analyse et de discernement, donc en définitive détruit.
- Q.O.: Donc, le regard du peuple sur lui-même serait moins efficace que le regard extérieur des autres nations ?
- B.S.: Toujours. L'oeil extérieur est toujours plus important que son propre regard sur soi-même. On ne sait pas se regarder. Pendant une trentaine d'années, on s'est gargarisé de mots, on s'est dit que nous étions un peuple extraordinaire, on est un peuple qui fait des miracles au quotidien. On s'est assez leurrés. Il faut maintenant cesser de se regarder le nombril, il faut accepter le regard de l'autre. Le regard de l'autre n'est pas forcément objectif, mais il est important à considérer; même dans sa subjectivité, il est important à considérer. Je vais te citer un exemple. Il y a quelques mois, dans une ville du sud de la France, j'ai rencontré un jeune Russe qui avait 20 ans, un dessinateur, un petit génie dont les BD sont parvenues en France. On l'avait invité, il ne parlait pas un mot de français, il n'était jamais sorti de sa Sibérie. Il n'était en France que depuis 3 ou 4 jours. On s'est rencontré dans un dîner et il m'a parlé dans un anglais approximatif. Il m'a demandé d'où je venais et je lui ai répondu que je venais d'Algérie. Alors ce monsieur qui ne connaissait rien de l'Algérie me dit: »J'ai vu quelques Algériens à Paris, ils m'ont semblé turbulents, agressifs». Je lui ai dit que ce qu'il me disait était important pour moi. Et j'ai alors proposé de lui dire ce que je pense du peuple russe: «il est bourru, replié sur lui-même, un peu névrotique. C'est le regard que j'ai sur vous, il est probablement faux mais il est important que vous entendiez ce que vous renvoyez aux autres comme image».
- Q.O.: Toi, tu as un double regard: celui de l'écrivain et celui de l'Algérien qui vit ça au quotidien. Tu es une sorte de garde-champêtre (rires) qui regarde les problèmes et tu as envie que ça change.
- B.S.: Comme tous les Algériens qui vivent en Algérie ou ailleurs, on a envie que l'Algérie s'en sorte. On a perdu 40 ans, on a gaspillé un argent fou, on a gaspillé nos hommes, notre énergie. Il est temps maintenant qu'on regarde les choses comme elles sont, bien ou mal. Il est temps qu'on recommence à travailler, c'est pour cela que je milite. Je ne sais pas si je serai écouté, mais enfin c'est l'objectif que je me fixe.
- Q.O.: J'ai remarqué qu'il y a très peu de rapports amicaux entre les écrivains algériens. C'est un monde où l'on se méfie les uns des autres. J'ai aussi observé que les gens ne communiquent pas sur le plan politique.
- B.S.: Oui, dans une situation de violence généralisée, forcément, la méfiance devient une seconde nature. On se méfie de tout: du temps, de son voisin, de ses collègues, de ses concurrents. La méfiance est devenue notre mode de vie. On se méfie des étrangers, bien sûr.
- Q.O.: Et les intellectuels ?
- B.S.: Au niveau des intellectuels, je n'en suis pas là. Comme tu l'as dit tout à l'heure, je débarque dans l'écriture depuis un an... J'ai été frappé de voir que les écrivains algériens ne se fréquentaient pas, semblaient ne pas s'apprécier. Ils ont l'air de se jalouser. Je ne m'explique pas la chose.
- Q.O.: Qu'est-ce qui a changé dans ta vie depuis que tu écris, depuis que tu as du succès ?
- B.S.: A vrai dire, rien n'a changé. J'habite toujours Boumerdès, j'habite toujours dans ma maison, je suis toujours au ministère de l'Industrie, mon quotidien, c'est ça. C'est faire le trajet Boumerdès-Alger dans les 2 sens, passer 8 heures de travail au bureau, sur mes dossiers, rencontrer les mêmes personnes. Bien sûr, je viens souvent en Europe, j'ai quelques activités mondaines, mais je ne me laisse pas prendre à ce jeu-là. Ça n'a aucune influence ni sur mon mode de vie, ni sur mon caractère, ni sur ma façon de regarder le monde.
- Q.O.: J'arrête de te casser les pieds avec mes questions. Qu'est-ce que tu as à dire, toi Boualem Sansal, de particulier aux lecteurs du Quotidien d'Oran ?
- B.S.: Qu'est-ce que je peux dire ? (Il hésite, il réfléchit). Peut-être en particulier pour les jeunes. C'est de ne plus compter sur l'Etat. Parce qu'on a aussi ce défaut, tous, que nous soyons cadre ou pas cadre, artiste ou pas, c'est de tout attendre de l'Etat. Il est temps maintenant que chacun à son niveau, on se prenne par la main, qu'on fasse notre petit chemin tout seul. L'Algérie, jusqu'à présent, était faite par les politiques, par les partis au pouvoir, il est temps qu'elle soit faite par les citoyens eux-mêmes, pour accéder à la citoyenneté et puis bâtir. On commence à voir ça sur le plan économique. Il y a des gens qui investissent, qui galèrent en Algérie, mais qui avancent. Dans les autres domaines, c'est encore le désert. Les gens disent: «L'Etat ne fait rien. Il faut que l'Etat nous aide». Mais l'Etat n'a plus les moyens.
- Q.O.: Allez, ciao, bonne route !
L'enfant fou de l'arbre creux - Editions Gallimard
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http://www.cerclealgerianiste-lyon.org/congres2006.html
FAIRE FEU DE TOUT BOIS ?
Toulouse, 21 et 22 octobre 2006
Palais des congrès Pierre Baudis
1er Forum algérianiste du Livre - 33ème Congrès
La ville de Toulouse a été retenue par la Fédération Nationale des Cercles algérianistes pour son congrès annuel 2006.
Parallèlement à cette manifestation, aura lieu le Premier Grand Forum algérianiste du Livre ouvert au public le plus large.
Plus de 200 auteurs, ayant choisi dans leurs écrits d’évoquer l’Algérie, que ce soit sur le thème de la littérature, de l’histoire ou de la mémoire, présenteront et dédicaceront leurs ouvrages.
Une grande exposition d’affiches originales de la collection Baconnier sera présentée.
Des tables rondes, des projections de films ainsi que la remise des Prix littéraire et Universitaire algérianistes sont également prévues.
Auteurs inscrits au congrès
(…)
HAMOUMOU Mohand , BEN MAHMOUD Feriel, GRIM Mohamed , PUJANTE Guy, RICHIER Danielle, RIERA Cécile, RODRIGUEZ Jean-Michel, RUDLOFF Jean, SAN JUAN Marie-Claude, SANSAL Boualem, SCHMITT Maurice (Général), SCHNEIDER Arlette, SCHURER Geneviève
SCOTTI Edgar, SONCARRIEU Roger de TERNANT Geneviève, TESTUD Marc (…)
PROGRAMME DU CONGRES
Vendredi 20 octobre 2006
Réunion publique d'information (réservée aux adhérents et à leurs amis)
18h-20h Salle Barcelone - 22 allée de Barcelone 31OOO Toulouse
Cette réunion, animée par Thierry Rolando, Président national du Cercle algérianiste, permettera aux participants de faire le point sur :
Le bilan de l'activité du Cercle algérianiste en 2005
Les actions et les projets à venir
Les grandes questions d'actualité (abrogation de l'article 4 de la loi sur les rapatriés, projet de traité d'amitié franco-algérien, Mémorial des Disparus de Perpignan...)
Un débat avec l'auditoire cloturera cette réunion
20h 30 : Dîner libre
21 - 22 OCTOBRE 2006
SALONS PERMANENTS DES ECRIVAINS ET EXPOSANTS
(ENTREE GRATUITE)
(…)
Samedi 21 octobre (après midi et soirée)
14h 15 Inauguration officielle de l'exposition "l'Algérie par l'affiche" composée d'affiches originales de la collection Baconnier en présence de M. Dominique Baconnier
14h 30 Inauguration officielle du forum du livre suivie de celle du salon des exposants
14h 45 Hommage à Just Fontaine qui nous fera l'amitié de sa présence. Interview Julien Simon
Toulousain d'adoption, Pied-Noir du Maroc, Just fontaine est l'un des plus grands footballeurs de tous les temps, il est l'auteur de "Just 13" (Editions Elytis - 2006)
15h 00 Dans sa relation avec l'Algérie, la France est-elle condamnée à une repentance
unilaterale ?
Table ronde animée par Thierry Rolando avec la participation de :
Jacques Heers, professeur honoraire de l'université Paris IV Sorbonne, auteur de "Histoire assassinée : les pièges de la mémoire" (Editions de Paris)
Jean-François Mattéi, membre de l'Institut Universitaire de France, professeur à l'université de Sophia Antipolis, auteur de l'ouvrage " De l'indignation" (Editions de la Table Ronde)
Général Maurice Schmitt, ancien chef d'état major des armées, auteur de "Alger - été 1957 une victoire sur le terrorisme", (Editions L'Harmattan)
Mohand Hamoumou, docteur en sociologie auteur de : "Les Harkis, une mémoire enfouie", (Editions Autrement)
16h 00 Proclamation du Prix littéraire algérianiste "Jean Pommier" 2006 par Hubert Groud, président du jury
16h 20 Interventions de :
Thierry Rolando, président national du Cercle algérianiste
Jean Luc Moudenc, maire de Toulouse
Emmanuel Charron, président de la Mission interministérielle aux Rapatriés
16h 45 Projection des films : "Mon Alger" de Jean Belanger et Jean Pommier suivi de "Oran" (Ofalac - années 50)
17h 20 : rencontres libres avec les écrivains et exposants
20h 30 Dîner du congrès lieu : salle Caravelle, centre de Congrés Pierre Baudis - Toulouse
Dimanche 22 octobre (journée)
9h 00 Ouverture du forum du livre et des expositions
9h 30 Proclamation du prix universitaire algérianiste 2006 par Thierry Rolando et Michèle Soler
10h 00 : L'après 1962 a-t-il provoqué l'éclosion d'une littérature d'exil au sein de la communauté Pied-Noire ?
Table ronde avec :
Jeanine de la Hogue, auteur de "Mémoire d'absence" (Editions Wolf Albes Atlantis)
Pierre Dimech, auteur de "Pieds-Noirs et cous rouges" (Editions de Paris)
Evelyne Joyaux, auteur de "puisque l'ombre demeure" (auto-édition)
Henri Martinez, auteur de "Dernières nouvelles de l'enfer" (Editions Robert Laffont)
11h 00 Intervention exceptionnelle de Boualem Sansal, écrivain, auteur du "Serment des Barbares", de "Harraga" et de "Poste restante : Alger - Lettres de colère et d'espoir à mes compatriotes" (Editions Gallimard 2006)
12h 30 Déjeuner libre
14h 15 Rencontres libres avec les écrivains et exposants
17h00 Clôture du 1er Forum algérianiste du livre
Pour tout Renseignement :
Cercle algérianiste de Toulouse - Pierre Batty : 05 61 74 62 43 - Ghislaine Delmond : 06 13 51 26 00
Cercle algérianiste national BP213 - 11102 NARBONNE - Tél. : 04 68 32 70 07 - Fax : 04 68 32 69 64
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http://www.lire.fr/entretien.asp/idC=37636/idTC=4/idR=201/idG=
Boualem Sansal
par Daniel Bermond
Lire, septembre 2000
Haut fonctionnaire au ministère algérien de l'Industrie, Boualem Sansal publie L'enfant fou de l'arbre creux, un an après Le serment des barbares, l'un et l'autre chez Gallimard. Deux romans sur la tragédie algérienne écrits en français. Pour l'auteur, il n'était pas pensable de les rédiger autrement qu'en français. Il s'explique sur cette nécessité et se fait l'avocat de la «cause» de la francophonie. Cause, avez-vous dit. Avec ou sans majuscule?
Ecrire directement en français, est-ce quelque chose de naturel pour un auteur algérien?
B.S. Il suffit de visiter nos librairies pour voir que les Algériens lisent essentiellement en français. Il suffit de compter les paraboles au-dessus de nos immeubles pour voir que les Algériens sont unanimement à l'heure de Paris. Sur trente-sept titres que compte la presse écrite nationale, trente sont d'expression française. La production des vingt maisons d'édition existant en Algérie est de la même façon d'expression française dans une très large proportion. Le français, malgré la loi sur l'arabisation et les campagnes d'intimidation et de répression auxquelles cette loi donne lieu de temps à autre, reste la langue de travail dans les entreprises et les administrations. Vivre en français est une des réalités de l'Algérie. Ecrire en français va donc de soi, envers et contre tout.
Mais était-il concevable que vous écriviez en arabe L'enfant fou de l'arbre creux ou Le serment des barbares?
B.S. Absolument pas. Le seul arabe que je connaisse est l'arabe algérois, c'est-à-dire un patois fait d'un tiers d'arabe classique, un tiers de français arabisé (exemple: tabla pour table, biro pour bureau, tonobile pour automobile) et un tiers de berbère du terroir. D'une région à l'autre, les proportions sont différentes, les tournures spécifiques. Il ne se prête pas à l'expression écrite. Ceci dit, je n'écris pas seulement pour le lecteur algérien, j'avais la prétention de m'adresser à un public plus large, dont le public français.
Le français, langue du colonisateur... Vous connaissez l'opprobre jeté à la face des ressortissants d'anciennes colonies qui écrivent en français. La question vous paraît-elle dépassée? Ou comprenez vous qu'elle puisse être encore posée?
B.S. Ce discours, nous l'entendons depuis l'indépendance. Les chiens aboient, la caravane passe. J'ai le bonheur d'avoir pour patron un ministre islamiste, fervent pourfendeur de l'Occident. A son arrivée au ministère de l'Industrie, en 1997, il nous a tenu un discours comminatoire: nous étions sommés de comprendre qu'avec lui l'Islam et l'Arabe allaient dorénavant gouverner le ministère et mettre les troupes au pas. Trois années plus tard, le résultat est le suivant: nous travaillons en français comme par le passé, le ministre a fait des progrès considérables dans la langue de Voltaire, la lecture n'a plus de secret pour lui, son parler évolue cahin-caha dans le bon sens. S'il n'écrit pas, c'est seulement qu'il est persuadé qu'un ministre n'a pas à faire le travail manuel. Il parle aux femmes du ministère, leur touche la main et va même jusqu'à plaisanter avec elles. J'ai été extraordinairement surpris d'apprendre qu'il a fait acheter dix exemplaires du Serment des barbares par la Documentation du ministère (il y a une coquetterie là-derrière). Il en va de même dans les autres ministères dirigés par les islamistes, le français reprend du poil de la bête. Grâce à nos collègues, nous suivons avec intérêt les progrès réalisés par leurs ministres.
Il existe pourtant, au moins officiellement, un discours très tiers-mondiste qui cherche à marginaliser le français en puisant sa légitimité dans le combat pour l'indépendance...
B.S. De ce point de vue, les plus dangereux sont les gens du FLN; ils ont une façon de se draper dans les «constantes éternelles de la révolution» qui paralyse leurs vis-à-vis. Leur technique d'embrigadement de la société, mise au point depuis l'indépendance, est encore très efficace. Le discours contre «la langue du colonisateur» prend cependant eau de toutes parts. M. Bouteflika ne parle plus qu'en français. On a beau le menacer, rien n'y fait, la digue est rompue. Mais le fond du problème demeure et le vrai combat est ailleurs: à l'école. Celle-ci est arabisée à cent pour cent, l'enseignement religieux le plus rétrograde y est prodigué à forte dose, elle forme des analphabètes, des racistes, des intégristes, des sectaires, et au bout du compte de malheureux chômeurs totalement désorientés. C'est autour de ce bastion que se radicalisent les positions entre francophones, arabophones, berbérophones, islamistes, laïcs, modernistes, conservateurs. C'est là que se rencontrent et s'affrontent toutes les contradictions de la société algérienne. Les enfants paient les pots cassés de leurs pères.
Une tradition de la littérature francophone s'est solidement installée, venue du Maghreb, de l'Afrique noire, des Antilles, du Canada, de Roumanie, voire de Chine. Quel est son génie propre? Qu'apporte-t-elle à la littérature strictement hexagonale?
B.S. Cela prouve la vitalité du français en dehors de l'Hexagone; il trouve un terreau favorable dans nos pays. L'affirmation de son identité dans un monde de plus en plus ouvert, donc sans repères, est pour nous un facteur d'angoisse. On s'agrippe ici et là pour surnager. On voit bien que nos cultures propres et nos langues ne nous permettent pas d'entrer dans le monde moderne. Aussi nous faut-il nous accrocher aux cultures dominantes (anglo-saxonne, française, espagnole, pour l'essentiel). Ce serait de la resquille. C'est surtout une question de survie. Si génie propre il y a, il vient de ce double ancrage, de cette angoisse de se voir disparaître, de cette peur de n'être plus soi-même. A l'Hexagone elle apporte en quelque sorte un regard sur son passé, sur ses responsabilités. Dans un monde uniformisé par la mondialisation, elle apporte l'exotisme, la nostalgie, le parfum de ce qui peut-être n'est plus, ou n'est plus très apparent.
Quels sont les auteurs dont vous vous sentez le plus proche sur le plan de l'écriture?
B.S. Je ne cherche pas à faire facile, mais j'aime toutes les écritures. A vrai dire, je n'y regarde pas trop, pourvu que l'histoire soit belle et le thème proche de mes préoccupations et de ma sensibilité.
L'enfant fou de l'arbre creux que vous venez de publier est écrit dans une langue à la fois très pure et très flamboyante, baroque, dira-t-on. Où puisez-vous cette verve? Dans votre double culture?
B.S. Dans ma double culture, oui, mais aussi dans le désarroi, la peur, la révolte. Voir son pays sombrer dans la bêtise et la mort, écouter ses dirigeants se gargariser de mots et se pavaner dans le ridicule, voir ses concitoyens se complaire dans la lamentation, met dans un état particulier, proche de la folie. On a envie de crier, de haranguer, de remuer le couteau dans la plaie et de tourner en dérision les slogans du jour. C'est ce que j'essaie de faire, d'une manière appliquée tout en me laissant la bride libre.
L'enfant fou... est votre deuxième roman après Le serment des barbares. Deux fictions sur la tragédie algérienne. Votre pays n'aurait pas connu ce qu'il vit depuis dix ans, vous seriez resté un haut fonctionnaire sans histoire?
B.S. Sans aucun doute. Par définition, les fonctionnaires sont réservés. Et je le suis probablement plus que la moyenne. En 1990 et 1992, j'ai publié à Alger deux livres techniques, l'un sur «la mesure de la productivité», l'autre sur «la postcombustion dans les turboréacteurs». J'aurais pu continuer sur cette lancée si les événements n'avaient pris la tournure que nous leur connaissons. L'assassinat du président Boudiaf, la mort de mon ami Rachid Mimouni, ont été pour moi le déclic. C'était écrire ma révolte ou partir la pleurer dans l'exil.
L'allégorie de cet enfant sans regard, enchaîné à un arbre dans une cour de prison, c'est d'abord le visage de l'Algérie...
B.S. C'est celui du peuple algérien dans cette immense prison qu'est l'Algérie. Un peuple infantilisé, aveuglé, enchaîné par le mensonge. Il a été amené à ce point où il ne sait pas qui il est, d'où il est venu ni ce qu'il veut. Il tourne autour de son arbre mort, il s'amuse avec un chien qui héberge toutes les maladies du monde, il n'a même pas conscience qu'il peut défaire la corde de son cou et s'en aller. C'est terrible.
Pierre et Farid, les deux personnages du roman, tous deux incarcérés à Lambèse, ne figurent-ils pas l'incompréhension franco-algérienne, faite d'une histoire commune mais empoisonnée par l'humiliation, la manipulation, la trahison?
B.S. Tout à fait. Mais ils sont aussi les deux facettes de la personnalité algérienne; deux facettes qui se refusent, se nient, s'insultent, se méprisent. Le jour où l'Algérien acceptera sans complexe les diverses facettes, berbérophone, arabophone, francophone, qui composent sa personnalité, alors il sera en accord avec lui-même et avec l'Autre. L'incompréhension franco-algérienne découle de là. Notre histoire commune, mouvementée à en être épique, est manipulée, notamment à travers ses côtés honteux, pour accentuer cette incompréhension et installer en nous la haine.
Vous êtes très dur pour ceux qui ont gouverné l'Algérie depuis 1962. Il y a dans L'enfant fou ce pastiche du Notre-Père chrétien qui résonne comme une imprécation contre eux. «Jamais nous ne leur pardonnerons», lit-on...
B.S. Gouverner est un terme impropre lorsqu'on parle de dictateurs. Ils ont pris le pouvoir par les armes et l'ont conservé par les armes, ce sont des bandits. Tout dans leur pratique relève du banditisme et du charlatanisme. Depuis 1962, nous vivons encerclés, surveillés, embrigadés; ils nous ont insultés, humiliés, muselés, emprisonnés, assassinés, volés, dépossédés. Comment leur pardonner? Lorsqu'ils se sont sentis menacés par le vent de la démocratie, ils ont dressé le peuple contre lui-même, ils ont libéré ses plus bas instincts. Le résultat est là: dix années de guerre civile et nous n'en voyons pas la fin.
Avec Bouteflika, rien n'a changé? Pas même l'amorce d'un tournant?
B.S. La mission de M. Bouteflika n'était pas de changer les choses, du moins dans le sens où nous l'entendons, mais de laver l'armée des accusations por- tées contre elle par les Algériens et par tous ceux qui, dans le monde, estiment qu'elle a versé dans le crime. Notre jugement sur la question est acquis après une année de patiente observation sans a priori des faits et gestes de M. Bouteflika et de son gouvernement. Relativement à la mission que lui a confiée la Junte, M. Bouteflika a l'air d'avoir réussi à tromper son monde mais, hélas pour eux et pour nous, les terroristes ne jouent pas le jeu, ils continuent imperturbablement à tuer, à détruire, à paralyser le pays et à l'isoler. Les missions d'enquête dépêchées ces derniers temps à Alger par différentes organisations internationales (Amnesty International, Human Rights, Reporters sans frontières...) ne s'y sont pas trompées, leurs rapports sont accablants. La loi dite de concorde civile vise en réalité à dédouaner l'armée sous couvert d'une amnistie des terroristes. Pour le reste, tout va de mal en pis. Au plan économique, la situation est désastreuse, malgré une recette record dans la vente du pétrole et du gaz. Parler, séduire, promettre, lancer des invitations tous azimuts, c'est bon si les actes vont dans le même sens. S'ils prennent le chemin contraire, on est forcés de crier à la supercherie. Mais c'est là tout Bouteflika.
Votre prochain roman, l'Algérie, encore?
B.S. Je ne sais pas. Depuis longtemps, je rêve d'écrire un roman de science-fiction. C'est mon côté ingénieur qui me titille.