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mercredi 11 novembre 2009

27- Boualem SANSAL à Montpellier et à Nîmes

Coup de soleil
Lettre d'information n°31 -4 novembre 2009 -p.20

Boualem Sansal à Montpellier et à Nîmes


Grande affluence mardi 22 septembre pour écouter, voir ou revoir la plus belle et la plus hardie des plumes de la littérature algérienne d'aujourd'hui.

Pendant que Boualem Sansal répond aux questions d'une journaliste locale, les gens arrivent et peu à peu la belle salle de la médiathèque Emile-Zola se remplit avec un public varié.

Lors de sa présentation, nous avons loué le talent littéraire de cet écrivain et son engagement politique et citoyen, dans la double lignée de Yacine Kateb et de Rachid Mimouni.

Nous avons rappelé les éloges qui lui ont été adressés par les critiques littéraires les plus prestigieux tout en indiquant que ses romans étaient interdits dans son propre pays. Dans son dernier livre, Le village de l'Allemand, à travers l'histoire improbable et pourtant réelle, d'un Allemand devenu héros de la révolution algérienne et assassiné par les islamistes du GIA, Boualem Sansal interpelle autant la société algérienne que la société française. En raison de cette double interpellation, il était tout naturel que Coup de soleil organise cet hommage. Lorsqu'il prend la parole ce soir là, Boualem Sansal va prononcer une phrase terriblement symptomatique du mal indéfinissable qui ronge l'Algérie et ses créateurs « Ce pays me fait

souffrir ». Il nous dit tout son mal-être lorsqu'il évoque l'éventualité et peut être la nécessité de devoir quitter son pays parce que d'autres l'ont décidé pour lui. Profondément déçu de l'absence de résistance du peuple algérien face à une situation moralement et socialement insupportable, Boualem Sansal nous dit aussi l'impossibilité de fournir une explication logique. Il se lance dans une longue condamnation de tous ces tabous qui verrouillent l'imaginaire des Algériens et les empêchent de construire l'avenir, parce que leur histoire officielle est truffée de non-dits, mais aussi parce que, depuis une vingtaine d'années, ce qui était une spiritualité apaisée a été transformée en morale indépassable et surtout incontestable.

Il nous dit son désespoir lorsqu'il apprend que des barques de harragas ont chaviré et qu'à leur bord avaient embarqué des jeunes gens pleins de vie, fatigués d'assister en direct et tous les jours à leur propre érosion. La teneur des débats a ravi une très grande partie des présents mais elle a laissé beaucoup d'autres sur leur faim, celles et ceux qui auraient tant voulu parler de l'écrivain et surtout de ses livres. Boualem Sansal a retrouvé le lendemain Coup de soleil et les lecteurs gardois du "Coup de cœur 2009" au sein de la bibliothèque Marc Bernard de Nîmes. Le public, trois fois moins nombreux que la veille, ainsi que la petite salle où nous étions installés, ont donné une toute autre dimension à cette rencontre. Dès les premières paroles, Boualem Sansal, ému par la vision que nous avions de son personnage, nous a laissé pénétrer dans son intimité. Il a parlé avec émotion de son épouse tchèque et de leurs deux filles, de l'incapacité de celles-ci à vivre dans son pays, puis de sa seconde épouse qui l'aide au quotidien à supporter les pressions dues à ses écrits. On a donc entendu l'histoire d'un homme et de ses romans, de son style, du choix de son dernier sujet. Si la situation de l'Algérie et l'islamisme ont été évoqués, ils n'ont pas constitué l'essentiel des débats. L'émotion et l'admiration des lecteurs présents étaient indéniables, le respect qu'ils montraient pour l'engagement, la simplicité et le talent de l'auteur du Village de l'Allemand s'entendaient dans les échanges de cette soirée fort chaleureuse.

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jeudi 25 juin 2009

26- Entretien avec les plus talentueux écrivains algériens




La littérature moderne algérienne de langue française
&
Entretien avec Maïssa BEY, Salim BACHI et Boualem SANSAL.
Contribution adressée à la revue Etudes francophones, Université de Louisiane. Etats-Unis.
Ahmed HANIFI, mai 2009.




Trois périodes marquent la littérature algérienne de langue française. La première est celle qui la vit naître et se confirmer. La deuxième couvre la guerre d’Algérie et les premières décennies de l’Algérie indépendante. La dernière enfin est celle qui s’ouvre avec la disparition du parti unique. Trois représentants emblématiques de la littérature moderne algérienne nous accordèrent au courant de ce mois un entretien commun que nous vous proposons.

Le premier récit algérien de langue française date de la première partie de la colonisation française (1830-1962). Il revient à Ben Rahal Si M’hamed qui écrit en 1891 une nouvelle intitulée La vengeance du cheikh (Ferenc Hardi 7). D’autres écrits comme les poèmes de Athman Ben Salah furent édités durant la même période. La littérature algérienne d’expression française se développa durant les premières années du 20° siècle. Musulmans et chrétiennes, un roman-feuilleton de Ahmed Bouri fut publié (partiellement) en 1912 dans une revue d’Oran. « Généralement tous les critiques acceptent pour date de naissance du roman algérien l’année 1920 avec la publication de Ahmed Ben Moustapha, goumier de Mohamed Ben Si Ahmed Ben Chérif » (Ferenc Hardi 8). Elle s’affermit avec Jean El-Mouhoub Amrouche, Caïd Bencherif, Abdelkader Hadj-Slimane, Mohammed Ould Cheikh… Selon Ahmed Lanasri cette littérature se caractérisait essentiellement par son ambigüité (Ahmed Lanasri 8).

Durant la guerre d’indépendance (1954—1962) la littérature algérienne de langue française représentée par Kateb Yacine, Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Mouloud Féraoun, Malek Haddad, Assia Djebar, Jean Senac…, sans jamais renoncer à l’esthétique, fut une littérature de souffrance, de révolte, de lutte. La littérature algérienne des années de guerre « si elle est de langue française, elle est nécessairement traversée par l’imaginaire maghrébin qui la travaille en retour (…) Elle se confondra avec le mouvement de l’histoire de son pays » (Hafid Gafaïti 13). Le français est alors vécu et défini selon les mots de Malek Haddad et de Kateb Yacine, respectivement comme « une langue d’exil » (Tahar Bekri 23) ou comme « un butin de guerre » (Benamar Mediène 144).

L’indépendance acquise, la littérature algérienne d’expression française ne disparaît pas, contrairement aux attendus idéologiques de l’époque relatifs à l’intérêt d’écrire dans la langue de l’ancien colonisateur. Elle est désignée sociologiste et ne rompt pas avec la littérature de lutte. « Dans le contexte global des sociétés maghrébines en général et algérienne en particulier, pendant le combat nationaliste et après les Indépendances, la question du sens idéologique de l’œuvre littéraire ne se pose pas. Elle est acquise par définition : le texte est expression de l’identité collective et l’écrivain se doit d’être le porte-parole de son peuple » (Gafaiti 15). Selon Charles Bonn « les romans algériens parus entre 1967 et 1980 répondent d’une façon simpliste à la commande de l’idéologie officielle algérienne » (Charles Bonn 168).


A partir de 1989, lorsqu’une forme de liberté d’expression s’imposa au pays entier à la suite des dramatiques événements d’octobre 1988 (1), une autre littérature surgit. Elle est décomplexée, indépendante, insoumise aux injonctions médiatiques, politiques ou circonstancielles. Certes les œuvres littéraires, dit-on, témoignent toujours, même indirectement, de leur époque, de leur société. Néanmoins, les écrits qui parviennent à s’extraire du témoignage ou du libelle, de l’éphémère en quelque sorte, ceux qui soignent la syntaxe et ont pour visée l’esthétique, sont ceux-là même qui estampillent l’histoire de la littérature.

La nouvelle littérature algérienne d’expression française, ou « littérature-monde en français » (2) est marquée de plus en plus par la distanciation. Sans se plier au réel de surface sans envergure, mais sans pour autant se démarquer de l’Histoire, elle porte un intérêt plus important au signifiant. Elle répond de mieux en mieux aux exigences stylistiques. Des dizaines d’auteurs se révèlent durant la décennie 1990 et suivante, parmi lesquels : Abdelkader Djemaï (ancien journaliste), Yasmina Khadra (handicapé par sa longue carrière militaire), Noureddine Saadi, Amin Zaoui… Mais les représentants les plus doués de cette nouvelle écriture sont incontestablement Maïssa Bey, Salim Bachi et Boualem Sansal. Ils en constituent aujourd’hui la colonne vertébrale. Ils forment à eux trois « un puissant courant d’écriture » inévitable qui fait l’objet d’études universitaires tant algériennes que françaises notamment. Plusieurs de leurs ouvrages furent primés.

Leurs premiers écrits remontent aux années les plus sombres de l’histoire de l’Algérie indépendante. Ils en sont fortement marqués. C’est en 1996 que fut édité Au commencement était la mer de Maïssa Bey (Editions Marsa, Paris), une diatribe contre l’islamisme, contre la régression. « Des lois sont édictées chaque jour au nom d’un ordre nouveau, rédempteur, par des prosélytes d’un autre âge, et chaque jour plus nombreux, chaque jour plus féroces » (Maïssa Bey Au commencement 70). Boualem Sansal publia Le serment des Barbares (Editions Gallimard, Paris) en 1999. C’est une majestueuse fresque de la réalité chaotique algérienne. C’est en 2001 que Salim Bachi se révéla avec Le chien d’Ulysse (Editions Gallimard, Paris), une odyssée mêlant mythes et réalité. Le narrateur (tous les Algériens) est (sont) en quête de sens. Il (ils) plonge (ent) dans le passé pour l’interroger, le réinterpréter. Pour se construire.
La décennie qui suivit l’interruption en janvier 1992 par l’armée des premières élections législatives pluralistes, fut marquée par une guerre civile qui fit plus de 150 000 morts, des milliers de disparitions forcées, des dizaines de milliers de traumatisés et des centaines de milliers de déplacés. Une décennie perdue dont la responsabilité incombe à la fois au régime autoritaire et au radicalisme islamiste. Des dizaines de milliers d’Algériens quittèrent le pays. Salim Bachi vit en France depuis 1997. Samia Benameur choisit de ne pas quitter l’Algérie mais écrit sous le pseudonyme de Maïssa Bey, qu’elle conserve depuis. Boualem Sansal décide également de rester au pays.

Aujourd’hui leur œuvre s’est étoffée. Ils ont chacun écrit cinq romans, de nombreuses nouvelles, essais et divers articles. Plusieurs ouvrages de Maïssa Bey sont adaptés au théâtre. Le talent littéraire de ces auteurs est reconnu. Ils sont traduits dans de nombreux pays. Il reste que certaines de leurs œuvres sont interdites de vente dans leur propre pays ; ainsi Le Village de l’Allemand, Poste restante Alger, Tuez-les tous… Boualem Sansal a été licencié de son poste de travail en 2003 en raison de ses déclarations.

Maïssa Bey, Salim Bachi et Boualem Sansal s’ingénient à inventer des « personnages en papier » (Maïssa Bey), des êtres faits de papier et d’encre, des homuncules, « formes ombreuses mais ingénieuses au travail desquelles, disait William Faulkner, je devais de pouvoir réaffirmer les impulsions de mon propre égo dans le monde réel mais dénué de stabilité » (Michel Gresset 1087). Et cela leur réussit tellement bien.

L’écriture magistralement guidée de Maïssa Bey se caractérise à la fois par une grande retenue, une pudeur élégante et par une poésie filigranée. Choisis avec minutie, les mots qu’elle aligne décrivent avec force et précision une société sclérosée par le poids lourd de son histoire et qui se retourne contre ses membres les plus fragiles, particulièrement les femmes qu’elle violente, qu’elle dissimule, qu’elle ignore ou assigne à la seule procréation. Aucun mot, aucune expression ne déborde de son propre périmètre. D’un point de départ à un autre, jusqu’au final, l’écriture chemine sans superflu, de mot-clé en mot-lien. Les phrases sont plutôt sèches ou courtes, mais radicalement efficaces. Elle « traque le mot juste, nous dit-elle, jusqu’au moment où il vient trouver sa place dans la phrase ».
Salim Bachi jongle avec les mots et notre impatience. Il est un architecte exigeant, un spécialiste « des envolées lyriques absconses » (Salim Bachi Autoportrait 113), un chef d’orchestre sophistiqué qui peut délicatement agacer par l’agencement de son spectacle, circulaire, tourbillonnant, parfois enivrant. Il nous invite à plonger au-delà des mots dans un univers où, tels des balises d’orientation immanquables, personnages du passé ou contemporains, voix uniques ou polyphoniques, lieux éloignés ou proches, temps passés ou présents, s’entrecroisent et s’entremêlent pour structurer des histoires en apparence éclatées, en apparence seulement. On devine, dissimulées derrière certaines tournures, derrière certaines expressions ou allusions posées comme des indices, les ombres admiratives de Faulkner, de Joyce ou de Dujardin.
Dans tous ses romans Boualem Sansal met l’Algérie à nu, l'Algérie d'aujourd'hui, schizophrène, plus hantée par son passé décomposé et travesti que par son devenir. Les personnages sont à la fois réels et fictifs, tourmentés par leur destin. Les lieux sont chaotiques, blessés tout autant que les hommes qui les hantent, tout aussi merveilleux qu'eux. L'écriture pleine de bifurcations et « fuyant par tous les bouts » est artificiellement provocante. La raillerie et l'humour postés aux avant-gardes, abritent en définitive des tragédies vivantes enchaînées dans des culs-de-sacs infranchissables où « il ne se passe rien. Comme dans un cimetière, un jour d'automne d'une année morte dans un village abandonné d'une lointaine campagne d'un pays perdu d'un monde mal fichu. » (Harraga 237). L’écriture de cet auteur se nourrit de toutes les souffrances algériennes. Son indignation sourdre de l’intérieur même des mots à fragmentation, catapultés contre tous les archaïsmes sociétaux, toutes les trahisons politiques. L'esthétique, telle un nectar, imbibe le récit qui explose, emportant tout sur son passage, tel un oued révolté par sa propre crue, atteignant le lecteur attentif au plus profond de ses certitudes. Nous vous proposons un extrait de chacun des trois auteurs. Le premier est de Boualem Sansal, le suivant de Salim Bachi, le troisième de Maïssa Bey.
Tonton Ali était dans son lit, il regardait le plafond, quelque part au fond de sa tête. Dans sa chambre, j’ai lu et relu le journal de Rachel, le passage sur son voyage au bled, l’aéroport, les policiers qui dévisagent les arrivants et qui d’un claquement de doigts font sortir les suspects du rang, l’atmosphère de camp d’extermination qui règne dans les rues d’Alger, les taxis clandestins qui abandonnent leurs clients en rase campagne, les faux barrages, les gendarmes terrés dans leurs blockhaus, la nature qui souffre le martyre. Curieux sentiment, plutôt que de me décourager le tableau noir m’a encouragé. Je n’ai jamais pensé que remonter à la source des choses était chose facile. Tout a un prix. J’étais prêt à le payer. Rachel parlait de chemin de Damas, je ne sais pas à quoi ça renvoie mais ça doit être ça : le chemin d’Alger. (Le village de l’Allemand 141).
Les rues de Cyrtha dormaient. Je tremblais en essayant d’avancer dans la nuit. Un filet de sang coulait sur ma joue, mes lèvres et mes dents. Personne n’osait se balader à cette heure tardive. Depuis le début des événements, on ne s’attardait guère la nuit à Cyrtha. Combien ont été assassinés par mégarde ? Comme ce fou. Ithaque : un nom aux sonorités exotiques. Il cherchait son chemin à travers les méandres de son esprit. Comme moi. Et la ville, enchevêtrée, ressemblait à son esprit. Un embrouillamini de ruelles, de venelles glissantes -on n’y distinguait pas un homme- parcourait la face vieillie de Cyrtha. Ithaque devait ressembler à ce cancer de pierres. Traverser une mer pour finir dans les bras d’une monstruosité. Le fou raisonnait juste. Chercher cette cité, c’était retourner sur les lieux mêmes de sa folie, retrouver le nœud premier. Serpents, emmêlés sur un cadavre, luisaient, à trois heures du matin, sur ma peau, mes rêves. (Le chien d’Ulysse 238).

Là, un homme couché près d’une porte cochère. Agonisant. Des bulles de sang affleurent au coin de ses lèvres. Le jeune homme qui vient de lui tirer une balle dans la nuque souffle sur le canon de son arme comme il l’a vu faire dans les westerns. Puis il se dirige vers la voiture qui l’attend, moteur allumé, portière ouverte. Il monte. Il s’assoit à côté de son compagnon qui démarre en trombe. Première cible de la journée à inscrire à leur tableau de chasse. Ils vont probablement continuer tout le jour leur mortelle randonnée. Plus loin, par terre, on dirait un paquet informe de linge blanc ensanglanté. C’est une femme que quelqu’un a charitablement recouverte de son haïk. Ses mains serrent toujours son filet à provisions. Encore une femme de ménage, encore une victime de « l’opération fatmas », se disent les passants qui font un détour pour éviter le cadavre qui reste là, jusqu’à ce que l’une des ambulances débordées vienne l’emmener à la morgue de l’hôpital. (Pierre Sang Papier ou Cendre 183-184.)

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Notes :
1- En octobre 1988, du 5 au 12, des émeutes ont secoué l’ensemble des grandes villes de l’Algérie. Ces révoltes, réprimées par les militaires, se sont soldées par la mort de plus de 500 personnes. Elles ont été à la source d’une nouvelle Constitution et de la reconnaissance du pluralisme politique.


2- Par un manifeste qu’ils font paraître le 15 mars 2007, alors même que plusieurs prix littéraires parisiens récompensaient quelques mois plus tôt des auteurs d’outre-France, 44 écrivains (dont Boualem Sansal) affirment l’émergence d’une « littérature-monde en français » en opposition au concept de francophonie, dépassé. Le français échappe aujourd’hui à la France qui, disent-ils, « n’en a plus l’exclusive propriété ». Post n° 54 in http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com
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LES SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES


- Salim BACHI. Autoportrait avec Grenade. Paris : Editions du Rocher, 2005. 189 pages.
- Salim BACHI. Le chien d’Ulysse. Paris : Editions Gallimard, 2001. 258 pages.
- Tahar BEKRI. Malek Haddad, l’œuvre romanesque. Pour une poétique de la littérature maghrébine de langue française. Paris : Editions L’Harmattan, 1986. 215 pages.
- Maïssa BEY. Au commencement était la mer… Paris/Alger : Editions Marsa, 1996, 2001. 120 pages.
- Maïssa BEY. L’une et l’autre. Le Moulin du Château : Editions de l’Aube, 2009. 59 pages.
- Maïssa BEY. Pierre Sang Papier ou Cendre. Le Moulin du Château : Editions de l’Aube, 2008. 206 pages.
- Charles BONN. Le roman algérien de langue française. Vers un espace de communication littéraire décolonisé ? Paris : Editions L’Harmattan, 1985. 359 pages.
- Hafid GAFAITI. Les femmes dans le roman algérien. Paris : Editions L’Harmattan, 1996. 350 pages.
- Michel GRESSET. Faulkner, œuvres romanesques. Paris : Editions Gallimard/ la Pléiade, 1977. 1607 pages.
- Ferenc HARDI. Le roman algérien de langue française de l’entre-deux-guerres : discours idéologique et quête identitaire. Paris : Editions L’Harmattan, 2005. 270 pages.
- Ahmed LANASRI. La littérature algérienne de l’entre-deux-guerres, genèse et fonctionnement. Paris : Editions Publisud, 1995. 565 pages.
- Dominique LE BOUCHER. « Lecture/Dialogue. » ALGERIE LITTERATURE/ACTION Numéro 55/56. Novembre-décembre 2001 : 266 pages.
- Benamar MEDIENE. Paris : Kateb Yacine, le cœur entre les dents. Editions Robert Laffont, 2006. 344 pages.
- Bouba MOHAMMEDI TABTI. Blida : Maïssa Bey, l’écriture des silences. Editions du Tell, 2007. 128 pages.
- Boualem SANSAL. Harraga. Editions Gallimard, 2005. 272 pages.
- Boualem SANSAL. Paris : Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller. Editions Gallimard, 2008. 264 pages.

Voici l’entretien que nous ont accordé dans le cadre des travaux de la Revue Etudes francophones de l’Université de Louisiane, Maïssa Bey, Salim Bachi et Boualem Sansal.


Ahmed Hanifi : Comment êtes vous « tombés » dans l’écriture ? Vous Salim Bachi, vous avez toujours écrit. Boualem Sansal vous avez été encouragé par votre ami Rachid Mimouni. Quant à vous Maïssa Bey vous avez dit avoir eu envie très jeune d’écrire mais que vous aviez peur de ne pas être à la hauteur « l’exigence se faisant frein » (Bouba Mohammedi Tabti 67) ?


Maïssa Bey : Je dirais plutôt que je suis « arrivée » jusqu’à l’écriture, parce qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour me décider à considérer que ce que j’écrivais, jusqu’alors pour moi et seulement pour moi, pouvait être soumis à d’autres regards que le mien. Ayant d’abord et avant tout été lectrice, l’écriture me semblait être un territoire « réservé » où je ne pouvais songer à m’aventurer. Ce sont sans doute les circonstances particulières que nous avons vécues durant la dernière décennie qui ont fait naître en moi le désir de prendre le risque du dévoilement, de la mise en lumière et donc du jugement.

Salim Bachi : Depuis que j’ai quinze ans, j’ai toujours écrit, avec plus ou moins de régularité. J’ai commencé par écrire de la poésie, ensuite je suis passé à la prose.


Boualem Sansal : Oui, l’impulsion est venue de mon regretté ami Rachid Mimouni. Nous étions amis, collègues de travail, voisins de palier, et compagnons de sorties, nous passions beaucoup de temps ensemble, avec d’autres amis, et, bien évidemment, la littérature était au cœur de nos discussions, qui souvent se terminaient tard dans la nuit. Il en avait une formidable connaissance, il était un grand écrivain mais aussi un immense lecteur. Il m’a beaucoup appris et, voyant sans doute quelques dispositions en moi, il m’a encouragé à écrire. Puis est venue la guerre civile. Nous parlions toujours de littérature mais aussi de l’engagement politique et du rôle de la littérature dans le combat politique. Alors, à mon tour, nécessité faisant loi, je me suis engagé à la fois en littérature et dans le combat politique.


Vous écrivez tous dans plusieurs registres, avez-vous pensé à écrire directement des pièces de théâtre (plusieurs textes de M. Bey ont été adaptés au théâtre) ?


Maïssa Bey : Je n’ai jamais pensé à écrire des pièces de théâtre mais c’est le théâtre qui est venu à moi. Presque tous mes textes ont été adaptés pour le théâtre et, il y a quelques années, un metteur en scène m’a demandé d’écrire une petite pièce qui a été très vite suivie d’une autre commande pour une scène nationale en France. C’est alors que je me suis mise à l’écriture théâtrale.


Salim Bachi : J’y ai pensé mais cela ne s’est pas encore fait. Le théâtre est un projet collectif, et je n’ai encore trouvé personne que l’aventure intéressait.


Boualem Sansal : La littérature est une aventure. Dès qu’on ouvre une porte, celle du roman dans mon cas, il s’en présente une autre, qu’on a aussitôt envie d’ouvrir. Après quatre romans, j’ai tenté le pamphlet avec Poste restante Alger puis l’essai avec Petit éloge de la mémoire. Ce furent de petites tentatives mais elles m’ont valu beaucoup d’ennuis. Lorsqu’en 2003 France Culture m’a proposé d’écrire une pièce radiophonique, j’ai sauté sur l’occasion. J’ai découvert que c’était une écriture particulière, très difficile, très contraignante. Puis je suis revenu au roman sous forme de journal avec Le village de l’Allemand.


« Tout ce que j’écris est vrai » dites-vous Boualem Sansal. Maïssa Bey vous nous aviez dit il y a quelques temps que Sous le jasmin la nuit est « le fruit d’expériences vécues », vous avez écrit Entendez-vous dans les montagnes. Vous Salim Bachi vous avez écrit Autoportrait avec Grenade. Vos expériences de vie se traduisent fortement et très joliment dans vos différents écrits. La réalité n’est-elle pas précisément celle qui réside dans les mots comme le disait Nathalie Sarraute ?

Maïssa Bey : Oui, ce sont les mots qui donnent corps à la réalité. A partir du moment où chaque personnage est inséré dans un contexte qui n’est autre que celui dans lequel nous puisons les situations que nous mettons en scène dans nos romans. Je repense à cette citation de Stendhal qui affirmait que « le roman est un miroir que l’on promène le long d’un chemin ». Cependant il est vrai aussi que les écrivains n’empruntent pas tous le même chemin, et c’est heureux, c’est pourquoi leurs œuvres ne réfractent pas toutes la même image…

Salim Bachi : Je dirai que la vérité se niche entre les mots. Ma vie se dilue sur la page blanche pour former d’étranges figures qui parfois m’étonnent moi-même. Je suis le lecteur de ma vie, qui est souvent un songe.


Boualem Sansal : Il y a réalité et réalité. La réalité profonde est une abstraction, elle est insaisissable, il n’y a pas de mots pour la dire. Peut-être peut-on s’en approcher avec le langage mathématique, mais au niveau où se situent ses concepts, ils sont bien rares dans le monde ceux qui les entendent. La littérature est le monde de la croyance, de la subjectivité, du relatif, du momentané, comme l’est toute expérience de vie, comme le sont toutes les histoires humaines. La réalité est celle qui réside dans les émotions qu’elle provoque en nous. Après on trouve ou pas les mots pour dire ces émotions.

La littérature algérienne qui a émergé autour de l’an 2000 s’est substituée à une littérature fortement idéologisée, sociologiste, des années précédentes, fortement engluée dans le social-réalisme. Le roman se doit-il d’être un simple miroir du réel ou bien un miroir esthétiquement déformant « que l’on promène le long d’un chemin » ?

Boualem Sansal : Tous les romans sont possibles et nécessaires. On ne se nourrit pas que d’un seul aliment et tous les publics n’ont pas les mêmes besoins. L’essentiel est qu’ils soient de bonne qualité. La qualité a un pouvoir structurant extraordinaire, autant pour l’auteur qui s’évertue à la rechercher que pour le lecteur à qui elle donne du plaisir et ensuite l’envie de cultiver son goût pour les belles choses.

Salim Bachi : Je ne sais pas. J’ai ma propre idée, mais je ne suis pas là pour donner des leçons d’écriture. L’essentiel est d’écrire un bon livre, peu importe le chemin emprunté.


Maïssa Bey : Cela rejoint un peu ce que je disais.


Le Serment des barbares devait être un essai ?


Boualem Sansal : Au départ oui. Parce que telles étaient ma formation, et mes activités professionnelles d’alors, j’ai naturellement, spontanément, utilisé les instruments d’analyse en ma possession, la science économique, politique, et l’histoire, pour comprendre les réactions alchimiques qui agitaient la société algérienne en ces années noires de la guerre civile. L’essai s’est avéré un affreux galimatias pseudo scientifique qui n’expliquait rien. C’est peut-être dû tout simplement à ma faible connaissance de ces sciences. Je me suis tourné vers la littérature. Il en est sorti ce roman. Dire le quotidien et les réflexions basiques d’un simple inspecteur de police engagé dans une enquête criminelle m’a permis d’en apprendre bien plus sur le mystérieux drame qui frappait mon pays. Je n’exclus pas le fait que le roman a pu être lu comme un essai par de nombreux lecteurs.


Vos titres Maïssa Bey Pierre Sang Papier ou Cendre et Salim Bachi Le chien d’Ulysse renvoient à des auteurs qui ont marqué la littérature. Nuée ardente renvoie à Garcia Marquez m’avez-vous dit Salim Bachi. Quels sont les auteurs étrangers, notamment nord-américains, que vous appréciez ou qui vous influencent ?


Maïssa Bey : J’aurais du mal à citer les noms des auteurs qui comptent pour moi. J’aurais peur d’en oublier tant ils sont nombreux. Que ce soit dans la littérature ou dans la poésie qui est indispensable à ma vie, depuis très longtemps. Il y a bien sûr des œuvres majeures, celles qui nous accompagnent tout au long de notre parcours, et d’autres, moins connues, et qui cependant laissent des traces et dont on peut retrouver des échos lointains parfois dans notre écriture. Pour ce qui des auteurs américains dont j’admire surtout la puissance narrative et la complexité de la structure romanesque que l’on ne retrouve pas dans la littérature française, s’il fallait des exemples, je pourrais citer bien entendu Faulkner, Fitzgerald, Dos Passos et plus récemment John Irving, Philip Roth, Toni Morrison ou encore Paul Auster, que je lis beaucoup. Peut-on pour autant parler d’influences ? Je préfère pour ma part dire que certaines œuvres m’ont nourrie, plus particulièrement les œuvres poétiques.

Salim Bachi : Nord-Américains : Faulkner est mon dieu ! Ensuite Hemingway, Steinbeck, Dos Passos en partie. Mais Faulkner est essentiel pour moi. En écrivant La Kahéna, par exemple, j’avais en tête Absalon ! Absalon !


Boualem Sansal : Je ne sais pas comment le système d’influence se construit en nous et autour de nous. C’est une alchimie complexe qui fait qu’à un moment donné on est comme ci et à un autre moment comme ça. Ce que je peux dire c’est que la part des auteurs nord-américains dans mon patrimoine littéraire est très grande. Il n’y a rien d’original à cela, je crois que ces auteurs ont influencé tous les écrivains du monde, la force de la littérature nord-américaine est à l’image de ce pays, immense, diverse, profonde, vivante, violente, romantique. Mais il y aussi en moi l’influence des écrivains sud-américains, russes, anglais, français, algériens.
Je ne peux pas davantage répondre à la question des titres que je donne à mes livres, ou qui en fait s’imposent à moi, généralement à la fin du processus d’écriture.


Lorsque durant plusieurs semaines ou mois, l’on se met dans la peau d’un autre (Boualem Sansal dans celle d’une pédiatre perdue, Maïssa Bey dans celle d’un homme, ou Salim Bachi dans la tête d’un tueur, même si le roman est écrit à la 3° personne) est-ce que l’on s’en sort facilement une fois le manuscrit achevé ?


Maïssa Bey : Il est vrai que pendant toute la phase d’écriture d’un roman, l’identification est totale. Il m’arrive même de me sentir totalement immergée dans la trame d’un roman au point que j’ai du mal à supporter les contraintes de la vie réelle… cela va même jusqu’au brouillage des repères quotidiens (sommeil, nourriture, temps à consacrer aux autres, et cetera). Mais dès que le roman est achevé (après de nombreuses relectures et corrections) il se produit un détachement presque immédiat et, autour de moi, tout reprend vie, couleur et consistance.


Salim Bachi : On en sort différent, transformé. Pour moi la littérature c’est la vie. Ecrire un livre c’est vivre de nouvelles expériences.

Boualem Sansal : Harraga est écrit à la première personne. Le narrateur est l’héroïne elle-même. Dans mon cas, la relation est complexe, dans la mesure où Lamia, l’héroïne de Harraga, a réellement existé et avec laquelle j’avais une relation d’amitié qui s’est fortement développée durant cette période qui a vu la petite Chérifa entrer dans sa vie, puis en sortir d’une manière tragique. J’étais partie prenante dans cette histoire. C’est donc d’emblée que je suis entré dans la peau de Lamia et à ce jour, je n’en suis pas vraiment sorti. Mais cela n’a rien à voir avec la technique narrative, c’est tout simplement que Lamia était une amie et que j’ai été intimement lié à son histoire avec Chérifa.


L’intertextualité, voire la récriture est fortement et délibérément présente dans vos écrits : Tuez-les tous, Pierre Sang Papier ou Cendre, Harraga…

Maïssa Bey : Dans l’œuvre que vous citez, c’est de propos délibéré, effectivement, que j’ai inséré dans le corps du texte des citations sans même respecter les codes, je veux dire sans guillemets, tout en remerciant, à la fin du livre, les auteurs à qui j’ai fait ces emprunts. Procédé non conventionnel qui pourrait étonner, mais qui se justifie par le thème même de l’œuvre.


Salim Bachi : Oui, c’est vrai. Je suis un homme de papier !


Boualem Sansal : Comment échapper à l’intertextualité ? On porte ses influences comme on porte ses gènes.


Salim Bachi comme Maïssa Bey, vous utilisez fréquemment les points de suspension mais aussi les aposiopèses comme une invite au lecteur, pour qu’il se positionne, qu’il décide. Mais aussi comme si ces figures de style ouvraient sur l’inconnu. Boualem Sansal vous préférez les points virgules et les phrases au long cours. Il n’est pas rare que vous jouiez avec la typographie. Qu’exprime ce jeu ?


Maïssa Bey : Comment ne pas se servir des nombreuses ressources de la typographie ? Je ne perds jamais de vue que l’objet livre est aussi œuvre graphique où tout prend sens : la structure, les blancs, les signes, la distribution des phrases et des paragraphes et tous procédés qui offrent au lecteur des pistes dans son parcours de lecture. Bien plus qu’un jeu, c’est à mon sens une façon d’inviter le lecteur à se faire une place à l’intérieur même de l’histoire, à se glisser dans les interstices…


Salim Bachi : J’essaye d’écrire avec ma tête mais aussi avec mes tripes, mes sentiments, et ceux-ci sont marqués parfois par des signes typographiques particuliers.


Boualem Sansal : Est-ce un jeu ? Non, la ponctuation comme la taille des phrases participent de l’écriture et même de l’histoire. Ici, il faut un dièse, un bémol et ailleurs un silence, ici une phrase courte s’impose et là une longue tirade. C’est la musique interne du roman qui impose ça, ce n’est pas la volonté de l’auteur. Le choix de la typographie tient à de simples considérations techniques.

A propos de musique, dans vos écrits vous faites référence à l’art et à la culture. Je pense au groupe Metallica, au film Hiroshima mon amour… dans Tuez-les tous (Salim Bachi), à Main de femme (Maïssa Bey) comme si vous vouliez donner à voir et à entendre vos textes. Vous dites Maïssa Bey dans un entretien (Algérie Littérature/Action 145) « lorsque j’écris j’entends les mots »


Salim Bachi : Je ne pensais pas particulièrement à Metallica en décrivant la boite de nuit dans Tuez-les tous… Une étudiante y a pensé pour moi. Il est toujours amusant, voire confondant de voir comment sont lus vos romans. Et c’est le lecteur qui a toujours raison, d’une certaine manière. Le livre terminé, il n’appartient plus à son auteur. Il se charge d’autres significations, il agrège d’autres lectures. Un peu comme un aimant.


Maïssa Bey : Flaubert, disait-on, passait toutes ses phrases à l’épreuve du « gueuloir », afin de vérifier si le rythme et la sonorité en étaient justes. Je ne gueule pas lorsque j’écris, rassurez-vous, mais le son et le rythme de chaque phrase que j’écris résonnent en moi et je traque le mot juste jusqu’au moment où il vient trouver sa place dans la phrase. C’est aussi une exigence de lectrice que heurtent parfois des dissonances, des problèmes d’euphonie qui viennent gâcher quelque peu le plaisir de lire.


Boualem Sansal : Oui je pense comme Maïssa, les mots ont une image et un son qui leur est propre. Un texte est une composition complexe : des mots, plus des couleurs, de la musique, des odeurs. Si un ingrédient manque, la sauce est fade.


D’une certaine manière Tuez-les tous est une copie de Le chien d’Ulysse. Le premier valant pour l’hécatombe du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le second pour la terreur qui a prévalu en Algérie durant les années 1990.


Salim Bachi : Oui j’ai dit cela. Mais ce sont deux angles différents. Dans Le chien d’Ulysse je donnais la parole à toute une génération. Dans Tuez-les tous, j’ai donné la parole à l’un des enfants de cette même génération.


La stratégie narrative vogue de Cyrtha à Ithaque et jusqu’en Amazonie. Entre Odyssée et Mille et une nuits.


Salim Bachi : Mon imaginaire m’entraîne très loin parfois. Je ne sais pas pourquoi. Il me semble que Les Mille et une nuits est le livre de tous les possibles, de toutes les aventures, de tous les voyages. Il en va de même de L’Odyssée. Je suis donc sous influence de ces textes.

Salim Bachi vous dites La Kahéna, plus que Le chien d’Ulysse, a été un travail sur l’Odyssée d’Homère.


Salim Bachi : Oui c’est vrai, et personne ne l’a remarqué jusqu’à présent ! Toute la structure de l’Odyssée est dans La Kahéna, alors qu’elle ne l’est que partiellement dans Le chien d’Ulysse. Le voyage en Amazonie, par exemple, est le voyage au royaume des morts… La narratrice dans La Kahéna est aussi bien Shéhérazade que Calypso. Samira est parfois Circé dans La Kahéna, et Louis Bergagna Ulysse. La Kahéna, la maison à la fois histoire et mémoire, se mue en antre magique où Circé opère toutes les métamorphoses symbolisées par le grand salon aux miroirs… Personne ne l’a vu. C’est mystérieux, non ?

Le monologue intérieur est démultiplié comme dans la nouvelle Histoire d’un mort. Une symphonie à plusieurs voix comme dans la tragédie de Compson dans Le bruit et la fureur.


Salim Bachi : Oui, Histoire d’un mort, c’est le calque de Tandis j’agonise. Mais Histoire d’un mort n’est qu’une nouvelle. A un moment j’ai eu le désir d’en faire un roman. Mais cela revenait à écrire ce qui l’avait déjà été. L’intertextualité à parfois des limites pour un romancier. Je ne crois pas que Pierre Ménard réécrivait le Quichotte.

Vos romans s’interpellent, on retrouve les mêmes personnages dans différents écrits. Les personnages de Les douze contes de minuit entrelacent ceux d’autres romans ou nouvelles : La Kahéna, Tuez-les tous…

Salim Bachi : Oui ce sont mes livres, mes enfants, une grande famille.

Dans Le chien d’Ulysse, le personnage principal, Hocine est reconnu par son chien Argos mais pas par ses frères.


Salim Bachi : Les braves gens ne courent pas les rues, pour emprunter un titre d’une nouvelle extraordinaire de Flannery O’Connor. Non, les braves gens ne courent pas les rues…

Les titres de vos écrits dissimulent plusieurs sens, plusieurs réalités : La Kahéna pour la reine Berbère, la métaphore de l’Algérie, Le Chien d’Ulysse pour l’Odyssée, L’autoportrait avec Grenade pour l’arme destructrice (notamment), qui éclatera dans Tuez-les tous, un roman écrit en même temps que L’Autoportrait.


Salim Bachi : Les deux livres ont été écrits en même temps et devraient être, idéalement, lus en même temps. Le jour pour Autoportrait et la nuit pour Tuez-les tous, le conscient et l’inconscient…

Maïssa Bey, la nouvelle En ce dernier matin m’a fait penser à Addie dans Tandis que j’agonise de Faulkner.


Maïssa Bey : Dans cette nouvelle, une femme se tient au seuil de la mort. Et tout autour d’elle tournoient des moments de sa vie, des bonheurs brefs et trop rares mais aussi des désirs qu’elle n’a pu réaliser parce que femme, vivant sous le joug d’une somme de contraintes aliénantes. Et le jour de sa mort est un jour où elle est, pour la première fois de sa vie, au centre de toutes les pensées et de tous les actes de ses proches… c’est aussi le cas de Addie, le personnage de Faulkner dont me revient, parce que vous en parlez, le souvenir. Et, même si je n’ai pas relu depuis longtemps cette œuvre magnifique, la comparaison me semble tout à fait intéressante et sans doute judicieuse, toutes proportions gardées, bien entendu !


Vos écrits tournent autour d’un noyau : la condition faite aux femmes par des hommes auxquels vous ne trouvez le plus souvent aucune indulgence.

Maïssa Bey : Je n’ai pas non plus d’indulgence pour les femmes, pour certaines d’entre elles du moins. Les mères, dans plusieurs de mes nouvelles par exemple… celles qui au nom de la sauvegarde de principes rigides et dépassés brident la vie de leurs filles et renforcent, par l’éducation qu’elles leur donnent, le sentiment de toute puissance de leurs fils… Toutefois, il suffit de jeter un regard sur la situation des femmes dans notre pays, maintenues en état d’infériorité par un dispositif juridique inique, approuvé par une majorité d’hommes, pour comprendre ma révolte et mon désir de « donner à voir » quelles en sont les conséquences immédiates et visibles sur leur vie. Ceci ne m’empêche pas de considérer que les hommes sont eux aussi otages de la régression programmée de notre société et que leur souffrance, de nature différente, n’en n’est pas moins réelle. Mais il est vrai aussi que beaucoup d’hommes font porter leur souffrance aux femmes… Il n‘est que de voir tous les messages de détresse lancés dans les rubriques « psycho » des journaux et revues.


Maïssa Bey, vous m’avez déclaré en marge du festival du livre de Mouans-Sartoux (Alpes maritimes) que le français est votre langue paternelle, un héritage paternel que vous faites fructifier.

Maïssa Bey : C’est un peu une boutade que, depuis, j’ai tenté d’expliquer par le fait que, s’il y a langue maternelle et dans ce cas, pour nous ce serait l’arabe algérien, (et pourquoi maternelle ? Les pères parlent aussi en cette langue à leurs enfants dès les premiers jours ! Encore une discrimination !) je pourrais dire que mon père, avant de mourir, parce qu’il m’a appris à lire et à écrire en français, m’a légué cette langue.


La question de la littérature francophone est-elle dépassée ? C’est une question polémique. Salim Bachi, vous écrivez sur votre blog [http://cyrtha.canalblog.com/] que ce qualificatif vous ennuie au plus haut point. Voici ce que Abdellatif Laabi a répondu lorsque nous lui avions posé la question lors du Maghreb des livres qui s’est tenu à Paris en février dernier. « Je ne suis pas, comme le dit si bien l’écrivain et poète Ashiya Oukassi Kya, un tirailleur Sénégalais de la langue française. Nous sommes des écrivains qui écrivent dans cette langue parce qu’ il y a une histoire qui a fait que nous avons été obligés d’écrire dans cette langue. On en prend acte et puis ça suffit. Par contre je refuse absolument d’être manipulé ou instrumentalisé dans une politique de la francophonie. »


Salim Bachi : Oui, c’est terminé. La littérature c’est la littérature comme disait Antoine Compagnon, qui a été brièvement mon professeur à la Sorbonne. La littérature c’est la littérature… Un pléonasme et un mystère inqualifiable. Quant à la réponse de Laabi elle est parfaite. Je n’ai rien à dire de plus.


Boualem Sansal : Le fait pour nous d’écrire en français n’est pas neutre, pour personne. L’histoire, les relations compliquées entre la France et les pays anciennement colonisés par elle, les données politiques et culturelles internes à nos pays, comptent dans le regard qui est porté par les uns et les autres sur cette littérature d’expression française. En tant qu’écrivain, je rejoins Abdelatif Laabi, il faut s’affranchir de toute tutelle, mais en tant qu’intellectuel, on peut s’engager dans la défense et la promotion d’une langue que l’on a en partage avec d’autres peuples et qui nous met en connexion avec d’autres langues (par le biais de la traduction et de l’adaptation). Si l’on ne comptait que sur la traduction des œuvres étrangères dans nos langues (l’arabe, le tamazight pour nous), je crois que nous ne serions pas loin d’être analphabètes, en tout cas ignorants du reste du monde.


Maïssa Bey : Si l’on s’en tient à la définition la plus simple de la francophonie, à savoir qu’elle « repose sur le sentiment d'appartenir à une communauté que fonde l'usage d'une langue, le français », je ne peux que me définir comme francophone, parce que je partage le point de vue de ceux qui pensent la langue comme un instrument qui permet l’accès à une culture et en même temps un outil de communication qui favorise les échanges. La francophonie c’est donc l’espace des diversités vivantes de la langue française. C’est cette notion d’ouverture et de métissage que refusent ceux qui ne voient dans la langue qu’un instrument au service d’une propagande idéologique. Et je n’ai aucun complexe à me dire francophone !

Charles Bonn [un des spécialistes de la littérature maghrébine] écrit que les romans algériens parus entre 1967 et 1980 répondent d’une façon simpliste à la commande de l’idéologie officielle algérienne.

Salim Bachi : Pas tous. Certains échappent comme La Répudiation de Rachid Boudjedra, Tombéza de Rachid Mimouni…


Maïssa Bey : Je laisse à Charles Bonn, dont je salue le travail immense de recension et de critique de la littérature algérienne, la liberté d’émettre ce jugement fondé sans nul doute sur un travail de recherche minutieux et pertinent. Je suis cependant sûre qu’il n’incluait pas le roman de Boudjedra, La répudiation, publié en France, rappelons-le, et qui fut interdit en Algérie, je m’en souviens, et un peu plus tard ceux de Mimouni et Yamina Mechakra. Il faudrait pouvoir se livrer à une analyse de tous les écrits pour pouvoir donner un point de vue sur une littérature étroitement contrôlée par un appareil étatique qui avait, ne l’oublions pas, le monopole de l’édition et de la diffusion ! D’ailleurs n’est-ce pas à cette époque que se sont exilés Mohamed Dib, Kateb Yacine, Assia Djebar et bien d’autres intellectuels ?


Boualem Sansal : Il faut préciser : tous les romans édités en Algérie. A cette époque, l’édition était un monopole de l’Etat. Tout livre qui ne répondait pas à l’idéologie officielle était refusé. Les plumes libres étaient alors obligées de passer par Paris pour les francophones, ou Beyrouth pour les arabophones, pour se faire publier.
Si le monopole a été démantelé dans la vague de la libéralisation des années 80, la censure n’a pas pour autant disparue. Aujourd’hui, elle est plus implacable que jamais et son champ d’application s’est considérablement élargi. Elle est gardienne de l’idéologie officielle et de toutes les dérives funestes qu’elle a pu engendrer. Elle ne se contente plus d’interdire, elle anathématise et aussitôt actionne le bras séculier.


Vos écrits Boualem Sansal sont des cris de douleur lancés comme des bouteilles à la mer. A qui, les uns et les autres destinez-vous vos écrits (à quels lecteurs) ?


Boualem Sansal : Je dirais plutôt cris de colère, colère contre les empêcheurs de vivre et les gardiens du temple. Je crie à la cantonade, je ne m’adresse à personne en particulier.

Salim Bachi : Mais ils sont destinés à tous le monde ! La condition humaine est une condition souffrante. C’est parfois aussi la lumière après l’orage, et un bel arc-en-ciel…


Maïssa Bey : Au commencement, il y a le cri… mais une œuvre, ou du moins toute création qui pourrait mériter le qualificatif d’œuvre littéraire se doit de moduler le cri pour le rendre intelligible. Ce serait avoir peu de considération pour un lecteur que de lui imposer une longue litanie de plaintes, qui, même si elles sont légitimes dans les circonstances que nous traversons, pourraient attiser les douleurs ou plus simplement lasser. Il y a bien sûr la révolte, le désir de briser le silence, de susciter un écho dans la conscience du lecteur, mais il y a aussi et surtout le plaisir de lire…

Peut-on alors parler d’écriture plaisir ?


Salim Bachi : Certainement. Sinon à quoi bon.
Boualem Sansal : Le plaisir est dans le cri. Il soulage, il libère. L’écriture, c’est laborieux, épuisant, stressant.


Maïssa Bey : Interrogé sur son métier de peintre, Issiakhem disait : « Lorsque je peins, je souffre », et cela me semblait difficile à concevoir avant que je n’entre en écriture. L’écriture est d’abord souffrance parce qu’elle est création, parce qu’il faut arracher à l’informe, à l’insu en soi, la vérité de son être. Aller au-delà de la tentation du silence. Néanmoins, il y a plus que le plaisir parfois, une sorte de jubilation, certains moments de grâce, rares il est vrai, mais qui deviennent très vite contrepoints indispensables à l’équilibre de ceux qui, de leur plume ou de leur pinceau, vont à rencontre de l’autre.

Boualem Sansal, vous écrivez « Les censeurs en Algérie sont nombreux, ils traquent le mot, la virgule ». En effet, aucune publication ne peut être importée en Algérie, vendue ou explosée sans l’autorisation (le « visa ») du ministère de la Culture. Plusieurs éditeurs et écrivains ont été interdits d’exposition au dernier Salon du livre d’Alger (en 2008).


Boualem Sansal : L’année 2008 a été une année noire dans l’histoire de la censure en Algérie. La raison en est simple : Le président Bouteflika préparait son viol de la constitution (qui eut lieu en novembre) et son plébiscite en avril 2009. Il lui fallait casser tout esprit de réflexion et de contestation dans la société. Interdire, censurer, geler, contrôler, menacer, voilà le clavier sur lequel il a joué pour parvenir à ses fins et il a parfaitement réussi.

Et vous ?


Salim Bachi : J’ai été interdit à de nombreuses reprises. Au début pour Le chien d’Ulysse, et maintenant pour Tuez-les tous et Le silence de Mahomet. La littérature fait peur en Algérie. C’est bien qu’elle est pertinente, nécessaire.


Maïssa Bey : La censure peut en effet prendre des formes et des prétextes divers pour maintenir une société en état d’ « inconnaissance » et même d’abrutissement. Quelle tâche ardue et vouée à l’échec – mais le savent-ils seulement ? – que celle des censeurs qui ne peuvent, en cette ère des autoroutes de l’information, accomplir leur travail et avoir la maîtrise de tout ce qui se pense et se dit dans leur pays ! En dehors des visas, il faudrait, pour être vraiment efficace, envisager d’autres méthodes de musèlement et il semble bien que nous soyons engagés, de plus en plus, dans un processus de répression de la parole ou du moins de la parole libre. Il faut aussi mentionner une autre forme de censure, celle qui consiste, par toutes sortes de moyens et de canaux, à jeter l’anathème sur un auteur et à l’accuser du délit de trahison des valeurs nationales pour le jeter en pâture à la communauté…

Envisagez-vous de vous extraire totalement et de vos « thèmes obsessionnels » et de la réalité algérienne ou maghrébine, écrire à partir d’un ailleurs, sur cet ailleurs ou sur soi, sans en appeler aux réalités sociales et culturelles maghrébines, écrire un roman de science-fiction par exemple comme le rêve Boualem Sansal ?

Boualem Sansal : Le village de l’Allemand est déjà en rupture avec mes précédents écrits. Mon prochain roman consacrera sans doute cette rupture. Ce que j’avais à dire sur l’Algérie, je l’ai dit. Y revenir serait radoter.


Salim Bachi : J’écris sur la réalité humaine dans des contextes différents, particuliers souvent, plus larges parfois. J’écris sur l’homme dans la vie.

Maïssa Bey : Peut-être, peut-être… faire comme Mohamed Dib dans sa trilogie nordique… les aubes froides et immobiles dans la blancheur d’une nuit embuée de givre… ou alors murmurer à l’oreille des lecteurs un roman d’amour et de lumière sans dimension tragique – mais ne serait-ce pas là justement de la science fiction ? Plus sérieusement, je tiens à noter que beaucoup de lectrices, un peu partout dans le monde, me disent qu’elles se reconnaissent dans les personnages féminins de mes romans, dans les aspirations, les déchirures et les révoltes de ces personnages. Tout comme je me reconnais, malgré la différence de contexte, dans certains personnages de romans américains, indiens ou turcs… il suffit, me semble t-il, de se tenir au plus près de l’humain pour avoir accès à l’autre. Peu importent alors le lieu, la culture, l’époque…

Pour écrire sur une région, un pays en effervescence faut-il prendre de la distance comme le dit Salim Bachi ou bien faut-il rester ? Cette question de la proximité est-elle sensée ?


Salim Bachi : Pour moi, elle était nécessaire, cette distance. Pour Boualem, par exemple, la nécessité était inverse, je crois.

Boualem Sansal : La distance est nécessaire, elle élargit le champ de vision. Salim a magnifiquement parlé de Cirta à partir de Paris. Yasmina Khadra a fait de même avec Kaboul, Bagdad et Tel-Aviv, sans y être jamais allé. Je crois avoir assez bien parlé des banlieues françaises sans y avoir jamais vécu. Si je suis resté en Algérie, ce n’est pas pour mieux en parler dans mes livres, c’est simplement que l’émigration ne m’a jamais réellement tenté, en tout cas pas au point de faire mes valises. Peut-être cela viendra-t-il un jour ?

Maïssa Bey : Le recul par rapport aux événements et à l’immédiateté (ce en quoi la littérature se distingue du témoignage et du journalisme) se fait dès que l’on est capable de se détacher de ses emportements, de ses jugements pour aller jusqu’à la page. Et cela se fait grâce à la médiation de l’écriture romanesque. Que ce soit de l’intérieur ou de l’extérieur. Il ne s’agit pas de distance géographique. Je crois vraiment que tout auteur vit en exil. Je veux parler de l’exil de l’écriture, acte solitaire qui l’isole, qui en fait un être singulier, souvent incompris par les siens, par ceux dont justement il veut se rapprocher.


Charles Bonn dit que « la littérature algérienne remue la mauvaise conscience française ». Remue-t-elle la mauvaise conscience du microcosme qui gouverne l’Algérie ?


Salim Bachi : Sans aucun doute. Sinon pourquoi la censurer. Ce n’est pas un microcosme qui gouverne l’Algérie ce sont des microbes qui la gangrènent…


Boualem Sansal : Le microcosme qui gouverne l’Algérie est autiste. Il n’entendrait pas une bombe atomique qui exploserait à plus de dix mètres de sa fenêtre. Ce microcosme, il faut le déboulonner, le jeter à la mer et aérer la maison Algérie pour chasser jusqu’à son souvenir.

Maïssa Bey : Il faudrait pour cela que la culture soit au premier rang des préoccupations de ce microcosme ! Et surtout il faudrait qu’ils puissent être susceptibles, installés comme ils sont dans leurs certitudes, sans jamais se remettre en question, de ressentir ce que vous appelez « la mauvaise conscience ». Je suis sûre que presque tous ceux qui ont condamné Boualem Sansal pour son essai Poste restante et pour son roman Le village de l’Allemand n’en ont pas lu une seule page. D’autre part, il faut bien reconnaître que les écrits dérangent, parce que souvent les écrivains mettent le doigt sur des plaies à vif et qu’il est des moyens subtils d’anesthésier les consciences.

Le Village de l’Allemand vous a fermé toutes les portes du possible en Algérie. N’avez-vous pas été trop loin ?


Boualem Sansal : Je ne sais pas ce que veut dire aller trop loin. Il n’y a rien dans ce roman qui soit faux ou inventé : j’ai raconté l’histoire d’un nazi qui a réellement existé, j’ai raconté la Shoah comme elle est arrivée, j’ai raconté une banlieue difficile française au plus près de la réalité et j’ai raconté la vie deux jeunes Rachel et Malrich comme on peut rencontrer beaucoup dans n’importe quelle banlieue. Le problème n’est pas mon propos, le problème est l’existence en Algérie d’une censure qui veut empêcher toute expression libre.


Boualem Sansal, peut-on dire de votre écriture qu’elle est une dénonciation de la gabegie des pouvoirs politiques, de leur mainmise sur l’histoire ? Dans Petit éloge de la mémoire vous écrivez ceci : « Jamais peuple n’a autant oublié son passé et renié ce qu’il fut (…) l’Afrique est bien aux Africains mais ses rois et ses raïs ont placé ses richesses en Amérique et leurs enfants les dilapident en Europe. » N’y a-t-il pas risque que l’on ne retienne de votre écriture que son volet polémiste comme on le fait en Algérie, au détriment de l’esthétique alors même que vous la placez très haut.


Boualem Sansal : La dénonciation est par nature violente. Elle implique de dire les choses par leurs noms et de pointer le doigt sur le mal. L’euphémisme en la matière est à proscrire, il est une trahison, une lâcheté. La polémique est indispensable à nos sociétés. Agiter les idées, les confronter, voilà qui fait avancer la société. Cela dit, quel livre n’est pas polémiste ?


Quelle est selon vous l’importance de la critique littéraire en Algérie ?
Boualem Sansal : Il n’existe pas à ma connaissance de critique littéraire en Algérie. Rares sont les journaux qui ont une rubrique littéraire et encore plus rares les magazines spécialisés en littérature. Il faut dire aussi que la production littéraire est bien trop faible pour justifier l’existence de tels instruments.


Salim Bachi : Qu’elle commence déjà par dénoncer la censure qui nous touche et on commencera à parler de critique littéraire. Comment parler de livres qui sont interdits et en parler à qui si personne ne peut les lire ?

Maïssa Bey : Ce sont, de façon générale, les instances universitaires qui sont les plus à l’écoute de la production littéraire. Il s’agit donc bien plus d’analyses, d’études et de recherches sur les auteurs. Dans les pages culturelles des journaux, qui souvent se réduisent comme peau de chagrin, certains journalistes essaient de faire leur travail, du mieux qu’ils peuvent – il faut leur en savoir gré – en présentant des œuvres. Mais il n’existe pas, à mon sens, de véritable tradition comme dans d’autres pays où la critique littéraire est une véritable institution avec ses codes, ses références mais aussi parfois sa subjectivité.

Y a-t-il une politique du livre en Algérie ?


Salim Bachi : Oui, malheureusement. Une politique de contrôle.

Boualem Sansal : La politique du livre vise à éradiquer le livre. N’oubliez pas que l’islamo-nationalisme est au pouvoir en Algérie. Au plan économique, le secteur du livre ne bénéficie d’aucune aide de l’Etat. Au contraire, il est surchargé d’impôts et de taxes. La censure, la question des droits d’auteurs, la faiblesse du pouvoir d’achat, l’absence de bibliothèques, les contraintes sécuritaires, la fermeture de la télévision à tout débat littéraire, font le reste.

Maïssa Bey : Je pense que cette question devrait s’adresser aux éditeurs, aux libraires, aux importateurs, aux lecteurs… et au ministre concerné ! Il fut un temps où nous achetions nos livres et ceux de nos enfants de la même façon que nous achetions un produit de première nécessité, grâce à la politique de soutien des prix. C’est peut être la seule chose que nous regrettons de cette époque révolue, l’époque où des volumes de La Pléiade et des encyclopédies étaient à la portée de tous, malgré – et cela peut paraître incroyable aujourd’hui – le rétrécissement déjà programmé de la liberté d’expression. Pour avoir un élément de réponse, il suffit de faire un tour dans les librairies, les salons du livre et autres expositions – qui pullulent dans les villes et villages – et de constater qu’il y en a qui ont bien compris que le livre devait être accessible à tous. Je veux parler, vous l’aurez compris, du livre religieux !

Pouvez-vous dire aux Américains quelques mots sur vous, sur vos différentes proximités…

Salim Bachi : J’aime lire, écrire, me promener sur une plage déserte et lumineuse.


Maïssa Bey :

Mais qui trop s’acharne à poursuivre un rêve
Vit dans l’exil de lui-même
Perché au-dessus d’un précipice, il tente en vain de déchiffrer les signes
Et se laisse distraire par les leurres
Pendant qu’au-delà, blottis au cœur des nuées qui parcourent les cieux,
Les rires des amants insoucieux se jouent des mirages.

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BIOGRAPHIE


Maïssa Bey :


Ce pseudonyme lui fut choisi par sa mère. Samia Benameur est son nom véritable. Maïssa Bey naquit en 1950 à Ksar-El-Boukhari une ville qui se situe au sud de la capitale Alger. Son père était instituteur. Il lui apprend le français bien avant qu’elle ne fréquente l’école. « Le français est ma langue paternelle » nous dit-elle dans un précédent entretien. Son père militait pour l’indépendance de l’Algérie. Il fut tué durant la guerre en 1957.

Maïssa Bey est diplômée de lettres françaises. Longtemps elle enseigna dans un lycée. Aujourd’hui elle vit à Sidi-Bel-Abbès (sud d’Oran). Elle y a créé une association « Paroles et écriture » où elle anime des ateliers d’écriture. Elle est co-fondatrice et directrice de rédaction de la revue des éditions associatives Chèvre-feuille étoilée, Etoiles d'Encre (Montpellier).

Maïssa Bey publia plusieurs romans : Au commencement était la mer, éditions Marsa, Paris 1996. Cette fille-là, Editions Aube, 2001, prix Marguerite Audoux. Surtout ne te retourne pas, Aube et Barzakh 2005, prix Cybèle. Bleu blanc vert, Aube 2006. Pierre Sang Papier ou Cendre, Aube 2008. Elle publia un récit autobiographique, Entendez-vous dans les montagnes, Aube et Barzakh, 2002. Sous le jasmin la nuit, qui est un recueil de nouvelles, Aube 2004.

Maïssa bey participa également à des ouvrages collectifs : Journal intime et politique, Algérie quarante ans après, Editions Aube et Littera 05, 2003. Albert Camus et le mensonge, Editions BPI, Paris 2007. Une enfance d’Outre-mer, Seuil 2001. Son dernier titre est issu d’une conférence donnée en novembre 2008 : L’une et l’autre, Aube, 2009. Plusieurs de ses textes furent adaptés au théâtre.
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Salim Bachi :

Salim BACHI naquit en 1971 dans l’Est algérien. Il suivit des études de lettres en Algérie jusqu’en 1996 et s’installa en France. Il interrompit une thèse de troisième cycle consacrée à La douleur et la mort dans l’œuvre d’André Malraux. Il écrit depuis le lycée. Son premier roman Le chien d’Ulysse fut publié en 2001 aux éditions Gallimard. Il reçut plusieurs prix dont le Goncourt du premier roman. Chez le même éditeur il publia : La Kahéna en 2003, lui aussi primé, Tuez-les tous en 2006, Les douze contes de minuit en 2007, Le silence de Mahomet en 2008. En 2005 il publia une autofiction aux éditions du Rocher : Autoportrait avec Grenade.
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Boualem Sansal :


Il naquit en 1949 à Teniet-el-Had (sud d’Alger). Orphelin de père dès le plus jeune âge il fut élevé à Tiaret par son grand-père paternel, un homme cultivé. Au lycée le jeune Boualem étudie le latin et le grec. Il est ingénieur et docteur en économie. Il enseigna à l’INPED (un institut de gestion mis en place à Boumerdes avec le concours du BIT et de HEC-Montréal).

Durant plus de dix ans il occupa un poste de responsabilité dans le ministère de l’industrie, jusqu’à son limogeage en 2003 pour ses critiques contre le système politique en place. Officiellement il fut licencié pour « suppression de structure ». Son épouse qui était enseignante fut mise d’office à la retraite. Boualem Sansal choisit de vivre en Algérie, à Boumerdes malgré les intimidations.
Il publia en Algérie des ouvrages techniques dans les années 1986-1989. Plus tard, chez un même éditeur, Gallimard, il publia des romans : Le Serment des Barbares en 1999 (Prix du premier roman 1999, Prix Tropiques 1999), L'Enfant fou de l'arbre creux, en 2000, Dis-moi le paradis en 2003, Harraga en 2005, Le Village de l'Allemand ou Le journal des frères Schiller en 2008 (grand prix RTL-Lire 2008, grand prix de la Francophonie 2008, prix Nessim Habif de l’Académie royale de Belgique, Prix Louis Guilloux)
Des nouvelles dont : La Voix en 2001, Editions Gallimard-Le Monde, La Femme sans nom, en 2004 chez Littera et l’Aube. Ma mère, en 2008. Ouvrage collectif aux éditions du Chèvre-feuille. Rendez-vous à Clichy-sous-Bois en 2008. Ouvrage collectif aux éditions Textuel.

Il a publié des essais : Poste restante : Alger, Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes en 2006 aux éditions Gallimard. Petit éloge de la mémoire. Quatre mille et une années de nostalgie en 2007 aux mêmes éditions.


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samedi 11 avril 2009

25- SANSAL au pays du mal-vivre. La mascarade électorale

Point de vue

Algérie, pays du mal-vivre, par Boualem Sansal

LE MONDE | 28.03.09 | (in : lemonde.fr)


Ce que je redoutais est arrivé, on me demande mon avis sur l'élection présidentielle du 9 avril. Franchement, j'ai beau chercher, je ne trouve rien à dire. Et puis c'est dangereux de parler, la récréation est terminée, l'heure est à l'alignement. Le président Abdelaziz Bouteflika sera réélu, point à la ligne. Il l'a décidé, c'est réglé.
Que dire d'autre ? Passée la petite formalité du scrutin, il reprendra son sceptre et fera ce qu'il fait depuis toujours. Idem pour les Algériens, ils rangeront leurs convocations et feront ce qu'ils ont toujours fait. La force de l'habitude. Après une huitaine d'élections présidentielles triomphales depuis la naissance de la République algérienne démocratique et populaire en juillet 1962, chacun sait ce qu'il a à faire, tout se passe comme à la poste.
Pour le dire d'une phrase, je reprendrais une formule célèbre du Canard enchaîné à propos de je ne sais quelle réforme de fond engagée par le gouvernement de je ne sais quel dictateur, le deuxième (Houari Boumediene 1965-1978) ou le troisième (Chadli Bendjedid 1979-1992) : "Le gouvernement fait semblant d'augmenter les salaires et les Algériens font semblant de travailler" et la pasticherais ainsi : "En Algérie, le président autoproclamé fait semblant d'être candidat, et les Algériens font semblant de voter."
Mais cela, avais-je besoin de le dire, même au pôle Nord on le sait. On le sait depuis si longtemps qu'on a sans doute fini par l'oublier. En se pressant la tête, une image pourrait éventuellement surgir. Oui, c'est ça, l'Algérie, Algeria ! Ce pays lointain où il fait si mal vivre ! Mais les souvenirs forcés comme les cadavres qui remontent à la surface, on sait ce que c'est, ils ne disent pas tout. Qui sont ces cadavres putréfiés que dégorgent des charniers de hasard ? Qui sont ces cadavres déchiquetés que Mare Nostrum charrie d'une rive à l'autre comme des déchets industriels, et ces squelettes qui tombent des placards, qui sont-ils, qui les a mis là, pourquoi, quand, comment ?
Et ces pauvres gens qui hurlent dans les caves, qui sont-ils, qu'ont-ils fait ? Car enfin, mal vivre, c'est cela que ça veut dire, des gens qui meurent comme des chiens, et des gens qui les pleurent en cachette, et des gens qui dépérissent à force de vomir. C'est croiser chaque jour dans son quartier ses tortionnaires et les assassins de ses amis et devoir les saluer, ou baisser les yeux pour ne pas les blesser conformément à la loi de Réconciliation nationale. C'est faire semblant de rien et passer sa route.
Mal vivre, c'est ça, avoir honte de soi, de son pays et de l'humanité. C'est ce pays que M. Bouteflika gouverne depuis l'indépendance, comme second couteau de 1962 à 1979, homme de l'ombre de 1980 à 1998, et comme un roi gâteux de 1999 à ce jour, et entend le gouverner jusqu'à sa mort.
On aimerait pouvoir lui demander pourquoi il y a tant de criminels dans son royaume, protégés par la loi, et tant de miséreux et de persécutés qui rasent les murs. Parce que l'affaire est de retour dans l'actualité, je lui demanderais bien ce qu'il compte faire de l'assassin de Me Ali André Mécili, compagnon de M. Aït-Ahmed, abattu de trois balles dans la tête à Paris en avril 1987 ?
Ne le sait-il pas, il s'appelle Abdelmalek Amellou, il coule des jours sereins à Alger, non loin de son palais présidentiel. Pourquoi ne l'a-t-il pas livré à la justice française comme le demande instamment sa veuve, Annie Mécili. Elle ferait son deuil et nous saurions enfin de qui le tueur tenait son ordre de mission et qui, aujourd'hui, vingt-deux ans après, alors que le patron des services secrets de l'époque est décédé depuis trois ans, le protège à son tour ? Mais il y a eu tant de crimes et d'abominations, on ne saurait par quel bout commencer.
La mémoire n'en peut plus. Alors on regarde ailleurs, dans ces pays de violence, de peine et d'impunité du bout du monde, on les connaît mieux, et parler de leurs crimes ne prête pas à conséquence. On pense à la Corée du Nord du dangereux Kim Jong-il, à Cuba des interminables frères Castro, à l'Afghanistan des sanguinaires talibans, la Libye du colonel terroriste Kadhafi, le Soudan d’El-Béchir l'exterminateur, la Birmanie du généralissime sorcier Than Shwe, la Chine du très hermétique Jintao, la Russie du kagébiste Vladimir Poutine, l'Iran de l'atomiste Mahmoud Ahmadinejad, et à ce pauvre Zimbabwe encore et toujours en proie au choléra et à Robert Mugabe. L'Algérie de M. Bouteflika, c'est un peu tout ça : de l'éternité, du thriller quotidien et beaucoup de pétrole dans les rouages.
Mais le problème est-il seulement algérien ? On ne peut pas ne pas se poser la question. Pourquoi et en échange de quoi Sarkozy a-t-il récemment déclaré : "Je préfère Bouteflika aux talibans." Outre président de la France et chanoine de Latran, serait-il aussi grand parrain dans l'Algérie de ces messieurs ? Pourquoi en son temps, en 1999 et 2004, Jacques Chirac, a-t-il adoubé Abdelaziz Bouteflika et de cette façon précipitée et ostentatoire alors que le débourrage des urnes n'était pas achevé ? Pourquoi la France officielle aime-t-elle tant nos tyrans ? Comment se fait-il qu’Alexandre Adler, qui n'est pas le dernier analyste de France, trouve tous les charmes au sieur Bouteflika ?
Il a écrit avec beaucoup de lyrisme dans son encre : "Il a cassé l'armée et désarmé les islamistes." Soit, mais le sait-il, le problème n'est pas tant l'armée mais les services secrets, ils sont plus forts que jamais. Ce sont eux les faiseurs de rois, de généraux, de milliardaires, ce sont eux qui animent la machine de la terreur et décident qui doit vivre et qui doit mourir. Les islamistes désarmés ? Soit, mais ils sont plus forts que jamais, ils sont au gouvernement, à l'Assemblée, ils tiennent le bazar, ils ont converti Bouteflika et ses frères, reconquis la télévision, les mosquées, les écoles, et font ce qu'ils veulent de nos rues qu'ils enflamment à coups de bondieuseries et d'appels à la haine. Bouteflika a fait le vide pour faire de la place à son immense mégalomanie, les islamistes l'ont subrepticement occupé et lui gonflent la gandoura comme s'il était le Mahdi (Messie).
Boualem Sansal


Le djihad est ruse, l'islamisme sait attendre. La vraie question est : Que feront-ils lorsqu'ils auront le pouvoir ? MM. Sarkozy, Chirac et Adler le savent-ils ? M. Bouteflika qu'ils soutiennent et encouragent dans ses malversations n'est pas éternel, vu son âge et son état de santé, on peut même avancer qu'il est fini. On ne tardera donc pas à revenir vers eux pour leur poser la question qu'ils ont oublié de se poser : Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? Encore un coup d'Etat, encore une guerre, un autre génocide, des exodes et des sans-papiers à n'en plus finir ?

En attendant, formalisme oblige, il y a la campagne électorale. Le président-candidat-déjà-élu l'a engagée avant l'heure et la mène comme un sultan fatigué visite ses provinces. Il débarque avec sa police et ses chaouchs (huissiers), dit trois mots au petit peuple, distribue de l'argent, chapitre les pouvoirs locaux honnis des indigènes, inaugure deux-trois vieux trucs repeints à neuf, offre un grand couscous aux nécessiteux, et repart tremblant de fièvre. La télé fera le reste, elle est très équipée pour les superproductions. Au journal télévisé de 20 heures, ce sera Barack Obama puissance 2.
Dans la course, le président-candidat-déjà-élu a cinq concurrents. On ne sait rien d'eux. Peut-être sont-ils des artistes engagés pour le film, peut-être sont-ils des gens sérieux. Il y a une trotskiste de vieille date, un islamiste radical, un ancien douanier, un ex-apparatchik à la retraite. C'est toute la modernité qu'on a trouvée pour emballer les jeunes.
A Alger, on les appelle les lièvres. Les poids lourds de l'opposition démocratique se sont mis aux abonnés absents, jouer les lièvres, ils ont déjà donné aux présidentielles de 1999 et 2004.
Et le peuple dans tout ça ? Il fait ce qu'il a toujours fait, il regarde ailleurs. Pour la terrifiante machine électorale du président-candidat-déjà-élu, il est l'ennemi public numéro un. Va-t-il enfin se décider à se mobiliser pour la sainte victoire du 9 avril ? On a beau le courtiser, le mitrailler de SMS comminatoires, lui rappeler les défis extraordinaires qu'il a relevés et gagnés depuis la glorieuse révolution de 1954 et toutes les bonnes prescriptions coraniques, rien n'y fait. Ecœuré, un ministre a déclaré : "Qu'il vote ou pas, notre président sera réélu."
Boualem Sansal


dimanche 15 février 2009

mardi 10 février 2009

23- MA MERE, uneNouvelle de Sansal Fev 2009.

Ma mère
Mohand, ....
J'y reviendrai

22- Mémoire sur HARRAGA par H. Hadjar - Batna

Harraga : Etude d’une poétique postcoloniale
Université El Hadj Lakhdar - Batna

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Mémoire élaboré en vue de l’obtention du diplôme de Magistère
Par Hamza HADJAR

Introduction :

« L’expérience de colonisation française en Algérie a, avant et après l’indépendance, profondément marqué la vie politique, sociale et culturelle des algériens. Sur le plan artistique, les traces de cette expérience demeurent encore jusqu’à nos jours très visibles, comme en témoignent le foisonnement des productions littéraires et le nombre toujours en croissance d’écrivains algériens qui choisissent le français comme langue d’écriture. Parmi ces derniers figure le nom de Boualem Sansal qui a fait une spectaculaire entrée littéraire en 1999 avec une oeuvre majeure le serment des barbares , d’autres publications s’en suivirent jusqu’en 2005 où l’auteur publie son quatrième roman intitulé Harraga . En choisissant d’écrire en français Boualem Sansal s’inscrit dans un mouvement d’envergure mondiale, qui a vu le jour pendant la période coloniale et qui a continué d’exister après les décolonisations. Ce mouvement n’est rien d’autre que celui des colonisés ou ex-colonisés qui écrivent dans la langue du colonisateur ou ancien colonisateur, donnant ainsi naissance à un type de littérature très particulier. Ce faisant l’auteur algérien est face à une expérience problématique qui le met dans une situation complexe à bien des égards, c’est pourquoi nous avons choisi l’un de ses romans Harraga comme corpus d’étude afin de pénétrer dans l’univers de l’écrivain et de son écriture en vue d’explorer cet univers rendu plus complexe en raison de la condition postcoloniale dans laquelle se trouve Sansal et qui affecte par conséquent son écriture au niveau de sa poétique, de sa thématique, de sa symbolique et sans oublier l’une des
questions centrales de la littérature postcoloniale, la question du choix de la langue. Harraga devient ainsi le lieu de rencontre de référents culturels différents parfois conflictuels et dont les questions de l’identité, de la religion, de l’histoire, et même de la politique constituent un fond où puisent l’auteur, le tout nous est livré à travers le parcours tourmenté d’un personnage problématique celui de Lamia. Faut-il encore que le personnage principal soit une femme ? Ajoutant de la sorte une autre question celle de la condition des femmes dans la société algérienne. Dans un autre ordre d’idée, Harraga a été publié en France chez Gallimard, une
grande maison d’édition française dont la réputation internationale et les moyens financiers sont à prendre en compte, comme c’est le cas d’ailleurs pour la plupart des écrits de Sansal. La France étant l’ancienne puissance coloniale elle joue à présent le rôle de centre de reconnaissance pour Harraga et offre à l’écrivain un public lecteur autre que celui des algériens… »

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Vous pouvez lire la suite ici :
www.univ-batna.dz/theses/fac-le/hadjarh/these.pdf


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Lire aussi:


Boualem Sansal, Poste restante : Alger
Appel à la révolte
Par Ali Chibani

Poste restante: Alger[1] est une lettre de Boualem Sansal qui s’adresse exclusivement aux Algérois. L’auteur sait que la Révolution qui renverserait la dictature algérienne ne pourrait avoir lieu sans la participation de la population de la capitale. D’ores et déjà, nous comprenons que ce livre ait été censuré en Algérie. Il constitue un brûlot contre le pouvoir algérien et un véritable appel subversif au soulèvement populaire : « C'est à nous qu'il revient de donner à notre pays une place gratifiante. Vous connaissez le moyen, on en parle tout le temps entre nous : tout démolir et tout rebâtir. » (p. 74-75). Dans un style épistolaire d'une grande simplicité dominé par le cynisme et un rythme saccadé comme dans toute discussion orale, l'auteur se sachant « disqualifié aux yeux de beaucoup » par les GAT (les gardiens autoproclamés du temple) est quelque peu mal à l'aise : « … je ressens une terrible gêne à venir vous parler ainsi. Qui suis-je ? Pas le mieux indiqué… » (p. 29).

Boualem Sansal rappelle en quelques mots l’histoire de l’Algérie depuis l’indépendance. Il évoque les présidents successifs : « Boumediene le ténébreux », « Chadli, le gandin magnifique dit Jeff Chandler parce qu’il avait une bouille de cow-boy somnolant… » (p. 17), Boudiaf, « l’innocent qui a cru que le pandémonium céderait devant la sainteté… » (p. 18) et à qui le livre est dédié, avant d’arriver à l’actuel dirigeant M. Bouteflika qui a annihilé toutes les libertés sociales acquises depuis l’indépendance au prix de tant de sacrifices. Sansal revient sur le soulèvement d’Alger en octobre 1988, un soulèvement orchestré par le pouvoir lui-même puisque c’est le président Chadli qui a appelé les Algérois à se soulever. L’échec de cette révolte, qui a fait plus de huit cents morts, était donc annoncé : « les jeunes eurent à peine le temps d’incendier les murs de l’administration et les magasins d’État que tout est rentré dans l’ordre. » (p. 20). L’auteur de continuer : « En règlement du solde, il nous fut accordé de dire ce que nous voulions à la fin. » (p. 21) Il fait référence à la naissance du multipartisme qui donnera lieu à une situation politique absurde avec plus de soixante partis politiques, dont le « deuxième front, le monstrueux FIS [Front islamique du salut], pour redorer le blason du vieux front, l’inusable FLN [Front de libération nationale] ! » (p. 22) « [N]os revendications, continue-t-il, sont parties dans toutes les directions et elles étaient rien de moins que folles : la charia ou la mort, l’islam et la liberté, la démocratie pleine et entière sur-le-champ, le parti unique à perpète, le marché et l’État, l’autarcie et l’économie de guerre, le communisme plus l’électricité, le socialisme plus la musique, le capitalisme plus la fraternité, le libéralisme plus l’eau au robinet, l’arabité avant tout, la berbérité de toujours… » (p. 21).

Tout le long de sa lettre, l’auteur pourfend les opinions toutes façonnées par le pouvoir pour s’assurer une longue vie : condamner la dictature, c’est être complice de la France coloniale ; s’opposer au système politique, c’est être contre l’islam… Par souci d’objectivité, Sansal a « sondé les amis, tâté les connaissances (…) sans délaisser ceux-là qui cultivent l’allégorie et le faux-fuyant… » (p. 40) sur « les raisons du mal-être qui ravage le pays… » Les réponses tournent autour des mêmes thèmes : « l’identité, la langue, la religion, la révolution, l’Histoire, l’infaillibilité du raïs. Ce sont là ces sujets tabous que le discours officiel a scellés dans un vocable fort : les Constantes nationales… » (p. 41) qui « font qu’un Algérien est un Algérien dévoué corps et âme à son église, le FLN[2]. » (p. 43) L'auteur procède par la suite au démantèlement de ces « Constantes nationales ». Il compare la réalité culturelle et identitaire du pays à l'image qu'en donnent les dirigeants ; il se souvient du colonialisme et de ses procédés meurtriers et négationnistes repris tels quels par la dictature actuelle ; il condamne l'usage de l'islam par l'Etat donnant plus de poids aux extrémistes et réduisant le simple croyant ou le non musulman au silence...

L'actuel dirigeant, Abdelaziz Bouteflika, est particulièrement visé par la dernière partie de la lettre : « Il nous faut parler de la guerre des islamistes et des commanditaires de 1992-1999, et du référendum pour la réconciliation et la paix... » (p. 68). Le 29 septembre 2005, un référendum était organisé. Il portait sur la Concorde civile qui préconisait la libération de tous les terroristes n'ayant pas commis de « crime de sang » et l'interdiction de parler de « terrorisme » mais de « tragédie nationale ». Sans surprise, le vote a été entaché d'une fraude massive en faveur du « oui ». Cela vaut un commentaire de Sansal : « Il est des paix qui sentent la mort et des réconciliations qui puent l'arnaque. Il n'y a rien de juste, rien de vrai dans l'affaire. » (p. 68)

Poste restante : Alger est une lettre personnelle dont nous n'avons évoqué que les grandes lignes. Sansal ne dit pourtant rien d'autre que ce qui s'entend dans les rues algériennes tous les jours, ce qui se voit dans les rues d'Alger au quotidien. C'est là une « manière improvisée d'engager le débat loin des vérités consacrées... » (p. 85) comme s'il fallait se tenir prêt pour le jour où le peuple algérien sera face à sa « peur » et à son destin : « ... le devoir de vérité et de justice ne peut tomber en forclusion. Si ce n'est demain, nous aurons à le faire après-demain, un procès est un procès, il doit se tenir. Il faut se préparer. » (p. 72)

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[1] Boualem Sansal, Poste restante : Alger, Paris, Gallimard, 2006.
[2] Le Front de libération nationale, du nom de l’aile politique indépendantiste de l’Algérie coloniale, a longtemps été le seul parti politique algérien. Depuis les années quatre-vingt-dix, il partage le pouvoir avec son frère jumeau le RND (Rassemblement national démocratique) et le MSP – ex HMS – (Mouvement de société pour la paix), dit « parti islamiste modéré », un parti politique, où l’on compte des anciens du FLN, censé représenter l’aile islamiste de la classe politique et calmer les ardeurs des électeurs du FIS.

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Lundi 27 octobre 2008 1 27 /10 /2008 14:37
Boualem Sansal, Petit éloge de la mémoire
Analyse
Plongée nostalgique dans l’histoire des « Hommes libres »
Par Virginie Brinker
Boualem Sansal, écrivain algérien, nous invite à un voyage à travers l’espace et le temps, le voyage de son peuple, dans Petit éloge de la mémoire. Quatre mille et une années de nostalgie. L’auteur affirme dès le premier chapitre les modalités du voyage. La nostalgie, définie comme « le mal du pays », « une richesse, un formidable gisement », sera notre guide. Il s’agit, via la métaphore spéléologique employée par l’auteur, d’une véritable introspection, une plongée mémorielle dans les abîmes de l’Histoire : « La nostalgie est comme la spéléologie, une démarche risquée, on entre en soi, on avance pas à pas dans les profondeurs de son âme, de sa mémoire, de son histoire, avec toujours, l’espoir d’atteindre le fond et de pouvoir retrouver le chemin du retour ». La subjectivité est ainsi affirmée comme une valeur suprême, à la fois modalité et objet de la quête, comme dans cette injonction préalable à la portée méta textuelle : « Alors, mettons-nous en mouvement, donnons libre cours à nos émois et partons à la recherche de nous-mêmes et de ce que fut notre mère patrie ».
« Lire l’histoire ne suffit pas, il faut chercher en soi et imaginer »
La subjectivité du narrateur est constamment assumée comme le montrent les modalisateurs dans les énoncés du type : « Je crois me souvenir que les miens sont venus de cette contrée », « je veux croire qu’il en a frémi d’émotion », « à la suite de je ne sais quelle goutte de trop »… ou certains commentaires très entiers, comme après l’évocation du savant Firnas : « Cet homme, je l’adore ».
L’art de la narration est, de la même façon, tout à fait intéressant puisque se superpose au souffle épique de rigueur dans tout récit légendaire, une sorte d’autobiographie fictive, retraçant, au fil des lieux (l’Egypte, la Numidie) et des époques (la christianisation, l’islamisation, la colonisation), les différentes morts et renaissances du narrateur. « C’est là que je suis né pour la première fois et que ma vie s’en est allée un soir, tranquillement dans le royaume des morts, attendre la résurrection comme le grain se mortifie dans la terre pour revenir un jour à la lumière de l’été ». L’œuvre se fait par là-même forme-sens et la quête des origines, quête des racines, quête de soi, surtout si l’on considère que renaître à soi c’est mieux se con-naître. Mais la subjectivité ne saurait concerner que le narrateur.
L’auteur se fait passeur et conteur, enrôlant le lecteur dans sa quête à travers des énoncés ancrés dans la situation de communication, véritables traits d’oralité de l’œuvre, qui renvoient sans doute aux modes de transmission ancestraux de la mémoire collective : « Ecoutez-moi raconter mon pays, l’Egypte, la mère du monde », « Ecoutez-moi vous raconter Massinissa ». Mais l’auteur entend aussi nouer un pacte avec son lecteur, il attend de ce dernier qu’il se mette en nostalgie, comme en atteste ce commentaire malicieux et provoquant :
« Vous-mêmes qui me lisez, venez peut-être d’Egypte, d’une de ses colonies ou du Pays Noir comme mes ancêtres. Nous nous sommes croisés, forcément, en ce temps il n’y avait pas tant de chemins que cela sur terre. Vous ne vous en souvenez simplement pas, ou bien la question des origines ne vous branche pas, ou bien la nostalgie chez vous a la vue courte. »
Fonctions collectives de la nostalgie
En effet, si la nostalgie est une plongée en soi pour mieux se découvrir et se connaître, elle a aussi une portée collective : « A leur côté, je faisais l’apprentissage de la nostalgie et découvrais combien elle aide à passer les jours, à se reposer de ses peines, à échanger des rêves, à se construire un avenir commun ». Cet énoncé prend une résonnance particulière eu égard à la situation contemporaine de l’Algérie dont Boualem Sansal est un témoin impitoyable.
Cette plongée nostalgique dans l’histoire est notamment l’occasion de « croiser » des résistants, des héros, telle Kahina, qui nous renvoient et renvoient l’ensemble des Algériens à leur problématique condition d’hommes libres. Ainsi, à propos de la figure de Massinissa peut-on lire :
« Ses exploits ont nourri l’imaginaire de générations de Berbères, et encore aujourd’hui que la Numidie est retournée à ses vieux démons : la division, les querelles, les haines inextricables, insatiables, le culte de la violence sous la houlette de potentats grossiers et avides et de sorciers fanatiques. »
Plonger dans l’histoire des « Hommes Libres », c’est nécessairement parler du présent, comme la structure même de l’ouvrage (en trois parties : l’Egypte, la Numidie, l’Algérie, le dernier chapitre étant intitulé « Le temps présent ») nous y invite, et en cibler les carences : « La nostalgie que j’ai de ces braves s’accompagne de ce sentiment de culpabilité dont je ne peux guérir », « On voudrait revivre tout cela, apporter sa part à l’évolution du monde, à la lutte immémoriale pour la liberté ».
Mais loin de s’en tenir là, l’œuvre de Boualem Sansal éclaire ce passé mêlé et obscur, plonge les hommes en nostalgie et contribue ainsi à leur libération, puisqu’il s’agit de lutter contre ce constat : « En définitive, nous savions peu de choses de notre histoire, presque rien, beaucoup nous a été caché, tant de choses ont été effacées, pour nous protéger sans doute, pour nous garder dans la foi et la fidélité au souverain ». Avec Boualem Sansal, non seulement le savoir est une arme, mais il est condition de l’émancipation et de la renaissance à soi.
Les « Hommes libres » – Imazighen - est le nom que se sont donnés les « Berbères ».
Boualem Sansal, Petit éloge de la mémoire, Folio, 2007, p. 9.
Ibid., p. 9-10.
Ibid., p. 11. Nous soulignons.
Ibid., p. 51.
Ibid., p. 13.
Ibid., p. 58. A propos de Spartacus qui aurait entendu parler du héros berbère Massinissa.
Ibid., p. 61.
Ibid., p. 92.
Ibid., p. 15-16.
Se con-naître (au sens de naître avec)
Ibid., p. 13.
Ibid., p. 49.
Ibid., p. 24
Boualem Sansal, op. cit. , p. 18. Nous soulignons.
Cf. dans ce même dossier l’article consacré par Ali Chibani à Poste restante : Alger, intitulé « Appel à la révolte »
Boualem Sansal, Petit éloge de la mémoire, p. 54.
Ibid., p. 62.
Ibid., p. 129.
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Vendredi 31 octobre 2008
Boualem Sansal, Harraga

Analyse

LA VIEILLE MAISON

Par Ali Chibani




Comme l’a évoqué Charles Bonn dans une conférence organisée en Sorbonne[1], le thème de l’émigration a rarement été central dans les œuvres littéraires francophones algériennes, bien qu’il soit abordé généralement par tous les auteurs. Justement, Boualem Sansal consacre son quatrième roman à l’émigration clandestine. Le terme Harraga[2], vient de l’arabe « brûleurs ». Les Algériens désignent par cette dénomination les « brûleurs de route », ces jeunes – hommes et femmes – qui tentent de rejoindre clandestinement l’Europe sur des embarcations de fortune et qui, le plus souvent, y laissent leurs vies ou sont arrêtés par la police maritime avant d’être jetés dans les geôles algériennes.
On peut s’interroger sur le succès de l’auteur à rendre compte de ce phénomène. L’histoire concerne plus Lamia, le personnage principal et la seule narratrice d’une histoire véridique. Vivant seule à Alger, la jeune fille reçoit la visite inattendue de Chérifa qui va bouleverser son quotidien. Arrivée d’Oran, l’adolescente attend un enfant « illégitime ». Elle est venue se réfugier à Alger sous les conseils du frère de Lamia. Ce jeune garçon a quitté Alger pour la ville maritime d’Oran afin de prendre le large clandestinement vers l’Europe. Lamia attend de ses nouvelles, tente vainement de retrouver son frère avec l’aide des associations qui s’avèrent rapidement grossièrement prétentieuses et magistralement impuissantes. Le lecteur est donc face à l’histoire d’une jeune fille de la capitale algérienne, enfoncée dans sa solitude et occupée à rechercher son frère. Le récit tourne autour de la situation sociale et politique algérienne pour comprendre le désarroi de la jeunesse qui n’a plus d’autre issue que celle de traverser la mer au péril de sa vie. Finalement, l’émigration – qui devait être la préoccupation centrale de l’œuvre – occupe une place secondaire. Elle se heurte au besoin de rendre compte de ce qui fonde le malheur algérien, notamment son Histoire. Celle-ci prend plusieurs voies pour se manifester notamment à travers la topographie spatiale de la maison et du quartier de Rampe-Vallée.

Du connotatif au dénotatif

L’espace urbain et son architecture sont des thèmes obsessionnels chez Boualem Sansal. On relève dans tous ses ouvrages une sémiotique spatiale procédant par analogie et déplacement de sens pour désigner l’état de l’être. Métaphores, allégories et zeugmas se relayent a priori pour éclairer et définir des phénomènes qui ne se manifestent que sur le tard, une fois leur conception et perception arrivées à maturité. Dans Harraga, la métaphore de l’espace est l’objet d’une longue digression interprétative de l’histoire algérienne[3].
La narratrice habite une vieille demeure sise à Rampe-Vallée, à Alger. Elle renferme une partie non négligeable de l’histoire algérienne dont elle est la métaphore :

« [La maison] a deux siècles bien sonnés, je dois constamment la surveiller mais je le vois, je le sens, un jour, elle me tombera sur la tête. Elle date de la régence ottomane, les chambres sont minuscules, les fenêtres lilliputiennes, les portes basses, et les escaliers, de vrais casse-gueule, ont été taillés par des artistes ayant probablement une jambe plus courte que l’autre et l’esprit certainement très étroit. S’il faut une explication elle résiderait là, dans la famille nous avons tous un mollet plus gros que l’autre, le dos courbé, la démarche en canard et le geste court. La génétique n’y est pour rien, la maison nous a faits ainsi. La perpendiculaire était une énigme à cette époque, nulle part l’angle droit n’épouse l’équerre, de fait ils ne se sont jamais rencontrés sous la truelle du maçon. L’œil en prend un coup. Le nez aussi, l’odeur du moisi fait partie des murs. Parfois, je me prends pour une fourmi tâtonnant dans le labyrinthe et parfois pour Alice au pays des merveilles. »[4]

Avec la description et l’établissement de l’histoire de la maison, Sansal veut retrouver la rupture originelle. Celle qui pourrait expliquer les violences du présent : « Tout dans cette auberge dit le mystère des origines.[5] » On comprend donc le foisonnement des adjectifs qualificatifs à connotation péjorative relativement au comparé qu’est l’actualité sociale algérienne : « minuscules », « lilliputiennes », « basses »… Tout cela est porté par des superlatifs en mesure de mettre en exergue la démesure de la violence ambiante : « plus courte », « très étroit »… Les substantifs convoqués (« moisi », « énigme », « labyrinthe ») renvoient à un milieu sombre et en décomposition, ce qui n’exclu pas la lumière de l’émerveillement dont la nécessité est vitale pour la jeune fille qui se prend pour Alice au pays des merveilles. Face à l’anarchie du monde, Lamia n’a d’autre recours pour se sauver que l’utopie.
De la description de la maison, l’auteur nous fait passer à la description du quartier caractérisé par l’absence d’harmonie. On passe alors de la connotation à la dénotation. Le rapport du comparant au comparé n’est plus passif et implicite mais actif et explicite. La topographie du lieu est le fait de la réalité. Tout est enchevêtré, étriqué et inextricable. On peut énumérer infiniment les nœuds « né[s] » de l’intolérance des gouvernants et des bureaucrates qui favorisent tous les extrémismes et ferment tous les horizons à leurs victimes :

« Le quartier prit un coup. Il devint sinueux. Des choses ont poussé ici, là, à l’endroit, à l’envers, de guingois, des galetas pouilleux et des demeures exotiques, puis des ruelles en lacis, des culs-de-sac tombés du ciel, des escaliers bizarres, des décharges, des égouts à bouillasse, des caniveaux bien gras, des étables, des gargotes, une église, une synagogue, sept mosquées, un vague temple qui a disparu dans la foule, trois cimetières, des échoppes minuscules et sombres, des maisons de joie, des dégorgeoirs, des forges, et plus tard, deux trois écoles en raphia et tôle ondulée érigées sur les aires de jeux des enfants, ainsi qu’un bureau des doléances qui fut incendié le jour et à l’heure de son inauguration par monsieur le maire et son cortège de marchands de biens. Une favela était née dans la douleur pour le siècle des siècles »[6].

A nouveau, l’utopie est établie comme nécessité pour fuir le quartier et ce qu’il évoque. Lamia se souvient de son adhésion « … à certaine utopie, je découvrais Gandhi, Mère Teresa, d’autres, Rimbaud et compagnie, j’avais la nostalgie de Calcutta, Mogadiscio, les ghettos de Pretoria, les favelas de Bahia. (…) À présent que la coupe est pleine, je ne rêve plus que de palais, de carrosses, de mondanités et de belles intrigues intenses et éphémères.[7] »

La référence au conte merveilleux insiste sur deux espaces liés : la maison et le livre. En fait, il semble que la maison, qui accule au rêve, n’est que la trace transitoire d’un passé déterminant l’avenir et l’identité des personnages.

Nom-lieu en héritage

En disant « ma maison », Lamia s’approprie l’histoire de ses fondateurs et de ses anciens occupants ainsi que les légendes venues colmater les brèches laissées par une mémoire défaillante. La vieille demeure porte en effet les noms et les pseudonymes de tous ses habitants :

« Les anciens du village qui avaient élu quartier général dans un café maure au fond du ravin n’ont rien trouvé de mieux que le palais du Français, la forteresse du Converti, le repaire du Juif, le nid du corbeau, la tanière du renard, pour désigner la citadelle du Turc. Les formules sont restées et nous ont causé du tort. S’appliquant à nous, des croyants de naissance, dans un pays libre, indépendant et supertatillon dans son quant-à-soi arabo-islamique, que veut dire converti sinon apostat, Français sinon harki, et que peut bien signifier juif sinon voleur ? »[8]

En d’autres termes, la maison a une « carrière », une fonctionnalité, celle d’un miroir sur lequel se manifeste, par contamination, l’identité de la dernière habitante ; identité formée par l’histoire de l’habitation : « … les gens du quartier disent la maison Moustafa en parlant de nous. C’est gênant, l’homme a laissé derrière lui une épouvantable réputation de pédophile.[9] » Le commentaire subjectif de Lamia qui évoque sa « gêne », montre à quel point l’acquisition de sa nouvelle identité s’est faite malgré elle, bien qu’elle s’en amuse parfois.
La bâtisse délabrée, hantée par le souvenir de Moustafa le fondateur turc, Louis-Joseph de La Buissière le colonel français converti à l’islam, Ben Chekroun le Juif, « d’un immigrant fraîchement débarqué de sa lointaine Transylvanie », est une trace transitoire et déterminante. Lamia s’interroge sur la profession qu’elle aurait choisie si elle avait habité ailleurs : « Aurais-je choisi la médecine si les manuels du docteur Montaldo ne m’avaient pas surprise dans ma jeunesse[10] ? » Juste avant cela, la narratrice dit : « J’ai baigné dans cette atmosphère, alors forcément ma perception du temps s’en ressent. Elle serait autre si ma vie durant j’avais mariné dans une HLM super-bondée plantée sur un plateau bourbeux balayé par les vents d’usines au centre d’une banlieue sinistrée[11]. » Il y a ici un certain déterminisme historique, qui est en soi une lutte pour maintenir et assumer la véritable Histoire falsifiée par les idéologues, mais relativisé par l’émergence de l’utopie, de la fabulation, qui viennent combler les ellipses temporelles et, en même temps, permettre de résister à la violence sociale.
Le docteur Montaldo est un médecin qui a été au service des pauvres et qui a voulu vivre comme eux, loin du luxe. Lamia, enfant, a retrouvé ses livres qu’elle a lus et qui l’ont prédestiné au même métier que le précédant habitant. Les livres ne sont pas la seule trace du passé de la maison. Elle a été façonnée, transformée, par chacun de ses résidants dont elle porte l’empreinte et le nom pour toujours. Influencée, elle est une véritable mosaïque historique adaptée et réadaptée à différentes cultures dont elle devient le lieu de communion : « …les coutumes des uns et des autres, leur histoire et la nôtre entremêlées…[12] ». Le cas le plus révélateur de la communion des cultures et du rapport d’influence mutuelle entre l’espace et le moi est celui du « … colonel Louis-Joseph de La Buissière, vicomte de son état. Son nom et ses armoiries sont inscrits à main droite du fronton sur un marbre enguirlandé limé par les ans.[13] » Le vicomte « fut aussi un naturaliste émérite, on trouve son nom dans les honorables catalogues qui tapissent le grenier[14]. » Lamia expose :

« Nous devons au sieur Louis-Joseph l’ajout d’une belle cheminée dans le salon d’hôte, l’ouverture d’un couloir donnant sur le jardin, la transformation du hammam en salle de bains et du four à pain en cuisine moderne. (…) Devenu Youcef, il décora son bureau-oratoire de belles faïences émaillées de versets coraniques calligraphiés par de grands poètes et coupa le salon du bas en deux, un versant pour les hommes, l’autre pour les femmes, en dressant un adorable moucharabieh sur la ligne médiane. (…) Il suréleva le mur de clôture et le hérissa de tessons, ce qui renforce l’effet prison dont je souffre à présent que la guerre occupe la ville, que j’ai blindé portes et fenêtres, que je ne sors plus »[15].

Il semble, d’après ce dernier extrait, que le lieu transforme l’identité de l’homme qui, à son tour, transforme le lieu. L’espace entre ainsi dans une continuité historique semblable à la continuité de l’âme.

Chez elle et étrangère

La figure de l’officier Louis-Joseph devient métonymique. Elle est l’occasion d’une digression dans la digression qui fait le tour de l’Algérie pour suivre son parcours de naturaliste. De même la maison de Lamia est métonymique. La narratrice est obsédée par les histoires et légendes qui entourent son lieu d’habitation. Outre le voyage temporel induit par les traces diverses qu’elle évoque, le jeune médecin découvre des espaces lointains qu’elle ne pourra jamais connaître autrement puisqu’il lui est difficile, sinon impossible de voyager : « Ces histoires me courent dans la tête, se mélangent, se nourrissent les unes des autres, se répondent dans leur langue, vêtues de leurs coutumes. Je vais d’un siècle à l’autre, un pied ici, la tête dans un lointain continent. De là me vient cet air d’être de partout et de nulle part, étrangère dans le pays et pourtant enracinée dans ses murs. Rien n’est plus relatif que l’origine des choses[16]. » Se définir comme « étrangère » dans son propre pays est lourd de sens intra et extradiégétique.
Grâce à l’identité qu’elle acquiert à Rampe-Vallée, Lamia entre dans l’altérité qui fera à la fois sa force et sa faiblesse. Elle est marginale car le poids de l’héritage historique l’étouffe. Que faire de tant d’histoires, de tant de traces ? Et surtout comment préserver tout ce temps ? Lamia sait qu’elle est la fin d’une période longue de plus de deux siècles : « Ainsi est notre histoire. La maison en est le centre et le temps son fil d’Ariane qu’il faut dérouler sans casser. Je suis la dernière à l’occuper. Après moi, elle s’effondrera et tout sera dit.[17] » Sansal, par l’effondrement de la maison, réfère à l’ensevelissement dit atavique de l’Histoire en Afrique du Nord. Il semble que le peu de traces qui nous restent des dernières cultures à avoir marqué l’Algérie – souvent au fer rouge – soient vouées à disparaître. Il faudra alors la reconstruire, mais sur quelles fondations ?
La « vénérable demeure[18] » menace ruine. Il faudra donc que Lamia la quitte. La dernière résidante doit se préparer à partir ou accepter que le toit lui tombe sur la tête. La narratrice se sacrifiera-t-elle pour finir ses jours chez elle ? Le récit ne le dit pas. En tout cas, cette possibilité révèle le sens extradiégétique de la chute de la demeure. Harraga n’est pas seulement l’histoire de Sofiane, mais aussi celle de Lamia et de tous les habitants de la maison Algérie. La traduction que fournit l’auteur du titre « brûleurs de route » devient plus générale. Il ne s’agit plus des « route[s] » comme passages maritimes, terrestres ou aériens, mais aussi des lois, traditions et coutumes, de tout ce qui est contraignant, qui fait la Malédiction[19] algérienne et qu’il faut fuir en changeant de patrie fût-il par le rêve :

« … chasser ses enfants n’est pas le rêve d’une mère et personne n’a le droit de déraciner un homme du lieu ou il est né. C’est une malédiction qui se perpétue de siècle en siècle, depuis le temps des Romains qui avait fait de nous des circoncellions hagards, des brûleurs de fermes, jusqu’à nos jours où faute de pouvoir tous brûler la route nous vivons inlassablement près de nos valises. Le pays est vaste, il pouvait accueillir du monde et du monde, ils n’ont pas tant besoin d’espace, mais non, à un moment ou à un autre la malédiction revient et le vide s’accroît violemment. Nous sommes tous, de tout temps, des harragas, des brûleurs de routes, c’est le sens de notre histoire »[20].

Nous ne sommes plus dans l’émigration mais dans l’exil dans son sens le plus large qui inclut la solitude pour laquelle Lamia a optée.

Le délabrement de la maison de Lamia reflète la dégradation continue de la situation sociale en Algérie. La narratrice rend compte des difficultés quotidiennes que vivent ses compatriotes. Elle est en effet amenée à sortir de chez elle pour chercher son frère mais aussi Chérifa la fugueuse. Boualem Sansal nous invite à découvrir cette histoire vraie dans un rythme déchaîné où pourtant la passion est loin de l’emporter sur la raison.
On a acquis désormais l’habitude de parler de « littérature de l’urgence » sur tout ce qui s’est écrit après l’interruption du processus électoral en 1991 et, étonnamment sur ce qui continue de s’écrire aujourd’hui. Appellation inadapatée et qui fausse le regard qu’on peut porter sur la littérature algérienne de la troisième génération. Comme le prouve Sansal, le temps d’interroger l’ensemble de l’histoire algérienne est (re)venu. On sort de l’immédiateté pour un regard global qui vise à dénoncer, non seulement l’acte barbare qui se commet sous nos yeux e ses conséquences directes, mais tout ce qui conduit l’homme à répondre à la violence par la violence. C’est cela que les écrivains de la troisième génération doivent interroger au risque de répéter leurs aînés : la violence fondatrice.

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[1] Maghreb littéraire, le 27 octobre 2008.
[2] Boualem Sansal, Harraga, Gallimard, Paris, 2005. L’auteur a déjà publié trois autres romans chez le même éditeur : Le Serment des barbares (1999), L’Enfant fou de l’arbre creux (2000), Dis-moi le paradis (2003).
[3] Ibid., p. 65-81.
[4] Ibid., p. 65-66.
[5] Ibid., p. 80.
[6] Ibid., p. 76.
[7] Ibid.
[8] Ibid., p. 70.
[9] Ibid., p. 66.
[10] Ibid., p. 79.
[11] Ibid., p. 67.
[12] Ibid., p. 80.
[13] Ibid., p. 67.
[14] Ibid., p. 67.
[15] Ibid., p. 70.
[16] Ibid., p. 74.
[17] Ibid., p. 80.
[18] Ibid., p. 75.
[19] Sur la malédiction dans la littérature algérienne.
[20] Ibid., p. 80.
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Dossier n° 33 : Boualem Sansal
Mardi 14 octobre 2008 2 14 /10 /2008 17:27